Affichage des articles dont le libellé est Industrie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Industrie. Afficher tous les articles

dimanche, juillet 06, 2014

Le numérique dévorera-t-il le luxe ?



Alice, Nicolas et Oussama m'ont invité à parler ce mercredi à "Hackers on the Runway", la grande rencontre organisée par TheFamily autour de la disruption digitale de l'industrie du luxe.

Et ils m'ont demandé de parler de big data.

Evidemment, c'etait paradoxal. Le numérique dévore le monde, c'est entendu. Mais il l'attaque plutôt par la technologie, l'algorithme, la personnalisation ou la massification.

Le luxe, on pourrait penser que ça va être autre chose. Enfin si, comme moi, on entend par luxe le geste glamour, élitiste, précieux et inaccessible. C'est vrai qu'on a un peu de mal à l'associer au  numérique. J'y pensais d'ailleurs l'autre jour, traversant l'une de ces villes du sud de la France où 80 % des femmes sont blondes, couvertes de bijoux, et où les nouveaux riches aiment des costumes, des voitures et des restaurants auxquels je ne songerais même pas. Je me disais justement que leurs smartphones, en revanche, sont ceux que nous voyons tous les jours dans le métro. Et je me demandais si le numérique ferait naître une nouvelle Distinction ou s'il nous promettait désormais la même perfection à portée de tous ?

Au fond, le luxe doit assumer une position paradoxale par rapport à la modernité. Il vise l'intemporel, l'éternel, il enjambe son temps. Comme le dandy de Dolto : "C'est au coeur même de Dieu qu'il doit atteindre, flèche de désir, c'est au coeur de Dieu qu'il doit ficher son cri".

Et en même temps, il est totalement de son temps, parce qu'il en convoque toutes les technologies, parce qu'il en épouse les aspirations les plus secrètes, parce qu'il lui propose de nouvelles formes de "distinction" au sens de Bourdieu, parce qu'il couronne une économie, dont il dépend. Mais aussi parce qu'il inquiète son temps qui ne cesse de tenter de le contrôler, comme le montre la longue histoire de édits somptuaires et de leurs tentatives, au fil des siècles, sur tout les continents, pour l'organiser et le limiter. Et surtout parce que le luxe, quoi qu'on en pense, a toujours une dimension politique.




vendredi, octobre 11, 2013

Commission Lauvergeon : lancer la course au large...

La Commission Innovation 2030, présidée par Anne Lauvergeon, a remis aujourd'hui ses conclusions au Président de la République.

Le rapport complet est disponible ici.  Installée le 19 avril dernier, la commission rassemblait 20 personnalités de trajectoires et d'horizons différents. J'ai eu l'honneur et le plaisir d'être l'un d'entre eux. Elle a travaillé depuis lors autour d'une feuille de route assez claire : conquérir des positions de forces sur les marchés stratégiques de 2030.

Très vite, nous nous sommes accordés sur la nécessité, au delà de la question des thématiques porteuses, d'infléchir les politiques d'innovation elles-mêmes. En effet, même en identifiant les sujets les plus prometteurs, il nous semble difficile d'être ambitieux sans faire évoluer l'environnement lui-même (ce que nous appelions "le PH de l'aquarium" pour nous souvenir que même les plus beaux poissons succombent s'ils ne sont pas placés dans l'environnement adéquat), et sans infléchir les politiques d'innovation elles-mêmes...

Sept ambitions françaises

Il s'agissait tout d'abord proposer une stratégie concentrée sur un nombre limité de thématiques. La stratégie, c'est bien souvent savoir hiérarchiser ses priorités, et dans notre bon vieux pays, la dilution des bonnes intensions commence à ressembler à un fléau national. Pour identifier des objectifs cibles, nous avons croisé plusieurs critères, pour rechercher :
  • des marchés porteurs, au vu des tendances lourdes (environnement, démographie, économie, évolutions sociétales...) ;
  • des marchés où l’innovation scientifique, technique et industrielle peut faire la différence ;
  • des secteurs où les atouts actuels de la France rendent nos ambitions légitimes ;
  • des secteurs où l'intervention publique peut apporter une accélération ;
  • des secteurs susceptibles de créer de l'emploi et de la puissance industrielle.
Au terme de ces analyses, et en assumant la responsabilité d'avoir été selectifs, nous avons identifié sept ambitions qui nous semblent particulièrement prometteuses :

