dimanche, mai 22, 2011

Vers un libéralisme des données ?


Mercredi dernier, j’ai été invité par les organisateurs de I-Expo à une table ronde animée par  Bernard Benhamou, un vieil ami.
Intervenaient également deux autres amis : Stéphane Distinguin et Axel Adida (un entrepreneur confirmé et un entrepreneur dont on entendra bientôt parler). Nous étions donc globalement assez d’accord entre nous.
Nous parlions de l’immense bascule qui s’est produite en quelques années : les produits et services grand public sont désormais si performants que la puissance de calcul, la puissance de communication et la puissance de création à l’extérieur des entreprises sont supérieures à ce que l’on trouve à l’intérieur des organisations.
Nous évoquions les changements énormes que cela apporte dans l’organisation du travail, dans les stratégies d’innovation, dans la conception des services. Inutile de préciser que nous étions plutôt d’accord entre nous sur notre socle de conviction : open innovation, open data, importance des startups, de l’innovation de services, de la mobilité, etc.

Mais une question du public nous a conduit sur un problème beaucoup plus ardu, qui a légèrement troublé notre bel unanimisme.
La question est au fond de savoir si l’ouverture des données, privées et publiques, ne risque pas de favoriser leur prise de contrôle par les grands acteurs américains que sont Google, Apple, et peut-être Facebook. 

Captation de valeur par les nouveaux monopoles ? Les termes du débat sont assez simples.


D’un côté, on voit bien que l’ouverture et l’accessibilité des données porte en elle un énorme potentiel de création de services innovant et donc de croissance et d’emploi. Un récent rapport de MacKinsey a même posé un chiffre sur cette intuition, et montre un potentiel de 800 milliards de dollars de création de valeur avant 2020.
On voit également que le nombre et la variété des possibles sont tels qu’il est impossible d’approcher cette question dans une stratégie d’innovation planifiée. Il faut que des milliers de startups explorent tous les possibles, comme il en fut au XXe Siècle à la naissance de l’automobile et de l’aviation. Cette vague d’innovation sera darwinienne, qu’on le veuille ou non.

D’un autre côté, il faut cesser d’être naïfs et il faut réaliser à quel point la puissance des Apple, Google et autres géants de la Silicon Valley est sans précédent historique.
Ce que l’on dit à San Francisco, et qui inquiète même là bas, c’est qu’on est arrivé au point où ces géants réussissent même à assécher Stanford et Berkeley. En effet, ils n’offrent pas seulement des carrières magnifiques. Ils sont également des lieux où il fait bon travailler (« cool attitude » : il paraît que les gens recrutés par Google prennent 7 kgs en moyenne la première année tellement il y a des cafétérias partout) et surtout des lieux qui offrent à leurs ingénieurs et chercheurs des données et de la puissance de traitement qu’il serait impossible de trouver dans aucune université.
Les Américains commencent même à se dire que, pour la première fois dans leur histoire, il existe des entreprises technologiques que les militaires ne pourraient pas rattraper, même en investissant des milliards. Elles sont trop loin, elles vont trop vite. Elles sont ailleurs.
Leur puissance est telle que pour survivre et se développer, ces entreprises en viennent à une véritable  géostratégie. Elles ont besoin de contrôler ce que devient le web. Elles en déterminent les standards (HTML 5), l’organisation profonde, la politique.

Alors, que va-t-il se passer si toutes les données du monde se retrouvent sur le web ? Qui sera capable d’en tirer le plus de valeur ?

Pour faire simple : libérer les données, c’est créer de la croissance, mais le faire sans accompagnement, c’est laisser quelques-uns accaparer cette croissance.

La question appelle une véritable élaboration, que je ne saurais faire ici.

Deux premières réponses me semblent intéressantes :
a- ne libérer les données qu’en soutenant en même temps les acteurs locaux capables de les transformer en service. Les concours d’API qui fleurissent quand les villes libèrent leurs datas me semblent par exemple d’excellentes démarches ;
b- poser le principe d’une rémunération de l’utilisation de ces flux de données, quitte à y consentir ensuite certaines exceptions (JEI, PME, entreprises locales).

Ce ne sont que de premières pistes. Je pense que le débat sur la libéralisation des données sera aussi intense que le débat sur la libéralisation des échanges. Il en est d’ailleurs sans doute le pendant et le complémentaire. Et il sera sans doute même nécessaire de construire les outils pour un traitement global des deux questions.

3 commentaires:

  1. "poser le principe d’une rémunération de l’utilisation de ces flux de données"... Mais ces flux de données proviennent de TOUS LES CITOYENS de façon totalement imprévisible et non-mesurable.

    Cela n'est donc possible que sur la base de la rémunération de cette couche de valeur LIBRE et NON MARCHANDE, sur la base du DIVIDENDE UNIVERSEL : http://www.framablog.org/index.php/post/2010/05/17/dividende-universel-valorisation-libre-non-marchand

    Le flux est une donnée TEMPORELLE. Sans penser l'ESPACE-TEMPS, vous ne pensez pas vous réagissez :

    http://www.creationmonetaire.info/2011/05/le-flux-lhomme-la-monnaie.html

    RépondreSupprimer
  2. Cher Monsieur

    C'est vous que je trouve un peu réactif.

    Ce que je signale, c'est qu'une libéralisation sans frein des données risque d'aboutir à la captation par ceux qui auront la capacité de traitement massif.
    Et je suggère donc un chemin pour mettre un peu de viscosité dans le système.
    Chemin d'autant plus important qu'il n'y a pas seulement les données générées par les utilisateurs; Il existe aussi des données émanant de grands organismes publics, qui consentent beaucoup d'efforts à les produire, les anonymiser et les mettre à disposition.

    RépondreSupprimer
  3. Il est très clair que le jour où une grosse masse de données publiques sera ouverte, Google va brancher son aspirateur et pomper tout cela sans retenue. Et à vrai dire j'hésite à les en empêcher car je suis presque sûr qu'ils en feraient quelque chose de pratique.

    Mais comment faire en sorte qu'ils ne captent pas toute la valeur ? A mon avis le premier pas à faire est de renforcer les start-up. Etant donné qu'on ne peut pas rivaliser avec Google au niveau de la puissance de calcul et de l'ingénierie, alors il faut aller sur le terrain de l'innovation des usages. Sur ce terrain ils sont tout à fait prenables. Selon moi ce sont les startup qui sont le mieux à même de porter cette innovation des usages.

    Donc premier pas selon moi : favoriser les start-up tant qu'on peut.

    Je me rends bien compte que ce n'est pas une proposition concrète mais disons que c'est l'orientation qui me semble la plus judicieuse.

    RépondreSupprimer