vendredi, janvier 13, 2012

Les libertés numériques sont-elles des libertés comme les autres ?


Voici la contribution que j'ai apportée au numéro spécial sur "Les Penseurs de la liberté" du Magazine littéraire qui paraîtra ce samedi. Je vous recommande d'acheter l'ensemble, coordonné par Frédéric Martel, et absolument passionnant.
L'ampleur et l'importance du sujet, ainsi que l'exigence de concision m'ont contraint à produire un gros effort de synthèse et à rester généraliste. On ne parle pas ici de SOPA ou autre... Chaque paragraphe pourrait faire l'objet d'un blogpost à lui seul. Mais je ne doute pas que vos commentaires vont développer cette introduction.
A vous lire, donc.



Une Révolution politique
Internet est d’abord un projet politique. Tout comme l’informatique individuelle. Il fallait être l’un de ces activistes typiques de la Silicon Valley des années 70, au carrefour des hippies et des militaires, pour décréter que l’informatique étant un média, il fallait la rendre au peuple. Et pour ouvrir à tous un réseau comme Internet.
Quarante ans plus tard, un tiers des Humains possèdent chacun l’équivalent des supercalculateurs d’alors, et échangent librement grâce à ce réseau ouvert et relativement décentralisé. Jamais les individus, les organisations, et les gouvernements n’avaient eu accès à un tel pouvoir d’expression et d’action. Jamais ils n’avaient revendiqué une telle liberté créative. Jamais ils n’avaient remis en cause tant d’équilibres. Jamais non plus il n’avait fallu réinventer aussi rapidement des règles de police, de politesse ou de régulation économique.

Une plateforme d’innovations radicales
Le numérique est marqué par cette origine libertaire. En témoigne l’importance de l’esprit hacker, fondé sur la passion au travail, la recherche de l’indépendance et le goût de la coopération (voir Pekka Himanen The Hacker Ethic and the Spirit of the Information Age). Cette attitude s’étend même désormais au développement d’objets open source, copiables, modifiables et « bricolables » (utilisant même des langages spécifiques, comme Arduino), ou encore l’importance croissante du mouvement « Do it yourself », qu’illustre la multiplication des FabLabs, organisations portant un projet d’émancipation face à la technologie à la fois technique, pédagogique et politique.
Cet état d’esprit devient politique quand il enjoint de « programmer ou d’être programmé ». Il a présidé à l’invention des grands réseaux d’échange pair à pair, qui ébranlent l’industrie musicale (mais ouvrent des univers de coopérations possibles). Il préside au combat des Anonymous, collectif auto-organisé engagé aussi bien dans la lutte contre les monopoles, que dans les printemps arabes ou la lutte contre les narcotrafiquants. Il inspire Wikileaks, qui entend protéger les donneurs d’alerte en diffusant massivement des documents confidentiels, et n’est pas sans poser de nombreuses questions éthiques et politiques, concernant tant ses pratiques que celles de ses adversaires.
(...)