jeudi, février 17, 2011

Ma "big interview" dans Technikart

En décembre dernier, le magazine Technikart a publié la "big interview de Henri Verdier" dont Cap Digital a mis en ligne une version PDF. Mais le texte n'est pas encore disponible sur la toile. Or, à la relecture, ce dialogue avec Olivier Malnuit couvre une grande part des problèmes économiques et sociaux qui brident encore le développement de cette industrie. C'est pourquoi je suis heureux de le partager avec vous.

Henri Verdier, il y a dix ans, les start-up croulaient sous les investissements. Aujourd’hui, l’Etat réduit leurs aides fiscales et c’est le tollé… On a un problème avec « l’économie innovante » en France ?
On n’a jamais eu tellement d’argent pour les PME innovantes en France, mais il y a pire : l’école nous apprend à craindre l’échec, les grandes entreprises hésitent à passer des contrats avec de petites structures, les capitaux-risqueurs investissent avec prudence, notre marché national « moyen » permet aux PME de se développer sans réfléchir sérieusement à l’international (ce qui n’est pas le cas, par exemple, en Israël ou en Finlande). Quant à la proximité sociologique entre les grandes entreprises, la haute administration et le pouvoir politique, elle crée un climat général de méconnaissance complète des PME par les élites. D’une certaine manière, c’est la société française qui handicape ses entreprises innovantes.

Vous croyez ?
Ici, la confiance est un actif qui se conquiert lentement. Aux Etats-Unis, c’est un actif de départ qui se conserve ou se perd. C’est toute la différence.
Je ne suis pas pessimiste pour autant : nous sommes un pays ultra-créatif, très curieux d’innovation, et nous avons un nombre croissant d’entrepreneurs qui comprennent les ficelles. Le jeu vidéo, par exemple, est une industrie dont le marché est entièrement mondial et où la France excelle. Mais disons que nous partons de loin.

Que va-t-il se passer, d’ici quelques années, si on n’aide pas plus les « jeunes entreprises innovantes » ?
Le plus impressionnant avec la révolution numérique, c’est qu’elle est presque entièrement portée par des startups. Ni le web, ni Google, ni la messagerie instantanée, ni les réseaux pair à pair, ni les réseaux sociaux n’ont été inventés par des grands groupes. Aux Etats-Unis, en 2009, 100 % des emplois créés l’ont étés dans des entreprises de moins de 5 ans.
La valeur de ces innovations vient très souvent des utilisateurs eux-mêmes, les nouvelles stratégies tentent de stimuler et de capter leur créativité. Et ces formats d’innovation gagnent aujourd’hui d’autres secteurs comme la pharmacie ou l’automobile.
Si notre pays ne croit pas sérieusement au potentiel d’innovation de ses PME, il deviendra un pays industriellement marginal. C’est comme si en 1900, on avait renoncé au cinéma, à l’électricité, à l’aviation, au rail ou à l’automobile. Pire, en perdant la capacité de produire des objets ou des services grand public, notre pays perdra aussi la maîtrise de son destin culturel.

Comment ça ?
Regardez comment s’habille un ado et ce qu’il possède comme objets : rien n’est français ou presque. Regardez quels sont les dix produits de grande consommation les plus achetés hors alimentation. Rien de français. Nous fabriquons des TGV et des centrales nucléaires, mais nous n’entrons pas dans l’intimité des gens. L’intimité est façonnée par les produits d’autres cultures... Un pays qui ne parle plus au grand public est un pays qui décline. De ce point de vue, je pense que nous accumulons les erreurs depuis des décennies.

Quel rôle peuvent jouer les pôles de compétitivité ?
Les pôles de compétitivité associent des entreprises, des chercheurs, des collectivités locales et l’Etat pour cultiver des écosystèmes innovants. Ils jouent un rôle croissant. Cap Digital, par exemple, travaille avec acharnement à soutenir les projets de recherche structurants, à accompagner les créateurs, à faire émerger un écosystème dynamique et ambitieux (…). Mais il ne faut pas être dupe. Un pôle de compétitivité, c’est une association (17 permanents pour Cap Digital – parfois moins), beaucoup de bénévolat et d’enthousiasme : c’est essentiel, mais ça ne suffit pas. Il faudrait un changement bien plus vaste. Il faudrait du temps et des moyens pour faire un travail de fond. Il a fallu un quart de Siècle pour faire de Séoul, ou Rio, ou Boston de grandes places d’innovation.

Quel sera le gros virage technologique de ces quatre prochaines années ?
Vous vous rendez compte que Foursquare a explosé en 2010 ? Twitter en 2009 ? Facebook en 2008 ? Youtube en 2006 ? Dans ce secteur, raisonner sur quatre ans, c'est déjà parler à long terme.
Mais si vous souhaitez vraiment vous lancer dans la prospective, je dirais qu’il y a d’abord des flux d’innovations qui vont conditionner toutes les autres, notamment le web social, le cloud  et le datamining…