lundi, avril 15, 2013

"L'innovation est une dissidence"

Même si je m'y suis fait rare dans la dernière ligne droite, Etalab oblige, j'ai eu le plaisir et la chance de participer aux travaux de la commission Beylat-Tambourin sur notre système d'aide à l'innovation at au transfert de technologie.

Réunis dans un groupe de travail varié et passionnant, mêlant chercheurs, entrepreneurs, VC, administrations, pôles de compétitivités et enseignants, nous avons travaillé près de huit mois autour d'une seule question : comment améliorer la puissance d'innovation dans notre pays, et comment aider le succès de ces innovations.

Le rapport complet est téléchargeable ici, et je vous le recommande. Vous y trouverez notamment beaucoup de chiffres très éloquents. Je ne vais pas le résumer, il débute par une excellente synthèse.
Je voudrais juste commenter ici ce qui me semble avoir été repéré très vite comme le coeur de la question, et qui a guidé l'ensemble des recommandations.

L'innovation n'est pas la simple suite logique et naturelle de la recherche. Elle ne se planifie pas. Elle ne se quantifie pas avec des critères aussi simples que les budgets de R&D ou le nombre de brevets déposés. L'innovation, cela commence avec le geste d'un créateur qui propose quelque chose de neuf. Cela commence toujours avec l'aventure d'une petite équipe qui plonge dans l'inconnu pour y tracer de nouvelles voies. Et ça ne devient une innovation que lorsque la société l'accepte, lorsque cela trouve sa place. C'est un progrès, et ce sont les utilisateurs qui décident ce qui est progrès, et ce sont leurs pratiques qui transforment la proposition en ce qui peut être qualifié de progrès. L'innovation, c'est donc presque toujours un imprévu, qui sanctionne un risque.

Ce n'est pas pour autant quelque chose d'imprévisible, sur lequel le politique n'aurait aucune prise. Tous les grands territoires d'innovation (Etats-Unis, Israël, Europe du Nord, Corée, Chine...) ont une grande politique d'innovation. Il faut une ambitieuse politique de recherche, il faut un transfert efficace des résultats de cette recherche, il faut un intense effort de recherche-développement, il faut que l'Etat et les grands groupes apprennent à faire des achats innovants, et il faut de grandes générations d'entrepreneurs. Mais il faut une aussi société accueillante à ces entrepreneurs : des capitaux, des clients, mais surtout une culture, une acceptation sociale. Il faut, aussi, une société tolérante à l'échec. Aucun de ces ingrédients ne peut manquer, faute de quoi, un pays ne peut devenir, ou rester, un grand pays innovant.



C'est donc tout le paradoxe d'une "politique de l'innovation" : on ne peut pas décréter l'innovation, mais il serait stupide de ne rien faire. On peut l'alimenter, lui faciliter la vie, donner un plus vaste écho à ses succès.

C'est cette conviction, largement partagée, qui a guidé l'ensemble de ce travail. Les 19 propositions du rapport contribuent toutes à dessiner une politique nationale globale et cohérente. Et plus que tout à réclamer que cette politique soit une priorité.
Car les réponses sont connues. Nous en avons tant parlé entre amis, et même dans ces pages. La nécessité de faciliter ces liens entre la recherche, l'entreprise et les entrepreneurs innovants est évidente. Ce qui est difficile, c'est de maintenir cette priorité quand on aborde les décisions d'investissement, d'achat, les décisions industrielles, fiscales ou éducatives.

Il y a urgence. Parce que notre pays, qui a été le centre mondial de l'innovation, n'est plus situé à la place qu'il mérite. Parce que l'émigration de nos talents devient un vrai sujet. Et aussi parce que ça marche, comme le rappelait cette semaine Vincent Lorphelin, saluant le fait qu'en 2013, pour la première fois, le plus grand créateur d'emplois en France sera une startup créée en 2004.

7 commentaires:

  1. Merci pour ce billet. Quels sont à votre avis les défauts des "projets par consortium", sur appels à projets, typiquement l'appel à deadline annuel, avec des priorités thématiques (pouvant varier d'une année sur l'autre), où un consortium mixte public-privé (avec souvent un grand groupe et une PME) est attendu, où il faudra 6 mois pour obtenir une notification d'acceptation et la probabilité d'acceptation est d'environ 20% ? Mon sentiment (en tant que chercheur public qui en a rédigé pas mal) est que ces appels ne sont pas assez agiles (souples, pour parler plus sobrement) pour les acteurs recherche et innovation, et qu'ils semblent conçus pour arranger la vie des financeurs (je ne parle pas là des montants financiers, mais de toutes les modalités de ces AAP).
    Merci pour tout avis !

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  2. Votre billet decrit tres bien la difference qui existe entre recherche et innovation. Il decrit aussi tres bien l'aspect culturel et social de l'innovation, qui n'en est une que le jour ou elle est acceptée.

