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lundi, juin 22, 2020

La Vérité

Le 27 mars dernier, le Secrétaire général des Nations-Unies déclarait solennellement "Notre ennemi commun est la COVID-19, mais notre ennemi est aussi une ’infodémie’ de désinformation". 

Il est vrai que l'épidémie de Covid a suscité un déluge de commentaires, de rumeurs, de colères et de soupçons, venant des sources les plus variées et parfois... déconcertantes. Pour les autorités du monde entier, la nécessité de faire comprendre la situation, d'empêcher la panique, de diffuser de bonnes instructions sanitaires de manière non ambigüe était, au sens strict, une question de vie ou de mort.

Pendant cette crise, les médias, les entreprises d'internet - moteurs de recherche et réseaux sociaux -, les gouvernements et les autorités sanitaires se sont mobilisés pour que cette "infodémie" ne dégénère pas. 

Et l'un dans l'autre, il semble que nous ayons plus ou moins compris, ou en tous cas eu les moyens de comprendre, que ce virus n'était pas une arme bactériologique, qu'il ne se soignait pas en buvant du thé, que les gestes barrières étaient importants et quelques autres vérités essentielles...

Nul soulagement pour autant. Nous avons assisté à des choses inquiétantes, nous savons qu'elles auraient pu être pires, nous avons bricolé, dans l'urgence, des règles parfois un peu acrobatiques. Quelques sites, comptes ou messages ont été censurés un peu rapidement, quelques dérapages ont été observés... Nous pouvons faire mieux.

je voudrais revenir aujourd'hui sur ce concept d'infodémie et sur cette exigence de "protéger la vérité". Les deux prennent place dans une longue histoire de dénonciations et d'appels à mobilisation contre les "Fake news", les "infox", la "désinformation", la "misinformation", "l'ère de la post-vérité "(expression née autour de 2004 et consacrée par le dictionnaire d'Oxford en 2016), la "Thruthiness" (jeu de mot lancé par Stephen Colbert en 2005) et tant d'autres expressions de préoccupation des autorités, des intellectuels, des journalistes et de nombreux citoyens face à cette parole ingérable et bouillonnante des réseaux sociaux. 

mardi, juin 26, 2018

Pour une administration libérée

Il y aura bientôt 5 ans que je travaille à la transformation numérique de l'Etat, dont bientôt trois ans à la tête de la DINSIC. Au cours de ces quelques années, grâce à d'innombrables rencontres et de multiples projets, nous avons soutenu la diffusion dans l'Etat de pratiques innovantes : stratégies ouvertes (open data, open government, contribution au logiciel libre), stratégies de plateforme (France Connect, API.gouv), recours aux datasciences, recours aux communs numériques (comme la BAN ou Open Fisca), meilleure prise en compte de l'expérience utilisateur, innovation ouverte (programme des entrepreneurs d'intérêt général), et bien sûr les méthodes agiles avec plus de 55 Startups d'Etat.
Plus discrètement, mais avec autant d'impact, nous avons soutenu une évolution qui commence à porter ses fruits, dans la conduite des grands projets, le travail sur le socle informatique de l'Etat, ou l'échange de données entre administrations (qui épargne chaque année des millions d'envois de pièces justificatives).
Des milliers d'agents publics ont commencé à s'approprier cette révolution numérique, et des millions de citoyens utilisent chaque jour les produits nés dans l'incubateur beta.gouv.fr, se connectent avec France Connect ou utilisent, parfois sans le savoir, les données libérées par l'open data.

Au fur et à mesure de cette expérience, de ces rencontres et de ces coopérations, je me suis pourtant convaincu que le véritable enjeu est ailleurs. La transformation numérique de l'Etat, pour faire advenir l'Etat de notre civilisation numérique, l'Etat qu'exige notre époque, appelle d'abord et avant tout une transformation de l'Etat lui-même : une remise en cause des formes actuelles de la bureaucratie.

dimanche, mars 26, 2017

[Billet invité] Clément Bertholet et Laura Létourneau : L’Etat contre-attaque

Je suis très heureux d'inviter aujourd'hui Clément Bertholet et Laura Létourneau, deux jeunes ingénieurs des Mines dont le mémoire de fin d'étude a suscité de nombreux commentaires dans l'Etat, et a donné naissance à un livre aujourd'hui disponible dans toutes les bonnes librairies : Uberisons l'Etat avant que d'autres ne s'en chargent.

"Ubérisation, à qui le tour ?" nous a-t-on demandé en dernière année de formation du Corps des Mines. Surpris de constater que tous les acteurs économiques s'accordaient à dire que l’ubérisation allait renverser tous les secteurs sauf le leur, nous avons réalisé que nous, hauts fonctionnaires, étions victimes du même biais. Après nous être entretenus avec une cinquantaine de personnes, le constat fut sans appel : l'Etat était en passe d'ubérisation.

