lundi, décembre 19, 2016

La Révolution numérique, champ de bataille démocratique



A l'occasion de l'ouverture du sommet de l'Open Government Partnership à Paris (#OGP16), j'ai donné un long entretien à Mediapart, qui grâce au talent de Jérôme Hourdeaux, m'a semblé particulièrement complet et précis. Avec leur autorisation, j'ai le plaisir de le partager aujourd'hui avec vous. Les illustrations en revanche sont les miennes, issues du sommet lui-même.

« Open government », « open data », « civic tech »… sont des concepts qui peuvent souvent sembler très vagues et peu concrets. Comment expliquer au grand public les enjeux de ce partenariat et de ce sommet ?
Henri Verdier : Ce qui compte, c’est d’abord le sommet, que des personnes se retrouvent pour se retrousser les manches et s’organiser afin de régler des problèmes. Les uns sont chercheurs, d’autres font partie de la civic tech, mais il y a aussi des collectifs de quartier… en résumé tous types de citoyens. C’est impressionnant de voir à quel point il se passe des choses dans le monde entier : aux Philippines, en Indonésie, au Pérou, au Brésil…

Ces gens ont décidé de s’organiser, de devenir une force collective. Et c’est dans ce dessein qu’ils ont créé ce partenariat d’un nouveau genre, hybride, composé de plusieurs centaines d’ONG et de 70 gouvernements, copiloté par des élus et des membres de la société civile.
L’Open Government Partnership est bien entendu très important. Mais ce qu’il faut regarder, c’est la lame de fond, ce qu’est en train de devenir la démocratie à une époque où les citoyens sont à peu près tous éduqués – 80 % des humains savent lire et écrire –, ont accès à l’information et peuvent s’organiser grâce à Internet. Aujourd’hui, peut-on se satisfaire d’un modèle inventé à l’époque des cités grecques et reposant, plus ou moins, sur des athlètes surentraînés, car il faut en être un pour faire tourner la machine aujourd’hui ? Elle est là, la grande question.

Alors, certes, on me demande souvent, comme vous aujourd’hui : comment y intéresser le grand public ? C’est comme René Dumont et ses amis dans les années 1970 : ça démarre, ça balbutie, parfois il y a des trucs un peu ridicules. Mais je pense que dans vingt ans ça sera un sujet aussi important que le développement durable. Ce sera le développement démocratique durable.

mardi, décembre 06, 2016

Des communs numériques pour l'émancipation et l'action

Vendredi, dans le cadre du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert, je participerai à une table ronde avec Claire Legros, Yann Moulier Boutang et Bernard Stiegler sur les Communs numériques.

Les Communs, c'est un terme en vogue, avec tous les risques qui s'attachent aux buzzwords dans notre société de communication. J'y avais consacré un petit travail avec Charles Murciano, que j'ai présenté sur ce blog au début de l'année. C'est aussi un terme qui fait peur à ceux qui ne le comprennent pas, les uns craignant que tout cela ne conduisent à une sorte de nationalisation du numérique, les autres craignant que cela ne remette en cause le droit d'auteur, d'autres ne comprenant tout simplement pas pourquoi il faudrait ainsi créer de nouvelles catégories juridiques.

Dans l'ordre de l'opérationnel, pourtant, les choses sont assez claires. L'histoire est ancienne, mais elle est encore plus nette en matière de numérique. Il existe des ressources qui ne sont pas publiques, et qui ne sont pas non plus privées. elles sont produites en commun par un certain nombre de personnes, qui, en retour, les exploitent en commun. Souvent, ces contributeurs définissent des règles, des licences, des conditions d'utilisation qui représentent la constitution de ce commun. Un exemple assez connu de chacun d'entre nous est tout simplement Wikipédia.

