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jeudi, octobre 04, 2012

De l'Open Data à l'Open government : les percées de l'administration Obama


C’est Tim O’Reilly qui a lancé l’expression.
En 2009, cinq ans après avoir forgé et popularisé l’expression « web 2.0 », il organisa à Washington le « Gov 2.0 summi», série de conférences traitant de questions aussi diverses que : la manière dont l’État pourrait s’approprier le cloud computing ; les stratégies de création de plateformes ; le concept de nation digitale ; l’usage des données massives pour améliorer le système de santé et en réduire les coûts ou plus généralement la conduite du changement. Bref, il lançait l'agenda de l'Open government.

Au cours de cette rencontre, qui fut reconduite en 2010, émergeait une forte conviction : les technologies, les méthodes et plus encore les valeurs de la révolution numérique fournissent d’infinies ressources pour améliorer l’efficacité et la transparence de l’action publique.
Dans un article sur Techcrunch, Tim O’Reilly résumait ainsi le fond de son analyse : «Le véritable secret de l’État 2.0 est de penser l’État comme une plateforme. S’il est une chose que nous avons apprise des industries technologiques, c’est que tous les grands gagnants ont été des entrepreneurs de plateformes : des personnes dont le succès en a soutenu d’autres, qui se sont construits sur leur travail et en ont multiplié l’impact»
Il y a, comme toujours avec Tim O’Reilly, une composante de storytelling. Mais il est intéressant de le prendre au mot, et de chercher si nous pouvons observer, concrètement, de véritables inflexions des politiques publiques. Après tout, la révolution numérique a transformé bien des pratiques individuelles et collectives. Elle a bouleversé sous nos yeux bien des organisations. Pourquoi ne ferait-elle pas évoluer l’État lui-même ?
Et c'est là que nous devons reconnaître le caractère innovant de l'administration Obama.


Le gouvernement par les plateformes
Nous sommes familiarisés, en Europe, avec les grands projets d'infrastructures et, dans une moindre mesure, avec le "e-gouvernement", qui rapproche l’État des citoyens en travaillant l’efficacité et la fluidité de ses services. Mais il reste encore dans une position de distributeur de services. Toute autre est l’aspiration qui se dessine au tournant des années 2010, et qui se range sous l’expression générale de « government as a platform ». Il s’agit désormais de distiller dans la société des ressources, mises à la disposition des citoyens comme des agents économiques et sociaux, leur permettant de mener leurs projets et d’enrichir les initiatives de l’Etat. Cela a ainsi été le cas en France avec le développement de Proxima Mobile, portail de services d’intérêt général sur terminaux mobiles, dont les applications ont été créées par des acteurs publics, des associations et des entreprises.

Le point important est de constater - et c'est là que les Etats-Unis ont valeur d'exemple - que la question ne se limite plus, désormais, à l'open data. Une nouvelle réflexion, centrée sur le "smart disclosure" a pris une importance considérable.

Open data
Le mouvement d’ouverture des données publiques est né aux États-Unis, dans la mouvance du Freedom of Information Act.
Originellement fondé sur le désir de transparence et de libre accès des citoyens à l’information, il a rapidement pris une dimension à la fois plus technique et plus économique. 
Nombreux sont en effet les responsables qui estiment que la libération, dans l’espace public, de données brutes, et surtout leur mise en forme dans des formats facilitant leur appropriation, leur agrégation et de multiples traitements, est un puissant levier de fécondation de l’économie.
Le mouvement Open data s’est ainsi centré sur la distribution de données brutes aux États-Unis, puis en Angleterre puis en France. Le site www.data.gov mérite ainsi toute notre attention, tant par la quantité et la qualité des données que l'on peut y trouver que par son objectif revendiqué : "empowering the people".
 Dans notre pays, les collectivités locales jouèrent un rôle leader sur ces questions (notamment Rennes, Brest, Montpellier puis Paris ou le département de Saône et Loire) avant que l’État n’installe, en 2011, la mission Etalab, chargée de l’ouverture des données publiques.
Au fil des expérimentations, cette question de l’ouverture des données publiques s’est progressivement enrichie et étoffée, passant d’un problème de transparence et de communication publique à une réflexion extrêmement technique sur les : modèles économiques et le choix stratégique des données à diffuser en priorité ; la responsabilité du producteur de données face à d’éventuelles erreurs ou aux mésusages ; les formats et standards, les stratégies de design des API ; les politiques de développement économiques devant accompagner cette libération des données, etc.