L'Etat bientôt ubérisé : la menace fantôme

Toutes les entreprises établies, quel que soit le secteur, sentent une menace poindre, encore indistincte pour certains, bien réelle pour d’autres. Impossible de trouver un taxi le samedi soir ? Uber est arrivé. Des chambres d’hôtel mornes et impersonnelles ? Airbnb a proposé une expérience nouvelle et personnalisée au voyageur. Des tarifs trop élevés et des gares de moins en moins desservies par la SNCF ? Blablacar a fait le choix du partage du prix.
De la même manière, c’est un calvaire pour inscrire son enfant en crèche, changer de caisse d'assurance maladie, déclarer un permis de construire ou refaire sa carte grise. Alors finalement, ne serait-ce pas au tour de l'Etat de se faire ubériser ?

lundi, décembre 19, 2016

La Révolution numérique, champ de bataille démocratique



A l'occasion de l'ouverture du sommet de l'Open Government Partnership à Paris (#OGP16), j'ai donné un long entretien à Mediapart, qui grâce au talent de Jérôme Hourdeaux, m'a semblé particulièrement complet et précis. Avec leur autorisation, j'ai le plaisir de le partager aujourd'hui avec vous. Les illustrations en revanche sont les miennes, issues du sommet lui-même.

« Open government », « open data », « civic tech »… sont des concepts qui peuvent souvent sembler très vagues et peu concrets. Comment expliquer au grand public les enjeux de ce partenariat et de ce sommet ?
Henri Verdier : Ce qui compte, c’est d’abord le sommet, que des personnes se retrouvent pour se retrousser les manches et s’organiser afin de régler des problèmes. Les uns sont chercheurs, d’autres font partie de la civic tech, mais il y a aussi des collectifs de quartier… en résumé tous types de citoyens. C’est impressionnant de voir à quel point il se passe des choses dans le monde entier : aux Philippines, en Indonésie, au Pérou, au Brésil…

Ces gens ont décidé de s’organiser, de devenir une force collective. Et c’est dans ce dessein qu’ils ont créé ce partenariat d’un nouveau genre, hybride, composé de plusieurs centaines d’ONG et de 70 gouvernements, copiloté par des élus et des membres de la société civile.
L’Open Government Partnership est bien entendu très important. Mais ce qu’il faut regarder, c’est la lame de fond, ce qu’est en train de devenir la démocratie à une époque où les citoyens sont à peu près tous éduqués – 80 % des humains savent lire et écrire –, ont accès à l’information et peuvent s’organiser grâce à Internet. Aujourd’hui, peut-on se satisfaire d’un modèle inventé à l’époque des cités grecques et reposant, plus ou moins, sur des athlètes surentraînés, car il faut en être un pour faire tourner la machine aujourd’hui ? Elle est là, la grande question.

Alors, certes, on me demande souvent, comme vous aujourd’hui : comment y intéresser le grand public ? C’est comme René Dumont et ses amis dans les années 1970 : ça démarre, ça balbutie, parfois il y a des trucs un peu ridicules. Mais je pense que dans vingt ans ça sera un sujet aussi important que le développement durable. Ce sera le développement démocratique durable.

lundi, décembre 05, 2016

Démocratie cybernétique

Jeudi prochain, dans le cadre du sommet mondial de l'OGP, se tiendra une "nuit des débats" de la démocratie, qui commencera par un "tribunal pour les générations futures" organisé par l'équipe d'Usbek et Rica, qui se poursuivra par une nuit de pitches et de tables rondes animée par l'ami Julien Letailleur, avec des interventions de Pablo Soto, Cynthia Fleury, Primavera de Filippi, Regards citoyens, Tanja Aitamurto, ou encore François Taddéi et bien d'autres, et se poursuivra dans tout Paris : au Lieu d’Accueil Innovant Espoir18, chez Superpublic , au Schoolab, au Numa, chez Make.org, au SenseSpace ou encore à l’Otherspace. Vous ne pourrez pas tout voir, c'est sûr. C'est le principe. La révolution ne sera pas télévisée...

Pour ma part, j'aurai le plaisir et l'honneur de dialoguer, après le premier round de pitches, avec Joël de Rosnay. Je ne sais pas si tous les activistes du renouveau démocratique et toutes les civic Tech savent tout ce qu'ils doivent à Joël de Rosnay. Je ne parle pas seulement de l'introduction en France du surf ni de la naissance de la Cité des sciences. Je pense à ses travaux, à son humanisme technophile, à sa pensée des organisations humaines et aussi à son attention subtile et bienveillante aux idées et aux personnes. Je cherche à comprendre, les codes cachés de la nature, son dernier livre, en témoigne à nouveau.

mercredi, novembre 12, 2014

Statactivistes ? Encore un effort pour être vraiment révolutionnaires

La semaine dernière, j'ai été invité par Sabine Blanc et Samuel Goëta à participer à un passionnant débat de l'OKFN sur le "Statactivisme".
Le prétexte à cet échange était la parution, en mai dernier, du livre d'Isabelle Bruno, Emmanuel Didier et Julien Prévieux : Statactivisme, comment lutter avec des nombres.

