jeudi, décembre 23, 2010

Naissance du Fabernet

De "do it yourself" à l'usine personnelle

L’expansion du phénomène "Rapid Prototyping" ou "Personnal Factory" aux Etats-Unis, mêlant le mouvement DIY (« Do It Yourself »), le progrès des imprimantes 3D et autres techniques de "freeform fabrication", et une esquisse d'industrialisation, est impressionnante. Des dizaines de sites sont désormais accessibles aux Américains, tous fondés peu où prou sur la même logique : je designe un objet, un meuble, voire une machine sur mon ordinateur, j’envoie les spécifications en ligne et je reçois chez moi l’objet fabriqué à façon.

Je vous conseille vivement, pour vous en convaincre, d’aller faire un tour sur des sites comme Ponoko, Makerbot et sa célèbre machine Thing-o-matic, Thingiverse, Shapeways, qui est aussi un circuit de distribution et rémunère les créateurs, d'autres comme Backyardbrains qui se spécialisent dans les kits pour les expériences scientifiques, ou le plus drôle evilmadscience, "DIY and open source hardware for art, education, and world domination" : une très longue liste est également disponible ici.



Il commence même à y avoir, au delà des fameuses imprimantes 3D, comme RepRap, un marché direct de la "Personal Factory" pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans cette activité, comme Adafruit ou comme Personalfactory.eu :



Ce mouvement est impressionnant non seulement par la profusion des offres, mais surtout par la pénétration de la pratique. J’ai été très frappé de constater que, en moins d’un an depuis mon dernier séjour approfondi dans la Valley, le recours à ces outils était devenu, au moins chez un certain nombre de chercheurs, une pratique familière, indispensable pour qui prétend être malin, mobile, créatif et dans le coup.

Tester une hypothèse, visualiser une statistique en 3D, comme nous l’a montré Doug McCune, un fou de datavisualisation, illustrer une théorie de design, prototyper une série... tous ces actes familiers ne se font plus désormais sans recourir à tel ou tel de ces services. La maîtrise de ces processus semble désormais aussi essentielle que celle de powerpoint il y a quelques années tant pour professionnel de l’innovation que pour l'enseignant en design. Un bon prototype vaut désormais mieux qu’un long schéma (qui vaut quand même toujours mieux qu’un bon discours).

Ce mouvement n’est pas seulement casual. On sent confusément qu’il est sous-tendu par un rêve d’émancipation, qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs le mouvement, très politique, des FabLab. Un bon marqueur de ce caractère idéologique (ou idéaliste, selon votre point de vue) est le nombre des intervenants rencontrés au cours de cette session du Orange Institute qui nous ont précisé que la célèbre Thing-o-matic était une machine capable de se répliquer elle-même. Machine moche et inutile, mais qui s’attire pourtant une énorme affection. Et pourtant, Terminator n’était plus gouverneur de Californie quand j’y suis passé.

Une tendance de fond

Ce phénomène m’a intéressé, parce qu’il me semble illustrer deux tendances lourdes de la transformation numérique en cours.

La première est une idée chère à Daniel Kaplan, le directeur de la FING. C’est presque une loi générale des télécommunications. C’est l’idée qu’on développe presque toujours les technologies pour vendre quelque chose aux utilisateurs, et qu’ils la détournent presque toujours pour s’exprimer. C’est presque toujours vrai avec les TIC : on croit développer la technologie pour leur vendre des choses, ils s’en servent pour faire des choses. On pensait que le téléphone servirait de théâtrophone : les gens s’en servent pour se parler. On pensait qu’Internet serait un média : les gens s’en servent pour faire du web 2.0 ou du web social. On pensait que la CAO allait baisser les coûts de production de l’offre marchande : les gens s’en servent pour bricoler.