lundi, décembre 05, 2016

Démocratie cybernétique

Jeudi prochain, dans le cadre du sommet mondial de l'OGP, se tiendra une "nuit des débats" de la démocratie, qui commencera par un "tribunal pour les générations futures" organisé par l'équipe d'Usbek et Rica, qui se poursuivra par une nuit de pitches et de tables rondes animée par l'ami Julien Letailleur, avec des interventions de Pablo Soto, Cynthia Fleury, Primavera de Filippi, Regards citoyens, Tanja Aitamurto, ou encore François Taddéi et bien d'autres, et se poursuivra dans tout Paris : au Lieu d’Accueil Innovant Espoir18, chez Superpublic , au Schoolab, au Numa, chez Make.org, au SenseSpace ou encore à l’Otherspace. Vous ne pourrez pas tout voir, c'est sûr. C'est le principe. La révolution ne sera pas télévisée...

Pour ma part, j'aurai le plaisir et l'honneur de dialoguer, après le premier round de pitches, avec Joël de Rosnay. Je ne sais pas si tous les activistes du renouveau démocratique et toutes les civic Tech savent tout ce qu'ils doivent à Joël de Rosnay. Je ne parle pas seulement de l'introduction en France du surf ni de la naissance de la Cité des sciences. Je pense à ses travaux, à son humanisme technophile, à sa pensée des organisations humaines et aussi à son attention subtile et bienveillante aux idées et aux personnes. Je cherche à comprendre, les codes cachés de la nature, son dernier livre, en témoigne à nouveau.

dimanche, décembre 04, 2016

La donnée au service de la croissance


Cette semaine, au cours du Sommet mondial de l'Open government partnership, qui se tient à Paris, je participerai avec Nigel Shadboldt à la session, organisée par l'Open data Institute, jeudi, consacrée aux conclusions du travail franco-britannique que nous avons mené pendant un an sur la donnée au service de la croissance*.

Certes, ce n'est que l'un des 350 événements, ateliers et projets du programme du sommet, mais, si vous avez eu la chance de réussir à vous inscrire, venez, vous y verrez le reste : open data, engagement citoyen, transparence, concertation, contribution, biens communs numériques, développement durable, démocratie participative, concertation citoyenne, redevabilité des algorithmes, et j'en passe... Le tout dans un vaste forum rassemblant plus de 4000 délégués issus de 135 pays, 50 ministres, 15 chefs d'Etat et de gouvernement, et quelques centaines d'ONG.
Un événement parmi tant d'autres, certes, mais qui résulte d'un an d'échanges passionnants. Le rapport, assez court, est en ligne (ici et ici pour les propositions d'action). Ce que je voudrais partager ici, c'est la vision stratégique qui a été la nôtre.

Le constat de départ est simple : le passage d’une économie de la rareté de la donnée à une économie de l’abondance entraîne un changement complet des règles du jeu économique et politique. On l'a déjà vu dans l'histoire, quand l'humanité a appris à maîtriser l'agriculture, l'imprimerie, l'énergie. Chacune de ces grandes étapes a été un changement complet des règles du jeu économiques, sociales, politiques. Or, nous en sommes convaincus, nous assistons désormais à une transformation de même ampleur avec les données. Notre économie et notre société ont été fondées sur le fait qu'elles étaient rares et chères à produire ou à consommer. Elles sont désormais surabondantes, produites par d'innombrables capteurs, par des milliards de terminaux mobiles, par la dématérialisation des quasi gratuites et nous baignons en permanence dans leurs flux continus.

Face à une telle transformation, toutes nos règles d'action changent. Les entreprises l'ont rapidement appris à leurs dépens, qui ont vu naître de nouveaux monopoles de l'intermédiation, des plateformes comme Uber ou AirBnB, de nouveaux services innombrables. Le politique doit à son tour apprendre à regarder cette situation en face. Elle appelle en effet une reconception rapide de bien des évidences quant à la manière d'agir au service de (et avec) l'économie et de la société.

mercredi, novembre 02, 2016

Pourquoi Le.Taxi, c'est important

Au début du mois dernier, Alain Vidalies, Secrétaire d'Etat aux transports a officiellement inauguré la plateforme Le.Taxi en commandant un taxi qui est arrivé en deux minutes.

