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mardi, février 09, 2016

Premier rapport annuel sur la "gouvernance de la donnée" de l'Etat

Le 16 septembre 2014, le Premier ministre instituait la fonction d'Administrateur général des données  (AGD), que j'inaugure depuis le 18 septembre dernier.
Adaptée de la fonction de Chief data officer, mais pensée en fonction des besoins de l'Etat, cette fonction vise principalement à diffuser au sein de l'Etat les nouvelles pratiques des datasciences. A l'usage, ces pratiques ne réalisent pas tant la promesse des "big data" (nous n'avons pas encore relevé au sein de l'action publique tellement de problèmes nécessitant d'énormes quantités de calcul), mais au nom des nouvelles classes d'actions qui s'inventent tous les jours avec les données.
Insensiblement, en effet, nous passons du régime de la description à celui de la prédiction, puis, plus important encore, à celui de la prescription. C'est cela qui se passe aujourd'hui d'important avec les données : l'irruption de nouvelles questions : "next best action", par exemple. Et souvent aussi de nouvelles stratégies d'action : la création de boucles de rétrocontrôle rapide, l' "empowerment" des agents, l'ouverture de référentiels accessibles à tous...
Pour remplir sa mission, l'AGD était autorisé à créer une petite équipe au sein de la mission Etalab, se voyait doté d'une capacité d'expérimentation, d'une capacité à demander à connaître la structure des données des administrations, et se voyait confier la tâche de remettre chaque année au Premier ministre un rapport sur la gouvernance de la donnée.



La "gouvernance de la donnée", c'est déjà quasiment une discipline à part entière... Et à n'en pas douter une offre commerciale qui a de beaux jours devant elle... Mais nous n'avions pas le goût d'ouvrir un nouveau chantier de normalisation abstraite.  Chaque jour qui passe, je mesure la puissance de la maxime chère à Mike Bracken "The Strategy is delivery". Il est tellement facile de perdre de vue le seul objectif qui vaille (un "client" satisfait) et de se focaliser sur ce qui n'était qu'objectifs intermédiaires. Il est tellement difficile, à l'inverse, de rester focalisé sur le fait de délivrer un vrai service, de créer une vraie valeur. 

Avec la petite équipe de l'AGD, et Simon Chignard qui m'a prêté sa plume, nous avons donc décidé de construire ce premier rapport sur la gouvernance de la donnée de manière totalement empirique : proposer nos services de datascientists à différentes administrations, essayer de monter des projets prometteurs, et, pendant ce processus, relever, documenter, synthétiser toutes les difficultés que nous rencontrerions. Donc ni rapport abstrait, ni rapport d'activité, mais un rapport mettant en perspective ce que nous avions rencontré dans l'expérience. Parallèlement nous avons ouvert, un peu discrètement, une interface de saisine de l'AGD, conformément à ce que prévoyait le décret, afin de recueillir facilement les demandes d'avis ou de conseils portant sur la circulation de la donnée, d'aider au mieux les personnes nous saisissant, et de déceler ainsi de nouveaux points de blocage grâce à ces demandes.

Cette approche empirique nous a permis d'accompagner les démarches de quelques citoyens et de quelques administrations, et de mener quelques projets très prometteurs avec le Service des achats de l'Etat, avec Pôle emploi, avec La Métis, ou encore avec le STSI2. Mais elle nous a surtout permis de nous forger une représentation personnelle de ce qui empêche aujourd'hui l'Etat d'utiliser au maximum toutes les données qu'il détient.

