jeudi, octobre 08, 2009

Le Grand emprunt doit faire entrer la France dans la société de la connaissance

Intervention devant la commission pour l'emprunt national

Crise financière et mutations économiques


La crise financière a frappé un monde économique en pleine mutation : mondialisation, dématérialisation, décentralisation, évolutions du travail, redéfinition des chaînes de valeur, communication ubiquitaire, accélération des échanges, technologies de l’intelligence ont créé, avant même la crise, un environnement en évolution très rapide, saturé d’opportunités et de menaces.

Le numérique est au centre de ces mutations :
· Profondes mutations du secteur des médias (délinéarisation, fragmentation, chaînes de valeur, UGC…) ;
· Redéfinition des secteurs de la distribution (personnalisation, simulation, désintermédiation) ;
· Nouvelle efficacité des approches d"open innovation" « low cost », rendues possibles par les modèles de développement basés sur l’open source, le mash up et les APIs ouvertes (Ce mouvement rend à la fois de nouvelles offres possibles mais en même temps la définition de business model rentable toujours plus difficile en mettant la pression sur les marges) ;
· Mutations de secteurs industriels renouvelés par l’informatique et les télécommunications (transport, énergie, urbanisme, santé…) ;
· Emergence de nouveaux marchés : industries de la connaissance, services personnalisés, etc.

Pour de nombreux analystes, ces transformations économiques sont en outre corrélées à de profondes transformations sociales (incluant de nouvelles aspirations : environnement, développement durable, transparence, participation…) qui, en particulier, affaiblissent durablement les modes de production, de commercialisation et de consommation qui ont caractérisé les sociétés industrielles du XXe Siècle. C’est ainsi que la chute spectaculaire de General Motors marque pour beaucoup la fin d’un certain modèle industriel bien plus qu’une simple conséquence de la crise des subprimes.

C’est pourquoi le « grand emprunt » ne doit pas seulement relancer l’économie, il doit surtout permettre de renouveler les politiques industrielles classiques et d’investir sur la fondation de cette nouvelle donne économique et sociale pour fonder les bases de la prospérité française dans une économie de la connaissance ouverte.

Il doit en particulier s’attacher à trois objectifs :
- Fonder, durablement, une « société de la connaissance »
- Renforcer la compétitivité des secteurs industriels en soutenant leur mutation numérique ;
- Soutenir les secteurs d’hypercroissance pour augmenter durablement la croissance globale ;



1- Faire entrer la France dans la « société de la connaissance »


L’économie de la connaissance n’est pas qu’un slogan. Production, stockage, distribution et chaînes de valeur sont bouleversés dans de nombreux secteurs, en un mouvement qui concerne le corps social dans son ensemble.
Les investissements issus du grand emprunt ne doivent donc pas seulement lancer des chantiers d’avenir : ils doivent contribuer à transformer notre économie pour l’adapter à cette nouvelle donne.
C’est ainsi que nous avons besoin d’investissements permettant de :
- renforcer l’ambition, l’attractivité et le rayonnement des centres de recherche, universités, écoles d’ingénieurs et de faire bénéficier le tissu économique de cette excellence ;
- continuer à soutenir la diffusion du numérique, mais aussi de ses méthodes et de ses valeurs (créativité, travail collaboratif, recherche personnelle, ouverture et interopérabilité) dans l’ensemble du système éducatif ;
- moderniser et numériser l’administration, notamment dans ses rapports avec l’entreprise, non seulement pour accroître la vitesse et l’efficacité de ces services, mais aussi pour leur valeur d’exemplarité.

Tous les investissements qui renforceront la qualité de la recherche et de l’enseignement supérieur, la diffusion des pratiques numériques dans l’Education nationale et l’optimisation des relations avec l’administration seront porteurs de relance, non seulement du fait de leur efficacité directe, mais aussi par leur valeur d’exemplarité.

L’économie de la connaissance se déploie, à bien des égards, comme une culture nouvelle avec des valeurs, des principes et des méthodes qui lui sont propres. Cette culture est riche de potentialités, mais aussi de menaces pour les sociétés et les citoyens. Or, à bien des égards, la source de cette culture est encore américaine. La France, qui avait pourtant joué un rôle pionnier avec des institutions comme la CNIL ou le CCNE semble aujourd’hui absente de ces débats internationaux. Il est essentiel de soutenir l’émergence de débats public et d’élaborations conceptuelles portant sur des thématiques aussi essentielles que l’identité numérique, le statut des données personnelles, les nouvelles formes de valeur économiques, la sécurité et la confiance dans l’économie numérique, etc.

Un soutien au financement de Fondations et Think Tank permettant d’élaborer puis de promouvoir des positions françaises sur les questions centrales à la société de la connaissance semble déterminant.

