mercredi, novembre 12, 2014

Statactivistes ? Encore un effort pour être vraiment révolutionnaires

La semaine dernière, j'ai été invité par Sabine Blanc et Samuel Goëta à participer à un passionnant débat de l'OKFN sur le "Statactivisme".
Le prétexte à cet échange était la parution, en mai dernier, du livre d'Isabelle Bruno, Emmanuel Didier et Julien Prévieux : Statactivisme, comment lutter avec des nombres.

C'est un livre joyeux et stimulant, qui, constatant le lien intime entre la statistique et le pouvoir, s'efforce d'armer ses lecteurs pour qu'ils résistent mieux à cette collusion. C'est un livre tonique et rebelle, qui se propose de nous apprendre à lire les statistiques, de nous familiariser avec les innombrables moyens de les manipuler, mais surtout de nous apprendre à lutter avec ces armes de pouvoir, en sachant critiquer les statistiques, en produisant nous-mêmes des contre-statistiques, voire par d'autres formes de subversion, y compris artistique (c'est d'ailleurs l'une des dimensions importantes et imprévues de ce bel ouvrage)...

Ce fut une belle soirée, où nous avons pu échanger avec Joël Gombin, de l'Université de Picardie, Laure Lucchesi, directrice adjointe d'Etalab, Hervé Paris, d'Altercarto ("mutuelle de données, de cartes et de savoir-faire"), Xavier Moisant, le célèbre blogueur ferroviaire, et Edouard Schlumberger, fondateur de Vroomvroom.fr.

Et pourtant, cette soirée m'a laissé un sentiment d'inachevé. Comme l'impression que la manière dont on posait la question risquait de nous faire rater quelque chose d'essentiel sur les évolutions en cours des rapports entre le nombre et le pouvoir. Au risque, paradoxal, de renforcer les formes de pouvoir que ce "statactivisme" prétend combattre.

lundi, octobre 27, 2014

Gouvernement des algorithmes : une contribution au débat

Une controverse fondamentale se noue actuellement sur l'émergence - réelle ou supposée - du "gouvernement des algorithmes." Et sur ses dangers, parmi lesquels, certains annoncent tout simplement "la mort du politique".

Les datasciences entrent concrètement dans nos existences : capacité à nous proposer les livres ou les destinations qui nous intéressent, big data appliqué à la lutte contre la fraude fiscale, optimisation des patrouilles de police par le logiciel Predpol, choix de la meilleure distribution des équipements publics dans une ville, smarts cities, allocation des ressources douanières, assistance informatique à la décision du chirurgien ou du juges des libertés, calcul du prix de notre billet d'avion, recours au A/B testing pour choisir la meilleure manière de nous adresser un courrier de relance. Nous pressentons la force de cette vague qui englobe le développement des datasciences, l'analytique prédictive, le succès des  data-driven strategies, l'augmentation de l'intelligence embarquée dans un nombre croissant d'objets, la personnalisation de plus en plus grande des biens et des services, les bulles algorithmiques de plus en plus adaptées à nos personnalités, un monde de plus en plus serviciel...
Nous sentons aussi qu'il s'agit d'une nouvelle forme de pouvoir, qu'il soit exercé par de grandes entreprises commerciales ou par des gouvernements. Et nous ressentons une sourde inquiétude face à un monde de plus en plus "intelligent", c'est-à-dire en fait de plus en plus capable de nous suivre, de nous connaître, de nous servir mais aussi de nous guider vers le "meilleur choix".

Vers quoi tendent toutes ces évolutions ? Quel avenir nous réservent-elles ? Quel projet inconscient les sous-tendent ? Il n'est pas inutile de se poser ces questions maintenant... Et justement, la polémique a commencé cet été, et de belle manière.

lundi, septembre 08, 2014

La fin de l'innovation ?