La deuxième tendance est celle de la webbisation du monde. Depuis quelques années, les principes, les méthodes et les valeurs d’Internet sont sortis des écrans pour entrer dans le monde physique. la conception d’un réseau d’approvisionnement en eau, les capteurs d’un pont, l’organisation d’une maison obéissent de plus en plus à une philosophie très Internet : mixage de technologies, co-création avec les utilisateurs, autorganisation des systèmes, etc. Avec le phénomène DIY, cette tendance atteint le domaine des objets de grande consommation. Mais en même temps, il sort du bricolage classique. De même que le Cloud Computing permet de mobiliser de la puissance de traitement en fonction de ses besoins précis, le mouvement DIY permet de mobiliser un appareil de production sophistiqué en fonction de ses désirs de bricolage. Cette tendance n’est pas prête de s’arrêter.

Je ne sais pas si le mouvement Punk, ardent promoteur du DIY, y retrouverait ses petits, mais le phénomène est bien là : nous assistons à une intense industrialisation du bricolage.


Conséquences imminentes

Les conséquences de ce mouvement naissant sont considérables.

Certains secteurs économiques feraient bien d’y prêter la plus grade attention s’ils ne veulent pas connaître les affres de l’industrie musicale. Un exemple extrême, qui, à dire vrai me laisse un peu sceptique – mais nous verrons bien – concerne l’industrie de la mode. J’ai eu l'occasion de participer cette année au jury du concours de startups du Web10 (merci Loïc) et de voir une intéressante tentative dans le secteur même de la mode, une startup appelée Garmz. J’étais un peu étonné, tant il me semble que ce secteur est, par excellence, celui où le prestige de la marque, ainsi que la garantie de qualité de la fabrication, sont importants. Mais les entrepreneurs, pour leur part, estiment surfer sur une vague de communautarisation, dans laquelle la notoriété mondiale de la marque cède le pas à l’importance de cette marque dans ma propre communauté. Une microcélébrité locale, en somme Nous verrons bien.



La deuxième conséquence pourrait concerner l’ensemble des mécanismes de distribution. Si, désormais, les usines elles-mêmes sont dans le Cloud, une grosse part de la logistique va devoir être repensée. Je ne dis pas que les énormes séries, type Coca-Cola, seront les plus menacées. Mais je pense que les objets fabriqués en petites séries vont peut-être connaître un nouveau destin. Les objets manufacturés entrent à leur tour dans la Longue traîne. Bienvenue à eux.

Si le mouvement prospère, une troisième conséquence portant sur la définition même du travail, de l'usine et de la création ne tardera pas à poindre...

Je ne sais pas quels sont les délais de livraisons des différents sites présentés plus haut. Mais si vous n’avez pas encore fini tous vos cadeaux de Noël, il est encore temps de remplacer la boîte à crayons en pots de Yaourt par un fauteuil en mousse synthétique aux dimensions exactes de votre conjoint. Ou par une reproduction grandeur nature du chat de mémé. Intéressant, non ?

Quoi qu’il en soit, je vous souhaite d’excellentes fêtes et me réjouis de vous retrouver bientôt.

5 commentaires:

  1. Bricolage et systeme D, l'éloge de la main. Vive Jean Prouvé.

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  2. DIY power!
    Ce que je trouve beau dans cette révolution, c'est de se dire que ça se passe maintenant, et qu'on peut tous y prendre part (notamment pour anticiper les conséquences du point de vue de la création).

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  3. Ce foisonnement d'initiatives est incroyablement prometteur!

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  4. bien vu et pour prolonger le débat je ferai référence au pape des tendances tech, j'ai nommé Chris Anderson,qui surfe sur toutes les tendances mais ne les explique pas forcément de la meilleure façon.

    J'ai assisté à une de ces conférences avec @mathildeberchon à Standford en début d'année 2010 justement sur ces sujets (il avait commencé à l'évoquer dans son livre "Free: the Future of a radical Price"). son manifesto qui a fait la couverture de Wired en début d'année sur le sujet "In the Next Industrial Revolution, Atoms Are the New Bits":
    http://www.wired.com/magazine/2010/01/ff_newrevolution/all/1

    en résumé: première phase du web, démocratisation des moyens de distribution
    deuxième phase du web, démocratisation des moyens de productions (fablab, alibaba etc)

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  5. Le Do It Yourself c'est du hacking d'objet... Encore une révolution en marche

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