mercredi, mars 16, 2011

The Social Network : allégorie plus que biopic




Je n’avais pas encore pris le temps de voir The Social Network, de David Fincher. Pourtant, j’étais le coeur de cible naturel : un film sur l’aventure Facebook scénarisé par Aaron Sorkin – le créateur de The West Wing quand même. C’est dire si j’ai peu le temps d’aller au cinéma.

Un long trajet en avion m’a permis de le voir enfin. Et à ma grande surprise, je n’ai pas du tout vu le film qu’on m’avait annoncé.

Les amis m’avaient dit : « pas mal, va le voir ». Mais ils n’avaient pas l’air si chauds que ça.
La presse et le discours ambiant en faisaient surtout l’histoire d’un type sans foi ni loi, qui avait trahi tous ses amis pour devenir milliardaire. D’autres parlaient de ce gars, un peu nerd, qui avait développé un site pour mieux draguer les filles, et qui était devenu « milliardaire malgré lui » (ce qui est d’ailleurs le titre du livre ayant inspiré le film).

J’ai vu au contraire un film consacré à l’art et la manière de changer le monde avec le numérique, et au prix à payer pour y parvenir. Tellement centré sur ce sujet qu’il en devenait même parfois un peu didactique, voire pesant.

Fondamentalement, The Social Network me semble être construit en trois actes, qui montrent les trois renoncements consentis par Mark Zuckerberg. Trois trahisons, peut-être, mais de lui-même bien plus que des autres.

  1. Il y a d’abord le renoncement à l’ordre ancien. Approché par des gosses de riche, nantis et éduqués, membres des meilleurs clubs et excellents à l'aviron, qui lui proposent, avec un brin de condescendance, de développer une sorte de Who’s who de Harvard, il envisage (ou feint) de les aider, avant de lancer son propre service. Il renonce de ce voie à la carrière toute tracée au sein de l’ancienne élite, de ses méthodes, de ses valeurs et de sa vision de l’ordre social. De manière très significative, ses comparses commencent par refuser de l’attaquer en justice (parce que ce n’est pas « gentleman », puis décident de le faire lorsqu’ils réalisent que même les gentlemen anglais commencent à utiliser Facebook.
  2. Il y a ensuite le renoncement au conformisme. Le premier associé de Zuckerberg, Eduardo Saverin, est sympathique, généreux, volontaire, mais il n’est pas bon. Il applique gentiment ses méthodes de « management » issues des meilleurs écoles de business, ne pense qu’à monétiser avant que de faire (Zuckerberg ne cessant de lui répéter « comment veux-tu monétiser, on ne sait même pas ce qu’on a fait »). Court les réseaux financiers new-yorkais. S’empêtre. Il n’aurait jamais créé Facebook. Zuckerberg le dilue et le jette. Sinon, il aurait créé un petit site média comme il y en a des milliers.
  3. Mais il y a aussi le renoncement à l’hubris. C’est Sean Parker, le fondateur de Napster (le premier, le vrai, pas celui-là), qui ouvre les yeux de Zuckerberg et le convainc qu’il y a là une « boîte d’un milliard de dollars », et non pas d’un million. Lui, c’est l’hubris californien. L’ambition de changer le monde. La furie créatrice. Il gagnera 7 % de la société mais y apportera la drogue, les fêtes, les conquêtes faciles et pas toujours majeures. Exit Parker, « I’m the CEO, bitch », ayant surmonté toutes ces épreuves, Facebook peut naître.

Presque trop simple, si ce n’était pas une histoire vraie. Nul doute cependant que la vérité a été plus complexe et plus cahotique.

Autour de ces trois actes, qui sont l’ossature du film, il y a quelques notules, plutôt bien vues :
-   Zuckerberg est habité par la modélisation des relations sociales. Il vexe sa première girlfriend parce qu’il objective de manière trop violente sa vision de la domination sociale (et sa perception de la valeur des études de celle-ci). Il a déjà développé plusieurs projets de notation sociale. Il ne voit que cela et ne pense qu’à cela ;
-   tellement habité par son sujet, Zuckerberg ne comprend même pas comment on peut l’accuser de plagiat. Si le projet de Who’s Who de Harvard peut ressembler, de loin, au sien, il n’en voit que les différences, la propagation en réseau, le fait que les gens s’en emparent et y mettent spontanément leurs informations personnelles. Il voit que les autres n’auraient pas su le développer. Il ne peut même pas entrevoir la ressemblance ;
-   Zuckerberg est avant tout un codeur hors pair, qui recherche des codeurs hors pair et respire l’informatique ;
-   le vieux monde ne comprend rien à la valeur qui se crée sous les yeux. Larry Summer, président de Harvard, retoque les gosses de riche qui parlent d’entreprise à dizaines de millions en leur disant « Je suis l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor, je connais la valeur des choses. »
-   la véritable naissance de Facebook a lieu le jour où Zuckerberg et Parker entrent dans le bureau des VC. C’est la sortie de l’attraction planétaire et la mise en orbite. Jusque là, le projet vivote.

Amusant que tous ces commentaires, qui m’ont semblé évidents, n’aient pas été perçus par les commentateurs français. On a encore un peu de chemin à faire pour s’approprier cette culture...

Je profite de ce billet spécial cinéma pour vous recommander de jeter un coup d’oeil au premier prototype que lancera l’équipe de MFG-Labs : www.cinemur.fr. Et n’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez...

1 commentaire:

  1. Vous avez bien raison. En fait c'est un roman initiatique de facture assez classique...

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