C'est un livre joyeux et stimulant, qui, constatant le lien intime entre la statistique et le pouvoir, s'efforce d'armer ses lecteurs pour qu'ils résistent mieux à cette collusion. C'est un livre tonique et rebelle, qui se propose de nous apprendre à lire les statistiques, de nous familiariser avec les innombrables moyens de les manipuler, mais surtout de nous apprendre à lutter avec ces armes de pouvoir, en sachant critiquer les statistiques, en produisant nous-mêmes des contre-statistiques, voire par d'autres formes de subversion, y compris artistique (c'est d'ailleurs l'une des dimensions importantes et imprévues de ce bel ouvrage)...

Ce fut une belle soirée, où nous avons pu échanger avec Joël Gombin, de l'Université de Picardie, Laure Lucchesi, directrice adjointe d'Etalab, Hervé Paris, d'Altercarto ("mutuelle de données, de cartes et de savoir-faire"), Xavier Moisant, le célèbre blogueur ferroviaire, et Edouard Schlumberger, fondateur de Vroomvroom.fr.

Et pourtant, cette soirée m'a laissé un sentiment d'inachevé. Comme l'impression que la manière dont on posait la question risquait de nous faire rater quelque chose d'essentiel sur les évolutions en cours des rapports entre le nombre et le pouvoir. Au risque, paradoxal, de renforcer les formes de pouvoir que ce "statactivisme" prétend combattre.

lundi, octobre 27, 2014

Gouvernement des algorithmes : une contribution au débat

Une controverse fondamentale se noue actuellement sur l'émergence - réelle ou supposée - du "gouvernement des algorithmes." Et sur ses dangers, parmi lesquels, certains annoncent tout simplement "la mort du politique".

Les datasciences entrent concrètement dans nos existences : capacité à nous proposer les livres ou les destinations qui nous intéressent, big data appliqué à la lutte contre la fraude fiscale, optimisation des patrouilles de police par le logiciel Predpol, choix de la meilleure distribution des équipements publics dans une ville, smarts cities, allocation des ressources douanières, assistance informatique à la décision du chirurgien ou du juges des libertés, calcul du prix de notre billet d'avion, recours au A/B testing pour choisir la meilleure manière de nous adresser un courrier de relance. Nous pressentons la force de cette vague qui englobe le développement des datasciences, l'analytique prédictive, le succès des  data-driven strategies, l'augmentation de l'intelligence embarquée dans un nombre croissant d'objets, la personnalisation de plus en plus grande des biens et des services, les bulles algorithmiques de plus en plus adaptées à nos personnalités, un monde de plus en plus serviciel...
Nous sentons aussi qu'il s'agit d'une nouvelle forme de pouvoir, qu'il soit exercé par de grandes entreprises commerciales ou par des gouvernements. Et nous ressentons une sourde inquiétude face à un monde de plus en plus "intelligent", c'est-à-dire en fait de plus en plus capable de nous suivre, de nous connaître, de nous servir mais aussi de nous guider vers le "meilleur choix".

Vers quoi tendent toutes ces évolutions ? Quel avenir nous réservent-elles ? Quel projet inconscient les sous-tendent ? Il n'est pas inutile de se poser ces questions maintenant... Et justement, la polémique a commencé cet été, et de belle manière.

dimanche, juillet 06, 2014

Le numérique dévorera-t-il le luxe ?



Alice, Nicolas et Oussama m'ont invité à parler ce mercredi à "Hackers on the Runway", la grande rencontre organisée par TheFamily autour de la disruption digitale de l'industrie du luxe.

Et ils m'ont demandé de parler de big data.

Evidemment, c'etait paradoxal. Le numérique dévore le monde, c'est entendu. Mais il l'attaque plutôt par la technologie, l'algorithme, la personnalisation ou la massification.

Le luxe, on pourrait penser que ça va être autre chose. Enfin si, comme moi, on entend par luxe le geste glamour, élitiste, précieux et inaccessible. C'est vrai qu'on a un peu de mal à l'associer au  numérique. J'y pensais d'ailleurs l'autre jour, traversant l'une de ces villes du sud de la France où 80 % des femmes sont blondes, couvertes de bijoux, et où les nouveaux riches aiment des costumes, des voitures et des restaurants auxquels je ne songerais même pas. Je me disais justement que leurs smartphones, en revanche, sont ceux que nous voyons tous les jours dans le métro. Et je me demandais si le numérique ferait naître une nouvelle Distinction ou s'il nous promettait désormais la même perfection à portée de tous ?