Vous pouvez librement télécharger le rapport 2015 de l'AGD, et je vous len conseille la lecture. Je vous affirme en tous cas que nous avons essayé d'en faire un document court, vivant, inspirant et de lecture aisée. Vous me direz si c'est réussi. Le point en tous cas, c'est que cette méthode ne nous a pas tout à fait consuit aux conclusions que nous imaginions au départ. 
Les deux premières parties nous permettent d'évoquer, à très grands traits, l'histoire des relations fécondes entre l'Etat et les données. La longue histoire de la construction des registres publics, des statistiques publiques et des données publiques, brutalement télescopée par la révolution des données dont les lecteurs de ce blog sont familiers (la production mécanique de données numériques sous toutes sortes de formes, et notamment dans l'informatique de gestion). Puis (en un aperçu extrêmement raccourci) la tout aussi longue histoire des techniques de gouvernement fondées sur ces données, télescopée elle aussi par les nouveaux usages de ces données.
Une seule ambition dans cette première partie : faire ressentir ce que nous pourrions faire avec ces données si nous prenions soin d'en tirer toute la valeur. C'est la magie des datasciences : un seul algorithme, extrêmement simple, permet de prédire les vols de voiture, les accidents de la route, les entreprises qui vont recruter, mais aussi d'améliorer un contrôle fiscal, l'allocation d'une aide, ou la prévention incendie... Tout ceci sans jamais cibler l'individu.

Cette introduction nous permet de faire un point plus précis de ce qui nous empêche de mettre en oeuvre toutes ces méthodes. Et au risque de synthétiser un peu rapidement le rapport (qu'il vaudrait mieux lire : il est court et accessible), je pourrais le résumer en disant qu'il demande que nous nous organisions pour reconquérir cette capacité d'agir.
Certes, nous pointons, parce que c'est la réalité, le manque de culture de la donnée, la faible diffusion des datasciences, et plus encore la difficulté à poser les bonnes questions aux données. Car c'est le propre des grands problèmes que de se faire oublier : nous ne pensons pas à nous demander si nous pourrions faire disparaître les maladies nosocomiales, par exemple. Elles sont là, on ne les voit plus comme un problème. C'est la réalité de l'Etat comme de la plupart des grandes organisations.
Mais nous pointons aussi du doigt un système qui a abandonné progressivement sa capacité à prendre en mains son destin informatique. Qui s'est laissé engluer dans des cadres contractuels l'empêchant de faire face à l'imprévu. Qui applique les secrets légaux de manière approximative, sans ce souvenir que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Qui parfois sous-traite à l'excès, non pas qu'il soit gênant de faire appel à des forces extérieures, mais parce qu'il faut le faire, lorsque c'est un choix, en gardant toujours à l'esprit (et en insérant dans le contrat) à quel point il est indispensable, à tout moment, de pouvoir récupérer son code, ses données et leurs modèles de structuration.
Un système qui ne pourra être améliorer que par une culture du projet, un respect des développeurs, une alliance avec les écosystèmes d'innovation, et notamment celui du logiciel libre.

D'où les conslusions extrêmement pratiques de ce rapport, qui nous serviront également de feuille de route pour cette nouvelle année :

1.           Poursuivre le développement de projets concrets, rapides et décloisonnants, illustrée par France Connect, la Base adresse, APIentreprises et les startups d’Etat et résumée l'ambition de bâtir un "Etat plateforme". 
2.           Lancer, dès 2016, une cartographie collaborative des données disponibles dans l’Etat, ouverte à toutes les administrations qui souhaiteront y participer et en bénéficier.
3.           Intégrer la capacité à extraire et utiliser les données dans les critères d’examen des projets informatiques de l’Etat.
4.           Soutenir et développer les collaborations interministérielles, à la fois par un appui privilégié de l’Administrateur général des données et par une priorisation des financements aux projets innovants interministériels ;
5.           Créer, à partir de l’AGD, une compétence collective, à la fois technique et juridique, en matière d’anonymisation des données ;
6.           Préciser la doctrine d’application des secrets légaux ;
7.           Solliciter la CNIL pour lancer un pack de conformité avec les administrations volontaires ;
8.           Diffuser les nouveaux usages des données, soit par coopération directe avec l’AGD, soit en utilisant le marché d’appui aux administrations préparé par le SGMAP, et partager les résultats qui le peuvent entre administrations voire avec le public.

Belle feuille de route que nous allons mettre en oeuvre au sein de la toute nouvelle DINSIC.

Et rendez-vous à la fin de l'année pour échanger sur les progrès que nous espérons susciter et accompagner. 










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