Le.Taxi, c'est la plateforme que prévoyait la loi taxis du 1 octobre 2014 en instaurant un registre national de géolocalisation des taxis ("Il est institué un registre national recensant les informations relatives à l'identification, à la disponibilité et à la géolocalisation des taxis. Ce registre, dénommé : “registre de disponibilité des taxis”, a pour finalité d'améliorer l'accès aux taxis par leurs clients en favorisant le développement de services innovants. Il est soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.")
Développé en mode "startup d'Etat" par une petite équipe agile coachée par l'incubateur de services numériques de la DINSIC, Le.taxi c'est désormais une plateforme sur laquelle s'inscrivent librement les taxis qui acceptent d'être géolocalisés, de recevoir des courses et d'être évalués par leurs utilisateurs (plusieurs milliers de chauffeurs volontaires à l'issue de la phase de tests). C'est ensuite une API de consultation de ces données réservée aux opérateurs agréés c'est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d'un apport d'affaires aux taxis. Et ce sont surtout déjà une trentaine d'applications disponibles sur le web ou dans les AppStores Google ou Androïd.
Un projet rapidement mené grâce à l'opiniâtreté du coach Pierre Pezziardi, à l'obstination du "Product Owner" André Dorso et des deux développeurs, Vincent Bataille et Vincent Lara.
L'ensemble est un projet léger (250.000 euros d'investissement incluant les salaires des développeurs, 500.000 euros de dépenses annuelles prévues en fonctionnement stabilisé) et extrêmement prometteur. Il ouvre en effet un cycle d'innovation qui concernera, à court termes, de nombreuses entreprises du secteur du transport ou de l'hotellerie, mais pourquoi pas aussi de nombreux services web, du mobilier urbain, et tant d'autres innovations que nous ne connaissons pas encore.

C'est une expérimentation, et j'espère une étape, extrêmement importante de la construction de l'Etat plateforme, qui mérite quelques commentaires supplémentaires.

mercredi, septembre 21, 2016

Ouvrir la politique

Ce mardi 21 septembre, à New-York,  la présidence française du Partenariat pour un gouvernement ouvert a débuté avec le discours inaugural du Président de la République.

Et aujourd'hui même, à l'instigation de l'équipe d'Etalab, se déroule au Civic Hall de New York un hackathon sur "la boîte à outil de la démocratie". Il prend place dans une séquence de rencontres comme celles qu'organise régulièrement le collectif OpenDemocracyNow en France (notamment le week-end dernier) et qui culminera par une session internationale à Paris en décembre au cours du sommet mondial qui réunira les représentants de 70 pays et d'un millier d'ONG composant l'OGP.

Le programme du sommet vient d'être dévoilé. Après examen ouvert de plus de 770  propositions émanant du monde entier, il réunira près de 150 ateliers et événements, à Paris, pendant trois jours.

Ce travail sur l' "open government" est un engagement de long terme, qui prend place au coeur de la modernisation de l'Etat et de sa transformation numérique.

Qu'est-ce que le gouvernement ouvert ? Si vous interrogez les nombreux membres de l'OGP, vous aurez autant de réponses que de pays et de situations locales.
En cherchant le dénominateur commun de toutes leurs réponses, vous trouverez probablement le triptyque : transparenceconcertation et contribution.

mercredi, mai 18, 2016

(Billet invité) Emmanuelle Hoss : Tisser nos singularités au coeur du collectif

S'interroger sur les lieux  cibles des attentats du mois de novembre, c'est prendre conscience de la richesse et de la puissance de ces commerces  qui permettent la rencontre, la mixité et le brassage des singularités dans un même espace-temps. A l'heure où se vident églises et partis ,  les bars, les cafés, les restaurants, les artisans, les "petits" commerces restent les endroits où chacun peut entrer et sortir, et au détour d'un achat ou d'une question, nouer un dialogue.