Au fond, le luxe doit assumer une position paradoxale par rapport à la modernité. Il vise l'intemporel, l'éternel, il enjambe son temps. Comme le dandy de Dolto : "C'est au coeur même de Dieu qu'il doit atteindre, flèche de désir, c'est au coeur de Dieu qu'il doit ficher son cri".

Et en même temps, il est totalement de son temps, parce qu'il en convoque toutes les technologies, parce qu'il en épouse les aspirations les plus secrètes, parce qu'il lui propose de nouvelles formes de "distinction" au sens de Bourdieu, parce qu'il couronne une économie, dont il dépend. Mais aussi parce qu'il inquiète son temps qui ne cesse de tenter de le contrôler, comme le montre la longue histoire de édits somptuaires et de leurs tentatives, au fil des siècles, sur tout les continents, pour l'organiser et le limiter. Et surtout parce que le luxe, quoi qu'on en pense, a toujours une dimension politique.




jeudi, juin 26, 2014

L'Etat peut-il être un innovateur radical ?

La simplification, la modernisation et l'efficacité de l'Etat intéressent de plus en plus de monde, et sont désormais portées au plus haut niveau de l'Etat. C'est une bonne chose. La question de ce ce que doit être la puissance publique du XXIe Siècle, et de savoir comment elle doit s'organiser, est sans doute l'une des plus importantes questions politiques du moment.

Comme les autres révolutions industrielles, la révolution numérique appelle une révolution politique, qui n'est pas jouée, mais qui redéfinira à terme le rôle, les missions et les stratégies de l'Etat. Edwy Plenel a magnifiquement parlé de cette question au cours de l'installation de la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Regardez la vidéo si vous en avez le temps...

Dans cette révolution politique, la stratégie digitale de l'Etat joue un rôle fondamental. C'est elle qui peut permettre à l'Etat de s'approprier les gains de productivité et d'efficacité apportés par le numérique. C'est elle peut lui permettre d'atteindre la créativité, la puissance d'innovation et la réactivité des "disrupteurs numériques". C'est elle qui peut lui permettre de s'harmoniser avec une société d'innovation permanente, et donc d'en accompagner intelligemment la transformation économique et sociale. C'est elle qui peut fonder la puissance et la souveraineté nécessaires à la préservation de l'intérêt général, dans un monde où les pouvoirs se redistribuent rapidement, entre Etats, sociétés civiles et nouveaux acteurs économiques. C'est elle, enfin, qui peut nous permettre de répondre aux nouveaux défis de la modernité : la crise démocratique, la crise économique et industrielle, le besoin de garantir des nouvelles libertés et d'accompagner de nouvelles solidarités.

lundi, octobre 21, 2013

Data Revolution : le troisième acte de la révolution numérique


La révolution numérique n'est pas linéaire. Elles procède par vagues, qui se chevauchent et se dépassent les unes les autres.

Les trois révolutions numériques

Il y a quarante ans, le numérique, c’était l’informatique, c'était surtout de la puissance de calcul et le rêve d'approcher les fonctions cognitives supérieures de l'Homme... Ca allait déjà changer le monde : des ingénieurs aventureux, qui découvraient ce monde nouveau avec émerveillement, bricolaient des Apple, inventaient des codes courts (Microsoft), ou, en France, calculaient la voilure du Concorde ou la trajectoire de la fusée Ariane. 
L'imaginaire de cette première vague de la Révolution numérique, c'était 2011, l'Odysséee de l'espace, et IBM développait tranquillement ce qui allait devenir de Deep Blue, l'ordinateur qui allait, finalement, battre Gary Kasparov aux échecs, en 1996.

Il y a vingt ans, nous entrions sans trop nous en rendre compte dans la deuxième étape de la Révolution numérique. Internet commençait à conquérir le grand public. Les ordinateurs, puis les humains, puis tous les objets entraient dans ce grand système d'interconnexion. On préparait tranquillement l’avènement du Docteur Watson d'IBM, qui conjuguerait non seulement la puissance d'un Deep Blue de troisième génération, mais aussi de puissantes capacités sémantiques lui permettant de rechercher sur Internet toutes les réponses imaginables et de gagner le jeu télévisé Jeopardy, en 2011. 
Avec l'émergence de la mobilité, avec les outils du web 2.0, avec la vague des objets communicants, l'informatique devenait pervasive, omniprésente, transformatrice, ouvrant sur de nouvelles vagues de cette Révolution numérique : les big data, l'âge de la Multitude, etc.
Cette "révolution numérique" n'était pas la révolution informatique. Les acteurs n'en furent pas les mêmes. De nouveaux géants prirent des positions clés, et, en Europe notamment, la plupart des géants de la première révolution furent durement éprouvés.

mercredi, septembre 11, 2013

L'avis du Conseil national du numérique sur la fiscalité du numérique

Le Conseil national du numérique a remis ce jour à Bernard Cazeneuve et Fleur Pellerin son rapport et son avis sur la fiscalité du numérique.