En 1992, peu de temps après la chute du mur de Berlin, le politologue américain Francis Fukuyama nous prédisait, tout simplement La Fin de l'histoire et le dernier homme.
Fascinés par leur victoire contre l'URSS, et sans doute appatés par les relents hégéliens de ce texte, les intellectuels du monde entier lui assuraient un succès inattendu. De manière étonnante, personne ne sembait s'inquiéter du recours à une expression, "le dernier homme", que Nietzsche avait pourtant adoptée pour nous dresser le portrait peu enthousismant du stade ultime du nihilisme...
Trente ans plus tard, le jihad à toutes les sauces, la géopolitique de la Russie, la trajectoire de "pays émergents" qui sont devenus bien plus qu'émergents nous permettent de remettre ces analyses à leur juste place, et d'apprendre à nous méfier, comme avait su le faire Derrida dès 1993, des prétentions à fermer le rideau de l'histoire...

Pourtant, ces théories de la fin de l'histoire, de la fin du progrès, de la fin de l'homme lui-même semblent avoir la vie dure, et connaissent,depuis quelques années, un nouvel avatar avec les théories, très appréciées dans les milieux économiques, sur la "fin de l'innovation".
Le prix Nobel d'économie, Edmund Phelps, en tirait un livre l'an dernier, expliquant que toute la crise depuis la fin des Trente glorieuses provenait de l'incapacité à innover de l'Occident (thèse que je ne conteste pas complètement d'ailleurs). Surfant sur la vague, pas toujours avec la même érudition, d'autres économistes ont tenté, récemment, de prouver que la révolution numérique n'avait pas été si importante que cela, finalement. D'autres encore reconnaissent son impact, tout en la considérant comme désormais épuisée.

D'après Le Monde du 1er septembre, cette thématique sera au coeur d'un prochain rapport du Conseil d'analyse économique. Un consensus émergerait chez les économistes :  la croissance serait durablement affectée par le manque de gains de productivité de notre économie, lui-même imputable à la faible puissance d'innovation actuelle, et au caractère trop faiblement disruptif des technologies numériques.

Bon. En première instance, ça me rappelle cette planche de Gotlib :


Mais en même temps, on n'a pas vu le rapport. Laissons-lui sa chance. Car ce qui est sûr, c'est que la question mérite quelques élaborations...

lundi, septembre 01, 2014

Open data and democracy

This post is the translation of my blogpost "L'open data est-il soluble dans la big society ?" by André Confiado of Five by Five

An article entitled "Is open data a political illusion ?" appeared beginning of July on the journal MyScienceWork, then reprinted in La gazette des Communes, and then by Rue89.

This interview by Evelyne Ruppert, a British sociologist and notably the writer of the blog Big data and society, is inspired by her work on transparency in Britain which she appears to know well, but adapter to the French approach, of which she appears to know a little less.

Evelyne Ruppert formulates an analysis which can be summarized as:
absolute transparency is an illusion, since governments always choose what they want to communicate, and never share the most important information ;
- transparency does not build confidence, but rather mistrust, since it can never be complete ;
- the steps for transparent limits citizens to data that we’d like to transmet to them ;
- Open Data promises a more direct rapport with power, but in fact creates a new technocracy, that of those that can understand data ;
- thus, close attention has to be paid to documenting the data itself (who created it, when, why, etc.) in order to allow citizens to criticize the data that is given to them.

Double mistrust

A number of friends ask me what I think of this paper. It’s embarrassing: I more or less agree with everything that it says, but I don't  really concerned.

Fundamentally, I think Evelyne Ruppert reasons from an implicit idea that I would qualify as a "model of double mistrust."

Her implicit reading of the Open Data movement is the following: as a response to the increasing mistrust of citizens, governments decided to release certain information allowing citizens to control them better, hoping to restore this confidence.

I do not know if this reasoning exists elsewhere. One feels that this is related to the British context where open data is hard to separate from the Big Society project. However, what I know is that this is not the context of the French government, and that it is not the spirit in which Etalab works.

In France, the opening and sharing of public data is not seen as an end by itself, but rather levers that can serve three objectives:
- a more complete democracy;
- innovation and growth;
- and a more efficient public action.

lundi, août 11, 2014

L'open data est-il soluble dans la "big society" ?


Début juillet paraissait dans la revue MyScienceWork un article, repris ensuite par La gazette des Communes, puis par Rue89 / Nouvel Observateur, intitulé “L’Open data est-il un leurre politique ?”.