Alors pourquoi cette économie de proximité, quasiment cette "écologie de la proximité", visiblement repérée par ceux qui haïssent notre société, est-elle un angle mort de la pensée politique? Pourquoi ne voit-on pas qu'elle forge le ciment de nos sociétés, qu'elle est source d'emplois, certes, mais aussi de bien être, de santé, de sécurité et qu'elle permet au fil du temps de tisser des liens comme nulle part ailleurs? C'est d'ailleurs bien l'interdiction de commercer dans les Townships qu'avait en tout premier lieu instaurée le régime de l'Apartheid, démontrant ainsi parfaitement que ces échoppes locales menaçaient leur projet de rejeter une population entière du corps social.

Se pencher sur cette nouvelle économie de proximité, à la rencontre du commerce traditionnel et des outils digitaux, constitue pourtant une réponse possible aux fameuses questions d'identité. Après tout, dis-moi ce que tu manges, dis-moi ce que tu lis, dis-moi ou tu flânes, et je te dirai qui tu es.
Nous accueillons à bras ouverts les grandes enseignes, de restauration, d'ameublement ou d'habillement, sans voir que ces enseignes captent la valeur d'un territoire (l'attractivité d'une avenue parisienne, le pouvoir d'achat d'une petite ville), au prétexte qu'elles créeraient de l'emploi.  C'est une vision de très court terme. S'ils sont créés, ce qui reste à vérifier, ce sont des emplois le plus souvent peu gratifiants, mécanisés, dans lesquels personne ne rêve de s'investir ou de rester. Alors qu'être boucher ou librairemaker ou restaurateur, c'est partager un savoir où un savoir-faire, c'est savoir accueillir, recommander et conseiller.

lundi, avril 18, 2016

Pour une économie politique des Communs

Les "Communs" reviennent en force dans le débat public. Avec une force qui mérite qu'on creuse un peu cette notion, même si elle devient l'un des buzzwords que la toile affectionne.

Les "Communs" avaient été un peu oubliés depuis quelques décennies. Malgré les travaux essentiels de l’économiste Elinor Ostrom, qui lui avaient valu un prix de la banque de Suède en matière d'économie (le "prix Nobel" d'économie), la sentence de Garett Hardin sur la "tragédie des communs" semblait définitive, dans un monde simplifié par une vulgate néolibérale assez prompte à sauter sur des conclusions rapides. Les millénaires de sociétés équilibrées exploitant en commun leurs forêts, leurs ressources halieutiques ou maintenant collectivement leurs terrasses, leurs chemins ou d'autres infrastructures semblaient complètement occultés.

Et puis, de nouveau, le concept s'est retrouvé au coeur du débat public.
Dans les faits tout d'abord, avec l'incroyable succès de grands communs contributifs comme Wikipédia, OpenStreetMapOpenFoodFacts et beaucoup d'autres à venir. Sans compter le rôle du logiciel libre dans l'existence même d'Internet et de la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui. 
Ces différents projets contributifs ne sont pas seulement des succès de réalisation, parfois étonnants. Ils deviennent aussi des plateformes essentielles à de nombreuses activités économiques et à de nombreux services publics. Et bien souvent le dernier rempart contre la domination des grandes plateformes développées par les GAFA.
Dans la production intellectuelle ensuite, avec le succès du livre de Pierre Dardot et Christian Laval,  par exemple. Ou avec la place que prend ce concept dans le dernier opus de Jeremy Rifkin.
Dans le débat public aussi, comme en témoigne par exemple le débat noué en marge de la loi Lemaire sur la définition d'un domaine commun immatériel.
Et puis dans nos pratiques et nos usages, chez Etalab par exemple, où nous mesurons chaque jour tout ce qu'apporte un travail fondé sur le développement et l'utilisation de nouveaux communs contributifs et ouverts, comme OpenFisca ou la Base Adresse Nationale.

Dans un tel Maelström, il devenait important d'essayer de poser un peu calmement les concepts et de s'assurer quelques outils conceptuels et méthodologiques pour mieux maîtriser les débats et les activités dans lesquels nous sommes engagés au quotidien. C'est pourquoi j'ai été extrêmement heureux lorsque la Chaire Finance et développement durable de l'université Paris Dauphine, m'a proposé de travailler avec un jeune élève de l'Ecole normale supérieure, de grand talent, Charles Murciano, pour mettre un peu ces idées au clair.

