mercredi, décembre 27, 2017

Internet est un bien public essentiel. Nous devons défendre son ouverture et sa neutralité (ou en construire un nouveau)


Ainsi donc, pour finir en beauté la première année du mandat de M. Trump, la FCC (l'agence de régulation des télécommunications aux Etats-Unis, supposée indépendante - comme notre ARCEP-, mais désormais présidée par un proche du président) a décidé de se débarrasser de la neutralité du net. C'est la fête chez l'opérateur Comcast qui célèbre l'événement (et les nouvelles baisses d'impôts) en offrant un bonus de 1000$ à chacun de ses plus de 150.000 salariés. Incidemment, AT&T fait de même mais sans mentionner la décision de la FCC.

Décision, rappelons-le, très fortement contestée, par exemple par l'Attorney général de New York qui a ouvert une procédure après avoir constaté des infractions massives (deux millions de faux votes au moins, après usurpation d'identité) au cours de la consultations.

Décision éminemment politique. Cette question est aussi grave, pour le numérique, que la sortie de l'accord de Paris l'était pour le climat. La neutralité du net, c'est le principe de non-discrimination des paquets transportés, que ce soit en fonction de l'émetteur, du destinataire ou du contenu... C'est un principe très simple : les opérateurs du réseau ne se mêlent pas de ce qui y passe... A part quelques exceptions très compréhensibles (cybersécurité par exemple) la régulation du réseau se fait à la périphérie, par exemple en démantelant le serveur de musique piratée.

Comme pour tous les principes fondateurs, il est parfois difficile de s'accorder sur la portée exacte de ce principe (c'est comme la liberté d'expression : on peut en reconnaître des limites). Mais l'intention est nette, comme le rappelle très bien La Quadrature du net"Le principe de neutralité du réseau découle directement du principe, bien plus ancien, de neutralité du transporteur. Il indique que le transporteur, à qui est confié un message, ne peut utiliser les informations qui lui sont fournies que dans un but spécifiquement technique (acheminer le message à destination, ce pour quoi il est payé ), et rien d'autre. Aucune discrimination n'est appliquée en fonction de l'émetteur, du récepteur ou de la nature de l'information transmise." C'est la traduction technique de ce serment ancien comme la Poste, et que prêtent aujourd'hui encore les postiers : "Je m’engage à respecter scrupuleusement l’intégrité des objets déposés par les clients, l’inviolabilité et le secret des correspondances et des informations concernant la vie privée d’autrui, dont j’aurais connaissance dans l’exécution de mon service"). Bref, entendre que les Etats-Unis sont prêts à y renoncer est aussi grave que si le PDG de La Poste nous annonçait soudain qu'il allait désormais facturer différemment les lettres d'amour.

C'est un principe qui est au coeur de l'architecture du réseau Internet, et qui a conditionné les choix qui ont fait de cette plateforme la plus grande plateforme d'innovation ouverte qu'ait connu l'humanité.

Les enjeux de la bataille de la neutralité

Les articles qui commentent cette décision ont beaucoup insisté sur les menaces sur la neutralité commerciale des fournisseurs d'accès Internet, comme le souligne cette infographie de l'AFP.


C'est effectivement l'un des grands risques de cette décision.

dimanche, octobre 01, 2017

La Silicon Valley est-elle en passe de devenir la capitale de la culture ?



En quelques années, l'économie numérique a établi son hégémonie sur les industries culturelles. Netflix représente désormais plus de 90 % de la consommation de video on demand aux Etats-Unis, 63 % du temps passé par les 2,3 millions de Français abonnés aux offres légales, et tâte désormais avec succès à la production. Amazon écrase la vente de livres. L'audience de la presse vient massivement de Google et Facebook (et un peu Apple désormais) et est déterminé par des algorithmes bien précis. Huit des dix personnalités préférées des jeunes Américains sont des youtubeurs. Apple truste le marché de la musique en ligne (un peu contré quand même par le streaming mais avec d'intéressantes tentatives de riposte). On pourrait continuer à l'infini, sans surprendre en rien les lecteurs de ce blog.

Ce qui est inquiétant, bien sûr, c'est que cette hégémonie industrielle, en matière de culture, finit fatalement par établir une hégémonie culturelle. Il n'est qu'à regarder les conséquences de la domination d'Hollywood sur l'industrie du cinéma.

On a beaucoup essayé les réponses techniques, fiscales ou protectionnistes à ces questions. Ce qui me frappe, c'est la difficulté à faire émerger une réponse culturelle à ce défi culturel. Après tout, si les Barbares ont bel et bien fini par faire tomber l'empire romain, Rome en revanche n'a pas réussi à détruire la culture grecque. Et la culture chinoise a plutôt fini par dominer les descendants de Kubilai Khan.