Le stockage de l’énergie
Le développement des énergies renouvelables, pour la plupart intermittentes, l’optimisation de la production électrique et le développement de la portabilité nécessitent des innovations de rupture  indispensables à la réussite de toute transition énergétique.
Le recyclage des matières
La raréfaction et le renchérissement des métaux mais aussi la protection de l’environnement rendront indispensables le recyclage, en particulier des métaux rares.
La valorisation des richesses marines : métaux et dessalement de l’eau de mer
La valorisation des métaux présents au fond de la mer et un dessalement moins énergivore de l’eau de mer apporteront des ressources indispensables à une population en croissance. 
Les protéines végétales et la chimie du végétal
De nouveaux produits alimentaires reposant sur des protéines végétales devront être conçus pour répondre à la croissance de la demande alimentaire mondiale que le secteur de l’élevage ne pourra seul satisfaire.
La médecine individualisée
Le développement des sciences « omiques » (génomique, protéinomique, etc.), les liens croissants entre dispositifs médicaux et thérapies ainsi que le développement du numérique vont faire émerger une médecine de plus en plus personnalisée, porteuse d’une plus grande efficacité collective et individuelle, avec des traitements adaptés. 
La « silver economy », l’innovation au service de la longévité
D’ici 15 ans, 1,2 milliard d’habitants auront plus de 60 ans dans le monde. Les seniors assureront la majorité des dépenses en France. Une économie nouvelle se développera répondant entre autres à la perte d’autonomie.
La valorisation de données massives (Big Data)
La multiplication des données créées par les particuliers, les entreprises et les pouvoirs publics sera porteuse de nouveaux usages et de gains de productivité. La mise à disposition par l’Etat et par ses opérateurs des données publiques constituera une opportunité pour favoriser l’essor de nouvelles start-up. 

mardi, février 05, 2013

(billet invité) Alain Cadix : le designer "et ingénieur et artiste"


Alain Cadix est ancien directeur de l’ENSCI – Les Ateliers. Il conduit aujourd’hui l’Initiative d’excellence du Pôle de recherche et d’enseignement supérieur « Hautes études, Sorbonne, arts et métiers » (Pres HéSam) dont fait partie le Centre Michel Serres pour l’innovation. 


Lorsque je pris mes fonctions à l’ENSCI – Les Ateliers en 2007, moi qui n’étais pas designer, je fus persuadé que le designer n’était « ni ingénieur ni artiste » et qu’il se situait dans une position intermédiaire. Peu de temps après je m’étais convaincu qu’il devait être « et ingénieur et artiste ». Pour lui-même comme pour l’industrie. A l’heure d’un redressement recherché, je vais tenter d’expliciter cette position.

Un petit survol historique tout d’abord : jusqu’à la révolution industrielle la figure dominante de l’univers productif fut celle de l’artisan ; l’artisan était aussi un artiste en son métier. Au 19ème siècle apparut la figure de l’ingénieur dans l’industrie. Bien plus tard se dessina celle du designer, d’abord dans le monde anglo-saxon puis, vers le milieu du 20ème siècle, en France. C’est en 1949 que Jacques Viénot et Jean Parthenay créèrent l’agence Technès et en 1953 que l’ingénieur Roger Tallon les rejoignit.  C’est à cette époque que naquit le design industriel dans notre pays. Entre temps  œuvrèrent des ingénieurs – maîtres en esthétique dont Gustave Eiffel à la fin du 19ème  et André Citroën au début du 20ème furent les figures emblématiques d’une grande tradition. 

En ce début de 21ème siècle, qu’est-ce qu’un designer ? Pour y répondre il faut d’abord (re)dire ce qu’est le design. Je le définis pour ma part comme l’art de donner forme aux objets à dessein. A partir de dessein, objets, forme, il se décline dans ses multiples champs d’intervention contemporains, même si, encore, la majorité des français le considère seulement comme un art décoratif. Le dessein se projette dans un espace multidimensionnel, individuel / collectif, social ou sociétal / économique.  Le dessein est politique et esthétique. Les objets, quant à eux, sont des systèmes, des produits et services, des espaces, avec leurs parts de matérialité et d’immatérialité, reflet de la nature tangible et intangible en même temps de l’industrie de ce siècle. La forme, enfin, n’est pas qu’un bord, une limite, elle est une structure finalisée, fonctionnelle, dessinée et destinée à l’usage ; elle est la concrétisation esthétique d’un concept ; elle est un aboutissement, comme l’affirme le designer Jean-Louis Fréchin. J’insiste sur ce point en prenant trois références. Paul Klee, tout d’abord, pour qui « la forme au sens vivant est une forme avec des fonctions sous-jacentes : en quelque sorte une fonction de fonctions » ; Piet Mondrian ensuite, dont les propos sur l’architecture s’appliquent, selon moi, au design : « en architecture (en design, donc), l’extérieur s’exprime selon la construction interne » ; Steve Jobs enfin, pour qui le design, loin de se limiter à un habillage, « est l’âme d’un produit qui s’exprime du cœur jusqu’à l’enveloppe extérieure, couche par couche ». La forme de l’objet, raison d’être du designer, est le résultat, au profit des parties prenantes, des compromis (et des synthèses aussi) entre économie et imaginaire, entre fonction et esthétique, entre cœur technique et enveloppe sensorielle, intérieur pressenti et extérieur ressenti. Le seul fait que l’intérieur et l’extérieur soient indissociables, que dessiner le second ne puisse se faire sans maîtriser le premier, donne du poids à la position « et ingénieur et artiste ». 

mercredi, avril 11, 2012

Premiers enseignements du colloque sur la néoindustrialisation


Mardi 27 mars, dans le cadre des huitièmes Rencontres Cap Digital, se tenait un court colloque sur la néoindustrialisation.