Le résultat : un travail que nous avons voulu assez complet, essayant de réinterroger la distinction désormais classique entre biens communs et biens publics, d'interroger également ses transformation à l'ère de la révolution numérique, de mettre à jour les spécificités des communs numériques et de nous demander ce qu'ils apportent aujourd'hui, à l'action politique et à la pensée économique. Vous pouvez en lire l'intégralité dans la revue de la Chaire (et en Anglais).

lundi, mars 28, 2016

Sciences et big data : La fin de la théorie ?

En décembre dernier, la Revue L'Archicube m'a sollicité dans le cadre d'un numéro spécial intitulé "Responsabilité, intégrité et éthique dans la recherche". J'ai un peu hésité à répondre car je suis moins investi sur ces questions qu'il y a quelques années. 
Mais le débat qui s'est noué m'a montré qu'il y avait beaucoup d'enjeux, de craintes, et d'incompréhensions à dissiper autour de cette question des big data dans la sciences. Il m'a confirmé aussi combien cette révolution bouleverse les habitudes et les organisations, bien au-delà des prouesses mathématiques qu'elle autorise.
J'ai donc réalisé cette interview, que je partage aujourd'hui avec vous, dans une version revue et améliorée.

La science expérimentale consiste à faire des mesures pour les confronter avec des prédictions de modèles théoriques.
Jusqu’au XXe siècle, les données étaient rares et chères : on montait des « manips » pour mettre en évidence (ou invalider) certaines de ces prédictions et l’on faisait des mesures sur ces montages. Ces montages coûtaient souvent très cher, les protocoles étaient complexes et coûteux, il fallait financer des laboratoires onéreux et un personnel nombreux et qualifié. Parfois, les mesures obtenues étaient aléatoires, et la tentation étaient forte de « solliciter » les données (en éliminant par exemple des « mesures aberrantes ») pour obtenir le résultat cherché. D’où l’importance des « cahiers de laboratoire » à la disposition des referee : il était très important de pouvoir reproduire les expériences dans d’autres laboratoires.
 Aujourd'hui, les données ("Data") sont abondantes et bon marché. Est-ce que cela change la philosophie de leur exploitation ?

Je ne sais pas bien à quoi vous opposez la « science expérimentale ». Il me semble qu’il n’y a qu’une seule forme d'activité scientifique : l’activité de comprendre le réel à travers un savoir prédictif, reproductible et falsifiable, comme l’a souligné Karl Popper. Et toutes les disciplines scientifiques devraient être expérimentales, sauf, disait Kant, les mathématiques qui procèdent par construction de concept.
Il faut partir de ce point parce que c’est cela la science. Monter des « manips », comparer une prédiction à une expérience, tenir un cahier ou porter une blouse blanche, ce sont des méthodes, des organisations, des habitudes qui ont leur efficacité, mais qui pourront être remplacées un jour ou l’autre. Déjà, en astrophysique on monte des expériences entièrement virtuelles qui produisent des résultats scientifiques.