Sans surprise, ce collège d'éminents représentants des secteurs numériques, après audition de nombreux autres représentants du secteur, recommande de ne pas créer de taxe sur les industries numériques... ce dont se félicitent les représentants institutionnels de ces industries.

Malgré ce résultat prévisible, ce travail me semble marquer de grandes avancées. Il y a quelques mois seulement, la question de la fiscalité du numérique se cantonnait, fondamentalement, à deux positions extrêmes :
- le discours larmoyant autour du numérique qui "détruisait de la valeur" dans l'ancienne économie et qu'il fallait taxer à titre de compensation (pour ne pas dire "punition") ;
- et le discours arrogant de ceux qui disaient "nous créons la croissance et il ne faut donc pas nous taxer" (position qui n'a aucun fondement sérieux, ni moral ni économique).

On n'en n'est plus là, et c'est heureux.

lundi, décembre 03, 2012

Connais-toi toi même (petite philosophie du #QuantifiedSelf )

Cela fait un bon moment que je voulais vous parler du livre de mon vieil ami, Emmanuel Gadenne : Le Guide pratique du Quantified Self, Mieux gérer sa vie, sa santé, sa productivité, publié par l'excellent FYP éditions (éditeur de référence des think tank et des explorateurs du numérique...).
Outre qu'il vient d'un formidable village lorrain, Emmanuel Gadenne, consultant dans une grande société de conseil et de service technologique, est un explorateur méthodique et obstiné de la révolution numérique en cours.
Avec les Explorateurs du web (où l'on retrouve plein d'autres amis), il a travaillé avec rigueur des questions essentielles comme le microblogging, les monnaies libres, la géolocalisation ou le twinome...
Il anime le blog Webusage, consacré lui aussi à l'émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux arts de vivre.

Passionné par le Quantified Self, il a créé la branche parisienne de ce mouvement mondial avec, entre autres, Christophe Ducamp ou Olivier Desbiey...

mercredi, octobre 17, 2012

Aperçus sur l'écosystème numérique français

Nous avons tenu hier, à l'Assemblée nationale, une intéressante rencontre du Collectif du numérique et des parlementaires.
L'occasion pour nombre d'entre nous de retrouver quelques-uns des députés et sénateurs qui s'intéressent réellement à nos enjeux : Corinne Ehrel, Laure de la Raudière, Jean-Louis Gagnaire, Michel Aslanian, Lionel Tardy, Thomas Thévenoud et la découverte du jour, le sénateur André Gattolin.

C'est Fleur Pellerin qui a ouvert le colloque, avec une intervention centrée sur le programme numérique présenté la semaine dernière en conseil des ministres, avec notamment un développement appuyé sur la souveraineté numérique et sur les transformations du travail.
Puis elle revint sur le fameux article 6 du projet de loi de finances 2013, pour rappeler que le projet de loi de finances avait d'emblée marqué son engagement auprès des PME et des PME innovantes (notamment à travers le maintien des dispositifs JEI et CIR - qui sera même élargi à l'innovation), pour confirmer les amendements gouvernementaux déjà annoncés (restauration de la fiscalité actuelle pour les entrepreneurs et les capitaux risqueurs moyennant une certaine durée de détention et le respect de certains seuils), mais aussi pour défendre le principe de la concertation avec les entrepreneurs et de l'amélioration d'un texte qui aurait eu, sans cela, des conséquences économiques catastrophiques (ceci en réponse à certaines contestations à gauche). Le Parlement va maintenant commencer son travail, et de nombreuses évolutions, dans les deux sens, restent possibles. La vigilance reste de mise.

lundi, juin 11, 2012

Vers une nouvelle anthropologie de la vie privée ?

"Alors ? Est-ce que tu penses que les gens sont maintenant prêts à partager leurs données personnelles ?"
Sans doute est-ce une coïncidence, mais ces dernières semaines, trois responsables de grandes entreprises - qui pourraient toutes envisager de développer de très belles applications avec les données dont elles disposent - m'ont posé la même question...

Et trois fois, j'ai donc du expliquer pourquoi je contestais aussi bien les les termes que les attendus de cette question.