Cette interview d’Evelyne Ruppert, une sociologue britannique, notamment à l’origine du blog “Big data et society”, s'inspire de ses travaux sur la transparence britannique, qu’elle semble bien connaître, mais porte sur la démarche française, qu’elle semble moins connaître. Evelyne Ruppert y développe une analyse que l’on pourrait résumer comme suit :
- la transparence absolue est un leurre, car les gouvernements choisissent toujours ce qu’ils communiquent, et ne partagent jamais les informations les plus importantes ;
- la transparence, parce qu’elle ne peut jamais être complète, ne crée pas la confiance mais au contraire la défiance ;
- la démarche de transparence enferme les citoyens dans les données qu’on veut bien leur transmettre ;
- l'open data promet un rapport plus direct au pouvoir, mais crée en fait une nouvelle technocratie, celle de ceux qui maîtrisent les données ;
- il faudrait donc porter la plus extrême attention à documenter les données elles-mêmes (qui les a produites, quand, pourquoi, etc.), afin de permettre l'exercice par les citoyens d'une critique des données qui leurs sont transmises.

De nombreux amis me demandent ce que je pense ce ce papier. C'est embarassant : je suis à peu près d’accord avec tout ce qui s’y dit, sans me sentir pour autant réellement concerné.

Au fond, je crois qu'Evelyne Ruppert raisonne à partir d’un implicite que je qualifierais de “modèle de la double défiance”. Sa lecture implicite du mouvement open data est la suivante : en réponse à la défiance croissante des citoyens, les gouvernements se résoudraient à lâcher certaines informations permettant aux citoyens de mieux les contrôler, dans l’espoir de restaurer cette confiance. 

Je ne sais si ce raisonnement existe quelque part. On sent bien qu'il est lié à un contexte britannique où l'open data est difficilement séparable du projet de Big Society. Mais ce que je sais, c’est que ce n’est pas celui du gouvernement français, et que ce n’est pas l’esprit dans lequel travaille la mission Etalab. En France, l’ouverture et le partage des données publiques ne sont pas vues comme des fins en soi, mais comme des leviers qui peuvent être mis au service de trois objectifs : une démocratie plus aboutie, l’innovation et la croissance, et une meilleure efficacité de l’action publique.


dimanche, juillet 06, 2014

Le numérique dévorera-t-il le luxe ?



Alice, Nicolas et Oussama m'ont invité à parler ce mercredi à "Hackers on the Runway", la grande rencontre organisée par TheFamily autour de la disruption digitale de l'industrie du luxe.

Et ils m'ont demandé de parler de big data.

Evidemment, c'etait paradoxal. Le numérique dévore le monde, c'est entendu. Mais il l'attaque plutôt par la technologie, l'algorithme, la personnalisation ou la massification.

Le luxe, on pourrait penser que ça va être autre chose. Enfin si, comme moi, on entend par luxe le geste glamour, élitiste, précieux et inaccessible. C'est vrai qu'on a un peu de mal à l'associer au  numérique. J'y pensais d'ailleurs l'autre jour, traversant l'une de ces villes du sud de la France où 80 % des femmes sont blondes, couvertes de bijoux, et où les nouveaux riches aiment des costumes, des voitures et des restaurants auxquels je ne songerais même pas. Je me disais justement que leurs smartphones, en revanche, sont ceux que nous voyons tous les jours dans le métro. Et je me demandais si le numérique ferait naître une nouvelle Distinction ou s'il nous promettait désormais la même perfection à portée de tous ?

Au fond, le luxe doit assumer une position paradoxale par rapport à la modernité. Il vise l'intemporel, l'éternel, il enjambe son temps. Comme le dandy de Dolto : "C'est au coeur même de Dieu qu'il doit atteindre, flèche de désir, c'est au coeur de Dieu qu'il doit ficher son cri".

