jeudi, juillet 15, 2010

Intranet Chinois vs Internet mondial

De retour en France, je peux reprendre mes notes sur le voyage d’étude en Corée et en Chine, interrompues par le fait que Blogger était inaccessible de Chine. Tout comme Facebook, Twitter, Google.com et de nombreuses pages de Wikipédia. Seesmic ou Foursquare, eux, étaient fonctionnels.


L’atterrissage à Paris procure donc le sentiment, non seulement de revenir à la maison, mais aussi de pouvoir enfin se reconnecter à l’Internet mondial et à ce réseau d’informations et d’amis avec qui nous avons pris l’habitude d’être en conversation permanente.


Ce n’est pas tant Internet qui est interdit en Chine, mais plutôt l’Internet occidental. Nos informations sensibles, certes, y sont censurées. Mais j’ai plutôt l’impression que c’est la puissance économique des grandes plate-formes de valeur (Google, Facebook, Twitter), des jeux massivement multijoueurs, de l’Internet en général qui est stoppée ou rognée, copiée, adaptée et déployée en Chine.





Sans être devenu spécialiste de la Chine, il y a quelques impressions que je voudrais partager ici.

La Chine est en train d’inventer sa modernité. Pour ce faire, elle s’est affranchie de la domination symbolique de l’Occident, et donc de ses recommandations stratégiques. Préférant le go aux échecs, elle a décidé de ne pas jouer au même jeu que nous, qui pouvaient l’y contraindre ? Et elle a finalement réussi à s’affranchir aussi de la domination économique.

L’un des aspects peu agréables de cette autonomie est, certes, le non respect des droits de l’homme. Mais nous serions peut-être en meilleure posture pour donner des leçons si nous n’avions pas constamment mélangé, depuis 50 ans, apologie des droits de l’homme, imposition d’un libéralisme à géométrie variable (conservant une dose de protectionnisme quand nos intérêts majeurs étaient menacés), soft-power et manipulations de tous ordres, allant jusqu’à la diplomatie de la canonnière.

La Chine, dont 66 % de la population vit encore à la campagne, a à peu près éradiqué la famine, elle connaît un exode rural massif (700 000 nouveaux habitants chaque année dans la seule ville de Shanghaï), elle a une croissance économique hallucinante quand on songe au fait que cette croissance (8,7 % en 2009 – année de crise) tire 22 % de la population mondiale, avec toute l’inertie qu’on imagine. Elle est désormais alphabétisée à 90 % (contre 50 % en Inde). Elle compte d’ores et déjà 400 millions d’internautes (soit un peu moins de 30 % de la population mais tout de même plus que le nombre total d’américains) et dépassera le demi-milliard d’internautes l’année prochaine.

Dans ce pays qui invente sa propre modernité, Internet est à l’évidence une infrastructure clé. Et comme c’est un pays coercitif, dirigiste et méfiant envers l’Occident, c’est un Internet bien particulier.

L’Internet Chinois est un énorme Intranet, puisque, tout en conservant les protocoles de communication que nous connaissons, il est organisé en étoile autour d’un point d’entrée central qui est la seule passerelle avec le reste d’Internet. Si je ne me trompe pas, l’Internet Chinois pourrait se couper de l’Internet mondial en une seule manipulation, tout en restant opérationnel à l’intérieur du pays.

Dans cet énorme réseau, presque toutes les offres occidentales existent dans une version nationale et sinisée :Google est remplacé par Baïdu, Yahoo par Sina, MSN par la messagerie instantanée de QQ, Facebook par une demi douzaine de réseaux sociaux, dont Xiconeï ou Caïstin, Amazon et e-Bay par Ali Baba, Pay Pal par Alipay.

Ces copies, favorisées par les blocages imposés aux services occidentaux, sont souvent enrichies de nouvelles fonctionnalités. QQ n’est pas seulement une messagerie mais aussi un système d’avatars, un business modèle de vente de fournitures pour ces avatars et donc une monnaie virtuelle. Alibaba c’est à la fois Amazon, e-Bay, et une ossature économique pour de nombreux micro-commerçants...

Et mon impression est que, plus encore que la censure, c’est la puissance économique de cet Internet Chinois qui a guidé la stratégie numérique de la Chine.

Nous y reviendrons dans de prochains billets.

3 commentaires:

  1. Bernard Benhamou me signale sur Twitter cet impressionnant article traduit par Human Rights in China : intervention du Directeur de la propagande devant le Congrès national populaire consacrée à Internet :

    http://www.hrichina.org/public/contents/article?revision%5fid=175119&item%5fid=175084

    On y voit aussi bien l'ampleur de l'effort consenti (8 millions de km de fibre optique en 2009 !) et l'importance politique du sujet...

    Impressionnant.

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  2. A noter aussi l'excellent rapport d'Olivier Ezratty qui rentre, lui aussi, d'un voyage d'étude en Chine :

    http://www.oezratty.net/wordpress/2010/back-from-china-ecosysteme-innovation/

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  3. La Chine impressionne autant qu'elle fait peur. Elle a su, avec des méthodes de pressions sur l'industrie notamment pour qu'elle décide de nous ouvrir les portes de ses marché, se développer à une vitesse folle !

    J'aime beaucoup le titre de l'article avec l'INTRANET chinois contre le reste du monde.

    La question qui se pose est de savoir nos responsabilités dans le développement de la Chine. Fallait t'il se soumettre à toutes leurs conditions pour pouvoir vendre en Chine ? Ou aurions nous dû se restreindre et faire sans le marché chinois ?

    Quoi qu'il en soit, le reflet du revers de la médaille brille de plus en plus....

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