Ce n'est pas une bonne question, car elle part de présupposés - largement inconscients - sur ce que devrait être l'intimité sur ses données, et d'une mauvaise lecture de ce que nous vivons aujourd'hui. Fondamentalement, elle part de l'idée que dévoiler son intimité est toujours dangereux mais que les citoyens baissent progressivement leur garde.

lundi, février 06, 2012

Mon Superhéros

Chers amis,

Je me fais un peu rare sur ce blog, mais il faut dire qu'avec l'ami Nicolas Colin nous mettons la dernière main à un livre d'économie et de stratégie numérique. On en reparlera bientôt.

Comme les fracas de la campagne électorale nous parviennent quand même un peu, j'ai eu soudainement envie de vous parler du candidat de mes rêves. Celui qu'on ne verra pas cette année, parce que le climat est lourd, que les uns jouent la stratégie du choc et que les autres ont besoin, du coup, de rassurer. Et que la campagne manque donc un peu d'idées folles.

Mon superhéros garde sous le coude de puissantes cartouches numériques qu'il abattra prochainement : 
  • réindustrialisation sous-tendue par les technologies numériques
  • fusion des énergies renouvelables et des réseaux numériques
  • reconfiguration numérique de la salle de classe
  • transformation numérique du système de santé
  • "gouvernement ouvert" 
Il annoncera bientôt un plan sur  10 ans pour décarboner la France (qu'il a élaboré avec Jeremy Rifkin).

Il attend la dernière ligne droite de la campagne pour rendre public son programme pour l'éducation numérique qu'il a préparé, dans le plus grand secret, avec Sugata Mitra.

vendredi, janvier 13, 2012

Les libertés numériques sont-elles des libertés comme les autres ?


Voici la contribution que j'ai apportée au numéro spécial sur "Les Penseurs de la liberté" du Magazine littéraire qui paraîtra ce samedi. Je vous recommande d'acheter l'ensemble, coordonné par Frédéric Martel, et absolument passionnant.
L'ampleur et l'importance du sujet, ainsi que l'exigence de concision m'ont contraint à produire un gros effort de synthèse et à rester généraliste. On ne parle pas ici de SOPA ou autre... Chaque paragraphe pourrait faire l'objet d'un blogpost à lui seul. Mais je ne doute pas que vos commentaires vont développer cette introduction.
A vous lire, donc.



Une Révolution politique
Internet est d’abord un projet politique. Tout comme l’informatique individuelle. Il fallait être l’un de ces activistes typiques de la Silicon Valley des années 70, au carrefour des hippies et des militaires, pour décréter que l’informatique étant un média, il fallait la rendre au peuple. Et pour ouvrir à tous un réseau comme Internet.
Quarante ans plus tard, un tiers des Humains possèdent chacun l’équivalent des supercalculateurs d’alors, et échangent librement grâce à ce réseau ouvert et relativement décentralisé. Jamais les individus, les organisations, et les gouvernements n’avaient eu accès à un tel pouvoir d’expression et d’action. Jamais ils n’avaient revendiqué une telle liberté créative. Jamais ils n’avaient remis en cause tant d’équilibres. Jamais non plus il n’avait fallu réinventer aussi rapidement des règles de police, de politesse ou de régulation économique.

Une plateforme d’innovations radicales
Le numérique est marqué par cette origine libertaire. En témoigne l’importance de l’esprit hacker, fondé sur la passion au travail, la recherche de l’indépendance et le goût de la coopération (voir Pekka Himanen The Hacker Ethic and the Spirit of the Information Age). Cette attitude s’étend même désormais au développement d’objets open source, copiables, modifiables et « bricolables » (utilisant même des langages spécifiques, comme Arduino), ou encore l’importance croissante du mouvement « Do it yourself », qu’illustre la multiplication des FabLabs, organisations portant un projet d’émancipation face à la technologie à la fois technique, pédagogique et politique.
Cet état d’esprit devient politique quand il enjoint de « programmer ou d’être programmé ». Il a présidé à l’invention des grands réseaux d’échange pair à pair, qui ébranlent l’industrie musicale (mais ouvrent des univers de coopérations possibles). Il préside au combat des Anonymous, collectif auto-organisé engagé aussi bien dans la lutte contre les monopoles, que dans les printemps arabes ou la lutte contre les narcotrafiquants. Il inspire Wikileaks, qui entend protéger les donneurs d’alerte en diffusant massivement des documents confidentiels, et n’est pas sans poser de nombreuses questions éthiques et politiques, concernant tant ses pratiques que celles de ses adversaires.
(...)

lundi, novembre 28, 2011

Jean-Louis Missika : Mutations numériques et mutations cognitives, de l'écriture au web

Mardi 22 novembre dernier, j'ai eu l'occasion, parmi beaucoup d'autres d'assister à la leçon inaugurale de la Chaire "économie et gestion des industries numériques et des nouveaux médias" prononcée par Jean-Louis Missika. Le thème en était "Mutations numériques et mutations cognitives, de l'écriture au web", c'est-à-dire la manière dont des technologies cognitives, comme l'écriture, ou le web, modifient le travail même de la pensée.
Jean-Louis me fait l'amitié de m'autoriser à reporter cette conférence sur ce blog, ce qui me permet d'avoir le plaisir de la partager avec vous. 
Les illustrations, en revanche, sont de mon cru.