    Je pense cependant qu'il manque une composante, reliee a cet aspect culturel et social: une innovation est avant tout une solution a un probleme, ou tout du moins a un certain degre d'affinite avec un probleme. Une innovation qui ne resoud rien a peu de chance d'etre acceptee.

    De ce point de vue, je ne sais pas si l'on peut dire que la France est jamais ete un pays innovant. Certes nos capacites de R&D sont remarquables. Nous etions #2, juste derriere les US. Nous avons construit a peu pres tout ce qu'on puisse imaginer (trains, avions, bateaux, sous-marins, centrales, BTP...), mais je ne suis pas sur que nous ayons jamais vraiment "innové". La France et les chefs d'entreprises Francais se placent tres rarement en position d'apporter des solutions.

    Les politiques doivent avant tout provoquer une rupture culturelle, a la fois au niveau de l'entreprise et de la societe. L'exception Francaise qui peut se permettre d'ignorer le reste du monde n'existe plus. Notre culture "d'exception" nous a conduit dans l'impasse. Nous aurions pu transformer ces capacites de R&D exceptionnelles en innovations que le reste du monde nous acheterait. Nous ne l'avons pas fait. Certainement par un manque de vision politique.

    Si l'on prend l'exemple d'Amazon qui a mon sens est la societe la plus innovante aujourd'hui leur strategie est entierement centree sur le developpement de solutions (comme je l'explique dans ce rapport: http://www.b-mc2.com/2013/02/21/amazon-io/). Je ne pense pas qu'on puisse ignorer cet aspect de l'innovation, au risque de s'egarer rapidement dans la longue listes des bonnes idees.

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  3. Pour rebondir sur le commentaire précédent, je dirai que ce qui manque à la France est la capacité des grands groupes à se remettre en question, à "pivoter". Un exemple frappant est Peugeot. La tendance baissière de l'achat de voiture est à l'oeuvre depuis des années, sous l'effet de contraintes exogènes fortes (fermeture à la la circulation des centres villes, demande accrue de "confort" environnemental, peak oil, nouveaux arbitrages pour la demande de crédits...). La consommation de voitures décroit donc, pas celle de circulation. Il est notable que le principal groupe de production de cycles (et de data de circulation) est une entreprise de publicité : Decaux, avec Velib. Que l'entreprise qui a remporté le marché Autolib est un logisticien, et un fournisseur d'énergie : Bolloré.

    L'innovation n'est pas nécessairement de rupture, mais aussi une adaptation nécessaire aux comportements et usages de clientèles. Le changement, c'est tout le temps...

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  4. Julien,

    il devient d'autant plus difficile de se remettre en question qu'aujourd'hui tout innovation est par nature simultanement technologique, business et operationelle. Developper un produit genial, repondant aux besoins des clients ne suffit plus.

    Par ailleurs, nous sommes rentre dans l'aire des plateformes et toute entreprise qui ne se transforme pas en platforme+ecosysteme a peut de chance de survivre. Ce nouveau modele economique se traduit par une evolution de l'offre qui a ete centree sur les produits (jusqu'au debut des annees 80), puis les services (jusqu'a 2010-2015) et maintenant sur les "activites". On peut prendre l'exemple des voitures pour illustrer cette evolution: on achetait sa voiture, puis est venu le "leasing", et maintenant le ZipCar qui nous permet d'integrer la voiture a une activité particuliere sans subir de cout a long terme.

    La barre de l'innovation est maintenant, tres, tres haute...

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  5. Il faut faire un constat il y a deux domaines ou l’innovation est quasi inexistante c'est la politique et l'économie.
    Or tout changement significatif suppose des stratégies politiques et économiques innovantes voire disruptive.
    Évoquer le "rôle de .......dans ..." pour promouvoir l'innovation c'est tourner en rond.
    Il faut penser autrement, considérer une société nouvelles avec des objectifs ambitieux en termes de valeurs sociétales.
    A l'heure ou la réforme des retraites envisagée est un coup d'épée dans l'eau, ou l'emploi est malmené il faut réinventer les bases de notre contrat social et que nos politiques assument leurs responsabilités.
    Apparemment l'innovation politique c'est de ne rien faire de nouveau....

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  6. Bonjour,
    Puis-je me permettre de vous demander un éclaircissement ?
    En quoi pensez vous que l'innovation est une dissidence, quelle définition donneriez vous de cette expression de dissidence ? Je comprends bien votre théorie mais bute sur cette expression qui me semble plus adapté à une dissidence de type idéologique par exemple.

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    1. Bonjour.
      Oui vous avez raison, c'est bien dans ce registre qu'il faut l'entendre.
      Le plus grand frein à l'innovation, à mon avis, est le paradigme dans lequel on se laisse enfermer. Les fausses évidences. Le plus difficile, bien souvent, c'est de déconstruire ces modèles, d'essayer de comprendre comment ils fonctionnent, et de voir si on ne peut pas les recompiler différemment...

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