Cela fait plus de 20 ans que je travaille autour de l'innovation numérique, le plus souvent dans ce que l'on appelle les "industries culturelles". Ce qui m'a toujours frappé, c'est la proximité entre les deux mondes (créativité, audace, insolence, curiosité, capacité à faire... toutes ces valeurs sont également partagées par les artistes et les innovateurs numériques) et l'opposition frontale des deux secteurs. Nous n'en sommes plus tout à fait aux temps héroïques où Internet était perçu avant tout comme une menace pour la culture, mais nous sommes encore bien loin d'avoir réussi l'union de tous les créateurs au service d'un authrntique projet de civilisation...

dimanche, juillet 02, 2017

Quand Zuckerberg veut faire le bonheur de l'humanité

La semaine dernière, Marc Zuckerberg a dévoilé les modifications apportées à Facebook pour remplir la nouvelle « mission » et la nouvelle stratégie de l'entreprise. Une mission qu'il précise à petites touches depuis la publication de son long manifeste en février dernier. Une mission qu'il résume lui-même en quelques mots : « développer l’infrastructure sociale qui permettra de créer une communauté globale ».  Une communauté qui devra être :
- « sûre » (capable d’apporter de l’aide en temps de crise - Facebook revendique 500 activations du Safety check ces deux dernières années) ; 
- « informée » (donnant une voix à chacun) ; 
- « engagée » (stimulant l’implication politique - Facebook revendique avoir ramené 2 millions d’Américains aux urnes  
- et « inclusive » (reflétant les valeurs collectives).

« Quand vous regardez les grands défis qui se posent à notre génération – mettre fin à la pauvreté, guérir la maladie, arrêter le changement climatique –, aucune personne ou aucun groupe de personnes ne peut les résoudre seul. » La solution viendra de « groupes significatifs », à savoir « les groupes qui deviennent, lorsque nous les rejoignons, la partie la plus importante de notre expérience sociale et forment une partie cruciale de nos soutiens dans la vie quotidienne ». Des groupes que Facebook aidera à constituer, même si cela doit éroder la souveraineté des Etats nation ou nécessiter une forme de lissage culturel entre les communautés.

Comment ? Grâce aux paramétrages des subtils algorithmes qui décident quels amis nous seront présentés, quels sont ceux de leurs messages qui nous seront affichés, quelles publicités, quels services et quelles ressources nous seront proposés. Des algorithmes éduqués avec des méthodes simples et robustes, de grandes quantités de données et, prochainement, un peu d’intelligence artificielle pour mieux reconnaître les images, détecter les émotions dans les conversations, etc. Des algorithmes, aussi, qui seront mis au service d'une philosophie de la régulation propre au réseau social. Ainsi, pour lutter contre les "fake news" (une responsabilité politique que Facebook a initialement refusé d'assumer), l'algorithme analysera le comportement des utilisateurs et recommandera moins les vidéos qui auront été partagées avant sans avoir été visionnées au préalable.

mardi, mars 28, 2017

Elon Musk lance l'intégration du cerveau et de l'intelligence artificielle

C'est un rêve familier des lecteurs de sciences-fiction, et c'est peut-être pour l'heure une foucade de plus de l'entrepreneur génial qui a non seulement inspiré à Hollywood les caractéristiques du personnage de Tony Stark (Iron Man), mais qui est surtout à l'origine de l'Hyperloop, de la société Space X, de Tesla Motors, du centre d'intelligence artificielle OpenAI et qui ne cache pas son rêve d'engager de son vivant la colonisation de la planète Mars.

La nuit dernière, selon le Wall Street Journal, Elon Musk a dévoilé l'une de ses nouvelles ambitions en annonçant la création de Neuralink, une entreprise visant à terme à connecter le cerveau aux intelligences artificielles. Les premiers commentaires, comme The Verge, ou Techcrunch, divergent encore sur la portée réelle de ce projet.

L'usage de petites électrodes implantées dans le cerveau est déjà une réalité, qui produit des résultats dans le traitement de la maladie de Parkinson, par exemple, et qui semble testé par la DARPA pour améliorer les performances des tireurs d'élites. D'autres chercheurs ont déjà annoncé vouloir augmenter la mémoire grâce à l'ajout de composants électroniques.
Ce qui est impressionnant avec Musk, c'est la visée immédiatement revendiquée de connecter les travaux sur le cerveau aux travaux sur l'intelligence artificielle.

dimanche, mars 26, 2017

[Billet invité] Clément Bertholet et Laura Létourneau : L’Etat contre-attaque

Je suis très heureux d'inviter aujourd'hui Clément Bertholet et Laura Létourneau, deux jeunes ingénieurs des Mines dont le mémoire de fin d'étude a suscité de nombreux commentaires dans l'Etat, et a donné naissance à un livre aujourd'hui disponible dans toutes les bonnes librairies : Uberisons l'Etat avant que d'autres ne s'en chargent.

"Ubérisation, à qui le tour ?" nous a-t-on demandé en dernière année de formation du Corps des Mines. Surpris de constater que tous les acteurs économiques s'accordaient à dire que l’ubérisation allait renverser tous les secteurs sauf le leur, nous avons réalisé que nous, hauts fonctionnaires, étions victimes du même biais. Après nous être entretenus avec une cinquantaine de personnes, le constat fut sans appel : l'Etat était en passe d'ubérisation.

L'Etat bientôt ubérisé : la menace fantôme

Toutes les entreprises établies, quel que soit le secteur, sentent une menace poindre, encore indistincte pour certains, bien réelle pour d’autres. Impossible de trouver un taxi le samedi soir ? Uber est arrivé. Des chambres d’hôtel mornes et impersonnelles ? Airbnb a proposé une expérience nouvelle et personnalisée au voyageur. Des tarifs trop élevés et des gares de moins en moins desservies par la SNCF ? Blablacar a fait le choix du partage du prix.
De la même manière, c’est un calvaire pour inscrire son enfant en crèche, changer de caisse d'assurance maladie, déclarer un permis de construire ou refaire sa carte grise. Alors finalement, ne serait-ce pas au tour de l'Etat de se faire ubériser ?