J’ai choisi de faire cette leçon sur un sujet très classique : la relation entre cette catégorie très particulière de technologies qu’on nomme technologies cognitives et les pratiques culturelles au sens large, notamment dans les domaines politiques et scientifiques. Par technologie cognitive, il faut entendre les technologies qui manipulent les signes, les stockent et les diffusent : ainsi le langage, l’écriture, l’imprimerie, la rotative, le télégraphe, le téléphone (fixe ou mobile), la radio, le cinéma, la télévision, le web sont des technologies cognitives. Cette liste n’est pas exhaustive même si les ruptures technologiques dans ce domaine sont rares.

La thèse que je défendrai est la suivante : l’émergence d’une technologie cognitive bouleverse et réagence les processus de délibération qui régissent les pratiques d’une communauté ou d’une société. Le bouleversement peut concerner l’architecture du réseau de délibération, les organisations et les individus qui participent à la délibération, les normes et les conventions qui la structurent. Ou tout cela à la fois.

Pour mieux comprendre la mutation numérique en cours, qui est difficile à appréhender, justement parce que nous la vivons au jour le jour, j’ai choisi, comme d’autres avant moi, de l’étudier à la lumière de celles qui l’ont précédée. La distance historique et la comparaison permettent de cerner ce que change le déploiement social de la technologie cognitive dans nos manières de voir, de juger, de discuter, de réfléchir. Le détour par l’histoire permet de puiser chez les historiens, les anthropologues, les sociologues, les philosophes - qui ont choisi d’étudier les technologies cognitives et qui forment une sorte de collège invisible - les idées, les concepts et les méthodes qui nous aident à décoder cette mutation numérique. D’où le sous-titre de cette leçon : de l’écriture au web.

Dans son livre sur l’Aventure de l’Encyclopédie, Robert Darnton a montré que cette œuvre était autant une affaire d’éditeurs, d’imprimeurs, et de libraires que de philosophes. Il insiste sur le fait qu’il a voulu écrire l’histoire d’un livre et non pas d’une idée, et la liste qu’il dresse des questions  à l’origine de son travail est éclairante pour notre sujet : « Comment de grands mouvements intellectuels tels que celui des Lumières se sont-ils répandus dans la société ? Jusqu’où se sont-ils étendus ? Quelle a été la mesure de leur influence ? Quelle forme la pensée des philosophes a-t-elle revêtue quand elle s’est matérialisée sur le papier ? que révèle cette entreprise sur la transmission des idées ? La base matérielle de la littérature et la technologie de sa production ont-elles eu une grande influence sur sa substance et sa diffusion ? Comment fonctionnait le marché littéraire et quel rôle jouaient les éditeurs, libraires, représentants de commerce et autres intermédiaires de la communication culturelle ? » (p.21) Cet ensemble de questions illustre le déplacement que permet la mise en relation entre technologie cognitive et pratique culturelle : on échappe au raisonnement tautologique où l’on explique les révolutions scientifiques par l’apparition de méthodologies nouvelles, ou le changement culturel par l’émergence d’idées nouvelles. En focalisant son attention sur le processus de création, de conservation et de médiation de connaissances, dans sa dimension technique et organisationnelle, Darnton met à jour la construction d’un réseau social dont l’architecture originale va permettre la diffusion des idées révolutionnaires à l’échelle européenne, et jouer un rôle important dans l’événement révolutionnaire lui-même. Il ne vous a pas échappé que j’ai employé le terme « réseau social » à dessein. A la lecture de l’Aventure de l’Encyclopédie, cet usage n’est pas anachronique, bien au contraire.