Nous avions choisi ce thème central, à la fois pour souligner l'importance de concevoir une véritable politique industrielle, pour appeler à tourner le dos à l'idéologie du "Fabless" - cette pensée méprisante qui a voulu réserver les tâches créatives à l'Occident et la production au tiers-monde -, et pour insister sur la nécessité de réfléchir à une politique industrielle moderne, tenant compte de la transformation numérique.

Nous avons eu  un débat de très grande qualité. Je vous conseille vivement d'en regarder les actes, accessibles sur la "webconf TV" inaugurée à cette occasion par Cap Digital.

Nous allons travailler sur cette matière très dense, dont nous n'avons pas fini de tirer les enseignements. Mais je voudrais d'ores et déjà, à chaud, partager quelques notes tirées de ces échanges.

1- l'ampleur de la transformation numérique des industries et des services dépasse tout ce que nous imaginions.
Les témoignages de notre première table ronde furent à cet égard éloquents.
Les studios Eclair, engagés dans le cinéma depuis 1907, ont travaillé un siècle sur les mêmes technologies de base avant de devoir changer brutalement en quelques années. La Poste a du, en quelques années, réinventer ses services, son activité, sa logistique, son management et son rapports aux utilisateurs (gagnant de ce fait le prix du manager d'entreprises du prix des technologies numériques 2012). Unowhy avait conçu une tablette tactile un peu avant Apple, et a su rebondir en se spécialisant sur un segment porteur, la cuisine, avant de décider de produire sa célèbre tablette Qooq en France, tant pour des raisons de coût que de qualité. Archos, l'un des nouveaux espoirs français en matière d'électronique grand public, qui faillit bien, lui aussi, succomber au succès de l'IPad, avant de se repositionner à toute allure. Mia electric s'est emparé de tout ce que permet aujourd'hui le numérique pour bouleverser les méthodes de conception et de production d'une voiture et proposer un petit bijou de voiture électrique.
Tous ces métiers, dont aucun n'est à proprement parler numérique, ont témoigné des conséquences de l'entrée dans l'ère numérique. La rapidité, la fluidité, la disruption, le design, l'open source, la concentration de la valeur ajoutée ne sont pas l'apanage du consumer internet. Ces bouleversements concernent tous les métiers désormais.

2- Que deviennent les usines ?
La brillante conférence de Marc Giget nous a ensuite entraîné dans une réflexion sur ce que sont en train de devenir les usines après la révolution industrielle en cours.
Nous avons tous en tête des images d'usines fermées - il y a de quoi depuis dix ans. Ces images nous dissimulent la nouvelle réalité.
Après la révolution numérique, l'usine plus compacte, plus dense en technologie, moins dense en salariés - mais ils sont mieux payés - est un nouveau lieu de relations et de production. Son empreinte sur l'urbanisme, notamment, a considérablement changé et permet de concevoir de nouvelles implantations, à la périphérie des villes, mais en contexte urbain.

samedi, avril 07, 2012

Le numérique, moteur du changement économique et social


L'Institut Edgar Quinet organisait la semaine dernière un colloque intitulé "Le numérique, moteur du changement", qui fut l'occasion de creuser les changements économiques, les changements sociaux et la question de l'éducation à l'ère de la révolution numérique. Toutes les vidéos sont en ligne, je vous conseille d'y jeter un coup d'oeil, juste ici.

L'intervention qui m'était proposée a été pour moi l'occasion de reprendre les réflexions sur la néoindustrialisation, telle qu'évoquées dans mon dernier billet, enrichies par quelques réflexions issues du colloque de Cap Digital du mardi précédent (les vidéos, ici) et des réflexions que l'on retrouvera bientôt dans le livre que nous venons d'achever avec Nicolas.

lundi, mars 26, 2012

Après le numérique : quelle réindustrialisation ?

La question industrielle, a fait une entrée spectaculaire dans la campagne présidentielle. Du « pacte industriel » au « produire en France » en passant par le protectionnisme, elle a structuré un moment du débat. Cette prise de conscience est une excellente nouvelle dans un contexte de mondialisation, de crise économique, de chômage élevé, mais aussi d'irruption d'une modernité explosive, créative et imprévisible. La France a soudainement redécouvert combien elle avait eu tort de privilégier excessivement les services - considérés à tort comme non délocalisables. Elle a redécouvert l'importance stratégique d'une véritable politique industrielle. Elle a compris qu’un pays qui ne fabrique pas de produits finit par perdre son rayonnement culturel et donc sa souveraineté et même ses capacités de dialogue avec les autres peuples...

Malheureusement, au delà du volontarisme apparent, on n'a pas encore vu se dessiner de contenu concret pour cette politique industrielle désormais appelée par tous. Et l'on n'a surtout pas entendu de véritable proposition de stratégie de l'action collective. On pourrait donc craindre que ce bon premier mouvement ne débouche plus sur un retour en arrière (la "réindustrialisation") que sur un véritable projet de dépassement (la "néoindustrialisation"). C'est de cette "néoindustrialisation" que nous parlerons au cours de ces Rencontres de Cap Digital