Et en même temps, il est totalement de son temps, parce qu'il en convoque toutes les technologies, parce qu'il en épouse les aspirations les plus secrètes, parce qu'il lui propose de nouvelles formes de "distinction" au sens de Bourdieu, parce qu'il couronne une économie, dont il dépend. Mais aussi parce qu'il inquiète son temps qui ne cesse de tenter de le contrôler, comme le montre la longue histoire de édits somptuaires et de leurs tentatives, au fil des siècles, sur tout les continents, pour l'organiser et le limiter. Et surtout parce que le luxe, quoi qu'on en pense, a toujours une dimension politique.




jeudi, juin 26, 2014

L'Etat peut-il être un innovateur radical ?

La simplification, la modernisation et l'efficacité de l'Etat intéressent de plus en plus de monde, et sont désormais portées au plus haut niveau de l'Etat. C'est une bonne chose. La question de ce ce que doit être la puissance publique du XXIe Siècle, et de savoir comment elle doit s'organiser, est sans doute l'une des plus importantes questions politiques du moment.

Comme les autres révolutions industrielles, la révolution numérique appelle une révolution politique, qui n'est pas jouée, mais qui redéfinira à terme le rôle, les missions et les stratégies de l'Etat. Edwy Plenel a magnifiquement parlé de cette question au cours de l'installation de la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Regardez la vidéo si vous en avez le temps...

Dans cette révolution politique, la stratégie digitale de l'Etat joue un rôle fondamental. C'est elle qui peut permettre à l'Etat de s'approprier les gains de productivité et d'efficacité apportés par le numérique. C'est elle peut lui permettre d'atteindre la créativité, la puissance d'innovation et la réactivité des "disrupteurs numériques". C'est elle qui peut lui permettre de s'harmoniser avec une société d'innovation permanente, et donc d'en accompagner intelligemment la transformation économique et sociale. C'est elle qui peut fonder la puissance et la souveraineté nécessaires à la préservation de l'intérêt général, dans un monde où les pouvoirs se redistribuent rapidement, entre Etats, sociétés civiles et nouveaux acteurs économiques. C'est elle, enfin, qui peut nous permettre de répondre aux nouveaux défis de la modernité : la crise démocratique, la crise économique et industrielle, le besoin de garantir des nouvelles libertés et d'accompagner de nouvelles solidarités.

mardi, avril 22, 2014

Conférence de Paris sur l'open data et l'open gov : c'est maintenant



Cette semaine, à Paris, la mission Etalab et le Conseil national du numérique organisent la Conférence de Paris sur l'Open data et le gouvernement ouvert. Le programme détaillé est accessible sur le blog d'Etalab, et sur le site www.laconferencedeparis.fr.

Nous avons travaillé cette rencontre pour en faire un moment important dans la jeune histoire du mouvement français de l'open data et du gouvernement ouvert.

Un moment important, d'abord, parce que seront rassemblés, sur deux jours, et sur trois sites, des ministres, des hauts fonctionnaires, des magistrats, des savants, des entrepreneurs, des associations et des citoyens engagés, des représentants et acteurs de l'open data venant, pour certains de fort loin  (Mexique, Etats-Unis, Tunisie, Angleterre, Irlande), qui vont échanger, partager, et s'enrichir mutuellement autour de toutes les transformations qu'apportent la révolution de la donnée, la modernisation de l'action publique, les nouvelles stratégies d'action collective à l'âge de la multitude... Parce que nous parlerons aussi bien de la transparence des institutions que des nouveaux pouvoirs de la société civile ou des usages des big data.

Un moment important parce que la France va commencer à mêler sa voix à la conversation mondiale sur les nouvelles pratiques de gouvernement et que l'on va voir que notre propre tradition existe, qu'elle a son histoire, avec ses succès et ses reculs, et qu'elle mérite l'intérêt de nos partenaires internationaux autant que nous nous passionnons pour les leurs.

Un moment important, peut-être, pour certaines des annonces qui y seront faites.

Un moment important, nous l'espérons, grâce aux interventions de grands responsables publics, de figures mondiales de l'open data et des datasciences, comme Michaël Flowers, ou Gavin Starcks, Rufus Pollock... Grâce aux "datastories" qui montreront la valeur insoupçonnable que prennent aujourd'hui ces données, mais aussi créativité et la vitalité de nos écosystèmes. Grâce à la demi-journée d'ateliers de de tables rondes, très ouverte, du 25 avril, nous allons pouvoir travailler collégialement (plus de 350 inscrits ce soir) des aspects centraux du futur de nos politques de la donnée.