L’écriture donc, et son invention. Dans un ouvrage qui est devenu un classique, La raison graphique, sous-titré « La domestication de la pensée sauvage », Jack Goody montre que les différences culturelles entre sociétés s’expliquent en partie par la maîtrise ou l’absence de maîtrise de l’écriture. L’expression orale implique la présence physique de l’auditoire, et l’acte de communication s’épuise dans l’  « ici et maintenant » de sa performance. Pas de trace et d’inscription ailleurs que dans la mémoire des auditeurs, pas d’examen et de réexamen du texte, pas de confrontation avec d’autres textes, seule la confrontation entre orateurs permet d’opposer des points de vue. Goody note qu’ « il est certainement plus facile de percevoir les contradictions dans un texte écrit que dans un discours parlé, en partie parce qu’on peut formaliser les propositions de manière syllogistique, et en partie parce que l’écriture fragmente le flux oral, ce qui permet de comparer des énoncés émis à des moments et dans des lieux différents. » (p.50).
Comment les choses se passent-elles dans le champ politique ? L’inscription et la conservation par l’écrit d’une parole politique auparavant exclusivement orale, permettent la construction d’objets politiques complexes tels que le traité de paix ou la déclaration de droits humains.

vendredi, juillet 08, 2011

On n'est pas rendus...

Je ne veux pas faire mon Loïc, mais parfois, quand même, on ressent comme une certaine lassitude...




"Facebook et Twitter, j'ai horreur de ça... C'est typique de cette société où chacun pense à son nombril... Et puis tous ces faux amis... Ce n'est pas mon truc d'expliquer mes états d'âme. La vie, c'est aussi être libre de regarder autour de soi..." 
(Martine Aubry : Le Point) 

"Using Twitter to connect Americans and the president looks a lot like greater openness. But there's a chance that we're left with less transparency than the days when some editorial board was choosing what to ask candidates. One evolution of the "Twitter townhall" concept might be to make the decision-making process behind picking questions, curators, and Tweetup attendees entirely public."
(The Atlantic, sur Obama)

dimanche, mai 08, 2011

La Valeur écartelée


Le Think Tank de l’Institut Télécom a reçu l’autre jour un intervenant passionnant : Laurent Gille, économiste à la culture profonde, anthropologue à ses heures, sociologue parfois, auteur entre autres de livres comme Les Dilemmes de l’économie numérique, ou Aux sources de la valeur : des biens et des liens.

L'un des constats - surprenant - de Laurent Gille est que la civilisation numérique naissante semble parfois remobiliser certains des principes de l’ordre prémarchand.

Il faut d'abord se rappeler que les sociétés humaines n'accordent pas seulement de la valeur aux choses - ce que regarde l'économie - mais aussi aux individus et à d'autres choses "non négociables'. Et si la théorie économique s’est centrée, construite peut-être, sur l’analyse de la valeur des choses, celle-ci n’explique pas, et de loin, l’ensemble du fonctionnement de nos sociétés.


mardi, février 22, 2011

Révolutions Arabes : Plutôt René Girard que Mark Zuckerberg

Il y a quelque chose d'inconvenant à qualifier les Révolutions Arabes de « Révolutions Facebook » ou de « Révolution Twitter ». Et le bain de sang qui a commencé en Libye le confirme.
Réduire ces mouvements populaires à leur seul versant médiatique serait aussi imprécis et limité que si l’on s’avisait de réduire la Résistance à une conséquence de Radio Londres.
Une telle imprécision, répétée à longueur de colonnes, est encore une fois le signe d’une société qui pressent en son sein de grands bouleversements, pour lesquels elle ressent à la fois fascination, crainte et aversion.
Internet n’est pas une réalité exogène à nos sociétés. C’est le plus remarquable outil de création, d’innovation et de partage dont se soit dotée l’humanité. Rien d’étonnant à ce qu’un peuple qui s’ébroue, un peuple jeune, qui a achevé sa transition démographique, dont la population est éduquée, s’en serve avec naturel. Rien d’étonnant, mais rien non plus de « magique ».

Les Révolutions Arabes ne sont pas des « révolutions Internet ». S’il y a contagion dans l’aspiration des peuples à l’émancipation et à une démocratie plus achevée, et si cette contagion utilise le média le moins facile à manipuler et à censurer, il y a aussi des spécificités propres à chaque situation.
Le régime Ben Ali était miné de l’intérieur, le vieux despote malade et affaibli, la guerre de succession engagée. L’armée égyptienne, qui avait porté Moubarak au pouvoir, l’en a chassé pour d’innombrables raisons, mais sans doute aussi pour conserver son propre pouvoir. La Libye pourrait tomber, on le souhaite à son peuple, mais son indifférence à l’opinion internationale, la force de pression que représente son pétrole, la folie apparente de ses dirigeants, et le faible sentiment national dans un pays divisé en trois populations bien distinctes font craindre une histoire beaucoup plus sanglante.

Non, ce qui me frappe, ce n’est pas le rôle de Twitter ou Facebook. Rien de surprenant à ce que les jeunes révoltés s’empressent d’y puiser des contacts et des nouvelles, comme nos Résistants le faisaient avec Radio Londres. Ce qui me frappe, c’est la dimension collective, mimétique, sacrificielle de ces mouvements.