L’un des principaux aspects de la transformation numérique tient au fait qu’il existe désormais, à côté des infrastructures matérielles, des infrastructures immatérielles, voire « logiques », aussi déterminantes pour la prospérité économique que les infrastructures anciennes : normes, standards, formats de données, bases de données…

Il semble à cet égard essentiel de voire figurer dans ce plan d’investissement :
· L’interopérabilité et l’ouverture des données publiques. La question de la libération des données publiques est devenue essentielle pour les chercheurs et les start-ups : les systèmes d’information (santé, urbanisme, pollution, météo…) représentent aujourd’hui une matière première exceptionnelle pour de très nombreuses entreprises .
· Un effort significatif sur l’implication française dans les débats internationaux de normalisation, standardisation et gouvernance du net, et sur l’établissement de consensus nationaux sous-tendant cette participation .

2- Utiliser le levier numérique pour renforcer la compétitivité


Le numérique, souvent perçu comme un facteur de risque, est un important levier de compétitivité industrielle.

Le plan de relance américain fait ainsi appel au numérique pour passer, avec la même infrastructure physique, d’un réseau énergétique obsolète à un réseau électrique intelligent, auto-organisé, bidirectionnel et hyper-performant (20 Milliards de $ sur le smart grid). De même, il recourt au numérique pour bâtir un système d’information de santé permettant non seulement la mise en place d’une sécurité sociale universelle, mais aussi la création de nombreuses activités à très forte valeur ajoutée (17 milliards).

En France, même si nos infrastructures sont meilleures, un tel projet aurait un impact significatif sur la consommation énergétique globale et sur le déploiement des énergies renouvelables. De plus, nous pouvons rechercher ce type de projets structurants, intégrateurs d’innovations et disruptifs, dans des secteurs où nous avons un réel potentiel de prise de positions de leadership :
· Ecosystème des industries de création et notamment image 3D, jeu vidéo, cinéma, e-learning, serious game ;
· Nouveaux modes collaboratifs d’interaction et de création, télétravail, murs d’écrans
· Maison digitale (économie d’énergie, nouvelles formes de communication, services et médias, lien social),
· Villes intelligentes, posant de manière renouvelée les questions d’urbanisme, de transport, d’énergie, de communications, de mobilisation et de participation citoyenne.
· Services pour la santé (télémédecine, DMP, Medecine 2.0) et plus généralement services à la personne : il est possible, non seulement d’optimiser l’efficacité et la productivité du système de santé, mais encore de créer d’innombrables services à très haute valeur ajoutée sur un marché déjà existant ;
· Transports, route intelligente, véhicule électrique (les TIC joueront un rôle clé dans la gestion de l’infrastructure de recharge/échange de batteries)
· Internet des objets, qui sera une technologie structurante avec des applications dans de nombreux secteurs industriels , commerciaux et pour la maison intelligente , la ville durable
· Internet mobile, avec notamment les services géolocalisés de proximité
· La communication généralisée (mobile, en consommation de média, en parallèle avec toutes les autres applications
· technologies vertes, dans lesquelles capteurs, senseurs et logiciels d’optimisation auront un rôle central.
· Cloud Computing et virtualisation des infrastructures ;

Le grand emprunt devrait, sur plusieurs de ces chantiers essentiels, financer de grands projets de recherche/développement porteurs de ruptures, intégrateurs et structurants, allant jusqu’au déploiement de plate-formes d’innovation et d’infrastructures pérennes.

Ce financement peut prendre la forme de grands projets à objectif ambitieux et intégrateur (infrastructure de cloud computing de premier rang mondial, par exemple), ou de plate-formes de recherche dans l’esprit de certains projets actuellement soutenus par le FUI.

Le financement de ces programmes à travers les fondations pour la recherche semble une excellente option, susceptible de draîner des financements privés au côté de l’investissement public.

Sans préjudice d’autres programmes concernant d’autres secteurs économiques, Cap Digital soutiendrait en particulier le lancement de programmes de recherche collaborative ambitieux sur les secteurs suivant :

- Contenus intelligents, filière image, animation 3D et mediacomputing, avec un effort considérable de formation, en considération du rang de la France dans ces industries et de leur potentiel d’hypercroissance dans les années à venir ;
- Maison digitale, parce que le domicile est aujourd’hui la cellule de base de la société numérique, et qu’un tel chantier intégrerait, autour d’objectifs concrets et porteurs de croissance, les réflexions sur l’information, le très haut débit, l’énergie, le développement soutenable et la communication / citoyenneté ;
- Cité intelligente et durable, parce que seul le numérique permettra d’intégrer, avec une efficacité accrue, les besoins de transport intelligent, d’économies d’énergie, de participation citoyenne, de services géolocalisés et personnalisés qui fonderont demain les « smart cities »
- TIC et santé, parce que le potentiel d’amélioration de la qualité des soins, d’optimisation des dépenses est majeur, parce que le marché est déjà présent et parce que la France va affronter, plus tôt que d’autres pays, la question de la longue vie, mais sera ensuite en position d’exporter nombre de services et de solutions dans le monde entier.
- Internet des objets : parce que cette nouvelle révolution porte un potentiel quasiment infini de services à très haute valeur ajoutée et qu’il n’existe à ce jour aucune position de leadership mondial.