Smart disclosure
Sous la présidence Obama, qui avait effectué une remarquable innovation institutionnelle en créant le poste de « Chief technology officer » de l’État, c’est-à-dire en désignant un responsable des stratégies technologiques ayant quasiment rang de ministre, la réflexion sur l’open data s’est prolongée par un impressionnan effort pour concevoir une « ouverture intelligente », et notamment des dispositifs techniques à très fort effet de levier : solutions ouvertes, interopérables et neutres conçues pour obtenir un effet maximal sur la qualité des services rendus au pays.
Il en va ainsi des projets Blue Button (une initiative permettant aux anciens combattants d’accéder facilement à leur dossier médical, mais aussi à différentes applications de s’y greffer) ou Green Button (une initiative promue par la maison blanche pour normaliser l’accès aux données relatives à la consommation électrique de l’année écoulée).

En août dernier, au démarrage de la campagne pour sa réélection à la présidence des États-Unis, Barack Obama a capitalisé sur ce travail pour lancer l’initiative « The Presidential innovation Fellows », destinée à mobiliser des innovateurs radicaux issus des startups technologiques, des ONG et des universités pour travailler, avec l’administration, sur des projets capables de « changer la donne » en moins de six mois.
Cette initiative se déclinait en cinq grands chantiers :
  • MyGov, qui prétend refonder les relations entre le gouvernement fédéral et les citoyens grâce à un ensemble de sites et de services développés avec les citoyens ;
  • Open Data Initiatives, qui entend prendre appui sur la généralisation de l’ouverture des données publiques pour stimuler la création de nouvelles entreprises et de nouveaux services ;
  • Blue Button for America, qui entend stimuler le développement d’applications de mesure et de maîtrise de leur santé par les individus eux-mêmes ;
  • RFP-EZ, une plateforme permettant aux startups de mieux s’orienter au sein du gouvernement fédéral et aux agences gouvernementales d’identifier plus rapidement des technologies « bon marché et à fort impact » ;
  • The 20 % initiative, pour permettre l’utilisation de toutes les ressources du paiement électronique au dans le cadre de sa politique étrangère, de ses opérations extérieures et de son aide au développement.
Elle allait, tout au long de l’automne, mobiliser le « directeur de la stratégie digitale de la Maison Blanche », le « Chief technology officer » des États-Unis, le « Chief information officer » du gouvernement, le « Chief innovation officer » de l’Agence pour le développement international, ou encore l’ONG Code for America - association de codeurs bénévoles tentant de développer des réponses à de grands problèmes d’intérêt général.
Autant de fonctions et de responsabilités qui n’existent quasiment pas dans les organigrammes des administrations européennes.

Certes, cette dernière initiative obéit aussi à un agenda électoral. Il n’est sans doute pas indifférent que cette initiative voie le jour au moment même où le Parti démocrate reçoit - pour la première fois dans son histoire - plus de financements issus de la Silicon Valley que de financements issus d’Hollywood. Ni qu’en cette même année, les 14 plus grandes entreprises Internet aient décidé de se regrouper en lobby commun - précisément pour faire pièce à la puissance d’Hollywood - et défendre leur conception de la liberté d’Internet à Washington. Un nouveau lobby pèse sur les démocrates et décale de ce fait leurs perceptions et leurs stratégies. Mais si cette mobilisation des techno-industries contribue à expliquer le rapprochement entre les « dot com » et les « dot gov », elle conforte par là même notre constat principal : la métamorphose numérique a bien commencé à toucher les pratiques de pouvoir, et en particulier les stratégies de l’État américain.