Et précisément, comme vous le dites, nous vivons avec la démultiplication des données numériques, une révolution considérable, qui bouleverse toutes les activités humaines et qui ne peut pas ne pas impacter l’activité scientifique.
Cette révolution provient de la conjonction de trois phénomènes :
-       d’une part, en effet, on produit de plus en plus de données bon marché, grâce aux nouvelles technologies de capteurs légers, grâce à de nouveaux appareillages (aujourd’hui on sait faire un satellite à moins de 3000 euros et on séquence un génome humain pour moins de 200 dollars), grâce à la possibilité de créer de la contribution massive (comme le fait OpenStreetMap), grâce à l’informatisation d’un nombre croissant de processus, mais aussi du fait d'un profond changement de nos comportements et de notre rapport à l’intime qui fait qu’un nombre croissant d'entre nous partagent, plus ou moins délibérément, une quantité extraordinaire de données.
-       D’autre part, on assiste à une révolution des méthodes et des techniques de traitement de ces données, qui en baisse le coût (grâce au « cloud computing », par exemple), qui permet de nouvelles aproches (les bases de données en flux, l’informatique massivement parallèle des big data, le machine learning, le deep learning, le regain de l'intelligence artificielle) ou qui ouvre de nouvelles approches pour interroger ces données (« machine learning » par exemple).
-       Et il y a enfin une troisième révolution, consécutive des deux précédente, qui voit naître de très nombreuses nouvelles stratégies d’utilisation de ces données. Cette troisième dimension est à mon sens la plus frappante. On ne pose plus les même questions aux données, ou on les insère dans de nouveaux dispositifs d’action. On manipule des distributions complètes, au lieu de ne traiter que les moyennes statistiques, on « éduque des modèles de prévision », on recherche des signaux faibles, on apprend à raisonner sur des probabilités.

C’est la conjonction de ces trois dimensions de la révolution de la donnée qui bouleverse la science de nombreuses manières : on peut mesurer un nombre incalculable de phénomènes qu’il aurait été trop coûteux d’appareiller, on peut rechercher des signaux faibles à un coût qui diminue à toute allure, on peut mobiliser aisément une puissance de calcul considérable, on peut mobiliser des communautés extérieures au laboratoire – voir à la recherche, on peut rechercher des corrélations insoupçonnées sans hypothèses préalables (avec le « machine learning ») ce qui ne dispense pas de les vérifier ensuite dans de solides conditions expérimentales.
Je ne prends pas à mon compte les proclamations des chantres de la "fin de la théorie", puisque précisément la science reste toujours science et a le devoir de formuler des conclusions falsifiables, prédictives et reproductibles. Mais je constate que la science peut explorer un plus grand nombre de phénomènes, détecter des signaux de plus en plus ténus, et diversifier la stratégie d’identification des hypothèses à tester.
En revanche, c’est dans la sociologie du monde scientifique que les choses changent. Car effectivement on sort d’un monde où l’on reconnaissait le chercheur aguerri au fait qu’il avait appris, durement, sur le tas, à être économe en données, à réfléchir avant d’agir, à « ne pas se lancer à l’aventure ». Et il est vrai qu’aujourd’hui cette attitude est souvent moins efficace que la plongée dans une masse de données, même imprécises ou non structurées, en laissant germer les hypothèses à partir de premières questions posées aux données.

mardi, février 09, 2016

Premier rapport annuel sur la "gouvernance de la donnée" de l'Etat

Le 16 septembre 2014, le Premier ministre instituait la fonction d'Administrateur général des données  (AGD), que j'inaugure depuis le 18 septembre dernier.
Adaptée de la fonction de Chief data officer, mais pensée en fonction des besoins de l'Etat, cette fonction vise principalement à diffuser au sein de l'Etat les nouvelles pratiques des datasciences. A l'usage, ces pratiques ne réalisent pas tant la promesse des "big data" (nous n'avons pas encore relevé au sein de l'action publique tellement de problèmes nécessitant d'énormes quantités de calcul), mais au nom des nouvelles classes d'actions qui s'inventent tous les jours avec les données.
Insensiblement, en effet, nous passons du régime de la description à celui de la prédiction, puis, plus important encore, à celui de la prescription. C'est cela qui se passe aujourd'hui d'important avec les données : l'irruption de nouvelles questions : "next best action", par exemple. Et souvent aussi de nouvelles stratégies d'action : la création de boucles de rétrocontrôle rapide, l' "empowerment" des agents, l'ouverture de référentiels accessibles à tous...
Pour remplir sa mission, l'AGD était autorisé à créer une petite équipe au sein de la mission Etalab, se voyait doté d'une capacité d'expérimentation, d'une capacité à demander à connaître la structure des données des administrations, et se voyait confier la tâche de remettre chaque année au Premier ministre un rapport sur la gouvernance de la donnée.