Sur certains projets porteurs d’innovation sociale, il sera important de soutenir la création de plateformes d’intégration des services & usages, pour les tester, les valider et entrer dans une phase de co-innovation avec les usagers. On souhaiterait que le grand emprunt, en dehors d’augmenter des fonds de financement des projets collaboratifs sur le modèle actuel, permette aussi de financer (au sein d’un organisme public pour des questions d’investissement) des plateformes qui ensuite seraient mises à disposition aux partenaires. On peut aussi imaginer des tests en grandeur réelle et plus structurants ( « smart cities »).

Tous ces projets structurants ne pourront se déployer qu’en s’appuyant sur le déploiement effectif et généralisé d’une infrastructure à haut puis très haut débit. Mais il serait regrettable que le grand emprunt se focalise excessivement sur cette question: l'infra structure haut débit existante permet de répondre à un prix très compétitif aux besoins des nouveaux services émergents.

3- Soutenir l’hypercroissance


Au delà de cet indispensable soutien aux secteurs industriels en voie de transformation rapide, il est indispensable, pour atteindre une croissance durable, de positionner une fraction significative des activités de la France sur des secteurs en forte croissance.

Or, les secteurs d’hypercroissance sont rares, et généralement hautement technologiques : énergies renouvelables, environnement, et, naturellement, numérique.
Le secteur numérique est l’un de ces secteurs. Il dépasse largement le cadre de l’Internet. A la rencontre des industries de l’informatique et des télécommunications et des industries de l’information, éducation et divertissement , ilenglobe les contenus digitaux (images, jeux vidéos, services mobiles), le traitement des signaux, de l’information et de la connaissance, la téléphonie mobile et l’ensemble des applications à très forte valeur ajoutée qui se développent autour des capteurs et senseurs, de la géolocalisation et des communications sans contact.
Avec l’augmentation continue de la puissance des puces, l’« informatique » pénètre tous les objets de la vie quotidienne . Quant aux télécommunications, elles concernent désormais toutes sortes de services (personnalisés, géolocalisés, machine to machine) où le numérique ouvre un potentiel de création quasi infini. A la rencontre de ces deux secteurs, les contenus et services numériques représentent 60% des investissements et ont une croissance annuelle de 20 % . D’autres secteurs émergent aujourd’hui, avec un potentiel extraordinaire : internet mobile, services mobiles, internet des objets, robotique, serious game…

C’est pourquoi au Japon, un tiers du plan de relance est consacré à l’industrie des contenus prise au sens global : musique, cinéma, télévision, jeu vidéo, télécoms. De nombreuses initiatives sont mises en œuvre pour pousser les industriels japonais à se regrouper en mettant l’accent sur la double finalité économique et culturelle de cette industrie.

Or, la France a de nombreux atouts dans cette économie : infrastructures, éducation, grandes entreprises très internationalisées, entrepreneurs, fiscalité de l’innovation. Sur de nombreux secteurs, elle a conservé de très bonnes positions dans les télécommunications, le logiciel (notamment le logiciel libre), l’image 3D et les effets spéciaux, les jeux vidéos ou les services mobiles, secteurs qui sont désormais situés sur la ligne de front de la guerre économique.

La région Ile de France est, d’après la Commission européenne, la région d’Europe la plus dense en emplois sur les secteurs numériques, avec plus de 100 000 emplois dans le secteur de l’audiovisuel (soit ½ Hollywood) et plus de 400 000 emplois supplémentaires dans les technologies de l’information et de la communication.

La France a tout le potentiel pour installer durablement des industries solides sur ces secteurs d’hypercroissance.
Les acteurs de la transformation sont généralement les PME, flexibles, mobiles et adaptables. Elles ont besoin, pour réussir, de s’insérer dans un écosystème de croissance, riche en grandes entreprises et en recherche publique et privée, capable de financer leur développement et donc offrant en particulier des possibilités de sortie aux investisseurs.

En structurant ces écosystèmes les pôles de compétitivité sont une première réponse à cette problématique. Il faut maintenant étendre ces méthodes et passer à la vitesse supérieure.

De nouvelles mesures, plus spécifiquement dédiées aux PME de croissance, accélèreraient ce développement :

· Créer des fonds de préamorçage avant de permettre la maturation des projets de création d’entreprise, flécher les exonérations d’ISF prévues par la loi TEPA sur les secteurs technologiques et de croissance ;
· Soutenir les PME de croissance qui ont plus de mal à trouver leurs fonds propres, par exemple grâce à des prêts participatifs à taux préférentiel ;.
· Accélérer la mise sur le marché des innovations des PME, notamment par la commande publique ;
· Poursuivre la structuration des écosystèmes de croissance : faciliter l’accès des PME aux grands comptes et à la commande publique, combler le fossé croissant entre PME et grands groupes et continuer à susciter l’implication de la recherche privée de ces grands groupes, de la recherche publique et des financeurs dans ces écosystèmes. Et avant tout soutenir l’ambition internationale de ces écosystèmes.