Mais un moment important, surtout, parce que pour la première fois en France, nous allons essayer, tous ensemble, de poser la question de la circulation des données publiques, de ce qui se passe quand on travaille à la fluidité, à la maniabilité, au partage de ces données, au point où elle doit se poser : celui d'une transformation globale des rapports économiques, politiques et sociaux.

lundi, février 10, 2014

L'open data, c'est (aussi) de l'efficacité stratégique

La dimension démocratique de l'open data, ainsi que son potentiel d'innovation économique et sociale me semble désormais bien compris de tous.

Mais on parle moins son potentiel de transformation des institutions elles-mêmes, à l'heure où la simplification, la modernisation de l'action publique et la maîtrise de la dépenses deviennent essentiels. C'est pourtant l'un des objectifs importants de cette démarche.

L'open data, on le sait, consiste, pour le gouvernement, à partager les données produites ou détenues par les administrations ou les établissements publics à l'occasion de leur mission de service public, gratuitement, dans des formats ouverts, et en autorisant toutes les réutilisations.

Cet engagement est une liberté fondamentale qui n'est limitée que par le secret des délibérations du gouvernement, la protection de la vie privée, la sécurité nationale, et quelques autres secrets légaux (comme le secret fiscal, par exemple).  Malgré ces différents secrets, l'Etat dispose de vastes réserves de savoir disponible, qui ne demandent qu'à être partagées. L'open data ne vise pas seulement à rendre des comptes (même si c'est l'une des dimensions importantes de cette politique), mais aussi à libérer tout le potentiel possible des données utilisées par l'Etat. D'où, par exemple, l'importance des formats ouverts. Il s'agit de rendre les données les plus disponibles possibles, les plus vivantes possibles, les plus appropriables possibles, d'en susciter le plus de réutilisations possibles et de les partager avec le plus grand nombre.

Pourquoi ? A cette question, Gavin Stark, le directeur de l'ODI, répondait ainsi :
Au début des années 90, bien des gens se demandaient "pourquoi avoir un site Internet ?". aujourd'hui ils se demandent "pourquoi je devrais faire de l'open data ?". les réponses à cette question sont tout aussi difficiles à énumérer, et ne sont pas moins profondes. 

mercredi, janvier 29, 2014

Le nouveau data.gouv.fr : innover à l'âge de la multitude


Vous avez sans doute repéré la nouvelle version du portail www.data.gouv.fr, inaugurée le 18 décembre dernier par le Premier ministre, accompagné de Mme Marylise Lebranchu et de Mme Fleur Pellerin.

C'est un portail qui présente une nouvelle approche de l'open data, en associant très largement les citoyens (particuliers, chercheurs, étudiants, entreprises) à la mise en valeur des données (notamment par les réutilisations qu'ils peuvent poster sur le site), et en accueillant, aux côtés des données partagées par l'administration, des données d'intérêt général produites par les particuliers et les grandes communautés du web social.

Un mois après son ouverture, le portail commence à prendre son essor. Les métriques du site montrent une augmentation constante du nombre de participants, du nombre de données et du nombre de réutilisations. Quelque chose est en train de prendre, et la presse ne s'y est pas trompée, comme on le voit ici, ici, ici, ici ou encore ici.

Ce portail incarne une politique, qui est celle du gouvernement. Mais dans sa conception, son développement comme son fonctionnement, il mobilise des outils, des méthodes et des talents directement issus de la révolution numérique et de ses méthodes d'innovation, qui étaient en partie annoncés ou théorisés dans L'Age de la multitude. Nous pensons ce ces méthodes sont reproductibles, et le SGMAP a d'ores et déjà entrepris de les appliquer à d'autres projets. Il est donc intéressant de les partager sur ce blog. 