L'État peut-il se penser comme une ressource ?
Tous ces exemples - et nous pourrions les multiplier - dessinent un nouvel univers de pratiques de pouvoir. Il serait sans doute difficile de dessiner les contours précis de cette aspiration à de nouvelles formes de gouvernements, plus flexibles, plus participatives, plus ouvertes et interopérables, plus transparentes... Tout comme il serait délicat de les situer sur un échiquier politique traditionnel. Mais il est certain que nous assistons à un changement.
La tradition européenne tend souvent à concevoir l'État comme un souverain omniscient et distant, comme une structure «transcendante». Face à la complexité des défis contemporains, au désir de contribution des citoyens et des corps intermédiaires, et à leur puissance d'agir (liée à l'augmentation générale du niveau d'éducation et à la puissance acquise avec la révolution numérique), l’État doit peut-être apprendre à se concevoir comme «immanent», à entrer dans le jeu des interactions sociales, et surtout à faire levier sur cette puissance, à la stimuler, la nourrir et la mettre au service du bien public.

C’est une approche qu’a tenté de cerner un important ouvrage sur l'Open Government publié par Tim O’Reilly : l'État, en sus de ses fonctions régaliennes, doit se concevoir comme une ressource pour les citoyens désireux d'agir, et doit apprendre à créer et à mettre à disposition des ressources qualifiées, utiles et porteuses de valeur pour ces développements. Ces ressources ne sont pas seulement des aides, des services ou même des données, ce sont de plus en plus des logiciels, des codes ou des plateformes.
C’est la thèse que nous avions abordée dans L’Age de la multitude : l’une des principales conséquences de la révolution numérique est qu’elle libère, outille et nourrit un désir de création, de participation, d’utilité qui a toujours existé chez le plus grand nombre. Les géants de l’économie numérique ont très rapidement appris à capter cette énergie créative, tout comme un certain nombre de mouvements collaboratifs et citoyens. Ces stratégies de plateformes se sophistiquent de plus en plus, apprenant à stimuler ce désir de création, à le nourrir des meilleures ressources en données ou même en programmes, à organiser les rapports de production selon une logique de surtraitance, conférant ainsi encore plus de valeur économique et sociale à cette activité ininterrompue.

Les gouvernements ne pourront pas rester durablement à l’écart de cette logique qui ne cesse de prouver son efficacité. Ils devront tôt ou tard s’interroger sur le nouveau sens à donner à l’expression « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.»

3 commentaires:

  1. Caractère innovant ? Je ne crois pas, les sites promus par Vivek Kundra collectionnaient des fautes de débutant du Web 2.0, étaient appuyés sur des plateformes propriétaires (cahier des charges obligatoire de l'administration fédérale), et ont servi d'effet d'annonce ponctuel,notamment pour la cause du plan Keynesien de relance de début de mandat;
    Plan d'ailleurs qui fut facilement dénoncé comme inexistant au niveau de la création d'emploi promise par une enquête du Boston Globe à l'époque.

    O'Reilly a vraiment parfois de bonnes synthèses, et a un esprit ouvert, mais il ne faut jamais perdre de vue que c'est un supporter d'Obama, et à ce titre, lorsqu'il en parle, il faut filtrer et décoder ses éloges dans le bon sens.

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  2. Voilà un article après une veille personnelle des articles américains que j'ai écrit en 2009 sur le "fail" des tentatives de 2.0 de l'administration d'Obama. C'est très clair, mais l'enthousiasme et la hauteur de vue de Tim O'Reilly (que j'aime beaucoup en initiateur de l'Open Source) sont au-dessus de cela...

    Hélas c'est du travail bien fait dont il s'agit et qu'on aurait pu attendre au détour d'un effet de communication politique transcendantal qui a émoustillé la cible du public en ligne qu'on voulait toucher.

    http://netsansdetour.blogspot.fr/2009/10/persistance-des-mensonges-10-de.html

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  3. @Thierry
    Vous avez sans doute raison. Mais il a été nommé début 2009, votre article ne lui laisse que quelques mois, et il a été débarqué peu après.
    Mais l'histoire a continué ensuite.

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