1- La recherche d'une solution "numérique" à l'équation politique

L'ouverture et le partage des données publiques, c'est d'abord une politique publique. Elle se fonde sur un droit des citoyens (globalement  la loi CADA), mais la dépasse au sens où elle vise à produire, de manière proactive, le plus possible de données, gratuites et réutilisables, dans des formats ouverts et interopérables. Il s'agit de partager des données "activables", pour augmenter le potentiel de création économique et sociale.
Pour ce faire, il ne suffit pas de répéter que les citoyens ont accès à tous les documents publics qui ne posent pas de questions de vie privée, de défense nationale ou d'autres secrets légaux. Concrètement, les administrations ne savent pas toujours par où commencer, les citoyens réclament parfois des informations qui, ne fait, ne sont pas détenues, telles quelles, par les administrations. Par ailleurs, de nombreuses données publiques sont déjà en ligne, mais dispersées dans de nombreux sites. Et surtout, rares sont les gens qui pressentent ce que la diffusion plus large de ces données peut susciter dans la société.
L'ambition de l'open data ne peut donc pas être atteinte seulement par une approche juridique ou par des instructions ministérielles. Il lui faut une plateforme, des outils, des interfaces, des organisations qui favorisent cette réalisation, qui donnent envie de le faire, qui lui donnent du sens.

C'est pourquoi nous avons eu très tôt la conviction que l'open data doit reposer, aussi, sur une stratégie numérique : c'est dans les règles, la dynamique, le design et l'expérience utilisateur du site que nous allions trouver une grande partie des réponses.

J'insiste sur ce point, parce que certains des plus respectables partisans de l'open data ne l'ont pas immédiatement compris. L'idée qu'un projet politique, voire humain, puisse trouver une réponse numérique peut faire peur. On nous répond : "et l'Humain dans tout ça ?". Mais le numérique, ce n'est pas de la "technologie" : ce sont des rapports humains, des situations, des méthodes pour stimuler l'engagement.  
En travaillant sur l'engagement des citoyens, en confiant à la multitude le soin de faire vivre ces données, en organisant une relation plus étroite entre les administrations et les utilisateurs de leurs données (qui ouvre sur l'open innovation), la réponse numérique a donné corps à un projet politique.

vendredi, janvier 17, 2014

Manipuler les foules ou s'allier avec la Multitude ?

(image : caloucalou)

Ce matin, j'intervenais, à l'invitation de Christophe Ginisty à la conférence Réputation War, dont le thème était, cette année "Foules sentimentales".

Un si beau titre évoque d'abord une jolie ritournelle, une belle chanson de Souchon. Une chanson sur les foules qui sont manipulées parce qu'elles sont trop sentimentales. Mais pour ma part, il m'évoque très vite la psychologie des foules, Gustave Le Bon et toutes sortes d'images inquiétantes... Cette bêtise profonde qui peut s'emparer d'un "mouvement de foule", sa capacité à devenir un feu dévorant, à lyncher...

La foule, c'est comme un animal sauvage. On peut jouer avec, mais jamais l'apprivoiser totalement. L'ambivalence de son comportement, nous n'avons chaque jour sous les yeux. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit de songer à la toute récente "affaire Dieudonné" : un déferlement médiatique, un déluge de billets de blog, parfois d'humeur, parfois très sages, la viralisation de nombreux articles et vidéo par tous les canaux imaginables, et un grand moment de contribution collective...
Sur la presse en ligne, qui demande en général à ses lecteurs de "réagir", ce fut un déferlement d'invectives, de formules à l'emporte-pièce, voire de haine pure. Et encore, nous n'en avons vu que ce qui passait les filtres de la modération. Si vous saviez ce qui a probablement été enlevé par toutes ces petites agences de modération qui passent leurs journées à filtrer nos forums de presse...
Regardez par exemple la discussion suite à ce court article sur Dieudonné, ici, sur Le Parisien. Et nous ne sommes ici que dans un exemple moyen, sans tension particulière. Regardez à l'inverse le sérieux, la précision et la rigueur des échanges, qui eux ne sont pas modérés, de la page de discussion à propos de l'entrée "Dieudonné" dans Wikipédia.

Dans ces deux exemples, ce n'est pas la même foule, ce ne sont pas les mêmes comportements, ce ne sont pas les même émotions.