dimanche, mars 04, 2012

Télévision connectée : la fin du monde ?

Le prochain président de la République devra, à n'en pas douter, reprendre la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, qui organisait la gouvernance de l'audiovisuel et installait le Conseil supérieur de l'audiovisuel.


Il devra le faire pour répondre à la déferlante de la télévision connectée, qui, après la musique, la presse et tant d'autres secteurs, va contraindre la télévision à faire, à son tour, sa Révolution numérique. Une Révolution qui s'annonce titanesque tant les enjeux sont forts. Songez-y : la télévision, à l'échelle mondiale, c'est un marché d'une vingtaine de milliards d'heures de "temps de cerveau disponible" par jour. J'ai bien dit "jour".


La créativité du numérique dans nos téléviseurs
La révolution de la télévision connectée, en première analyse, c'est simple : c'est le fait que désormais, la télévision arrivera chez nous via Internet. Et que donc, les téléviseurs pourront servir à d'autres usages qu'à ceux des chaînes linéaires. Et que nos différents "devices" - téléviseur, ordinateur, téléphone, tablette - vont pouvoir s'interconnecter. La télévision n'est plus du tout un appareil dédié permettant de capter une fréquence hertzienne.
Ce changement en entraînera beaucoup d'autres. Et d'abord, dans la conception même de ce qu'est la télévision. Au temps des grilles de programme va succéder une consommation délinéarisée, une pratique sociale, l'utilisation d'algorithmes de recommandation, des programmes inventant une nouvelle interactivité, une organisation nouvelle de ce qui se passe dans les différents écrans et dans le monde réel, etc.
Aux Etats-Unis, le site Hulu donne une première idée de ce que sera la télévision du futur. En France, on  est encore en mode "veille", mais le récent dossier de la revue Méta-Média, préparé par Eric Scherer, donne un bon aperçu des révolutions éditoriales en préparation.


Premières escarmouches
Les manoeuvres ont commencé. On connaît la bataille des boîtiers, dont parle cet article de Brainsonic, on attend la bataille de terminaux intelligents (Apple dégainera-t-il le premier, ou se fera-t-il doubler par Samsung ?). On constate quelques mouvements des opérateurs télécoms et des FAI.
Ces approches restent encore assez classiques : ce sont des jeux d'acteurs qui tentent de s'interposer entre la chaîne de télévision et le téléspectateur, afin de capter une fraction de la manne publicitaire.
On voit de même fleurir une offre de "télévision sur IP", dont Nolife, par exemple, fut un précurseur en France, de même que l'émission Arrêt sur images, qui migra sur Internet après son éviction de France 5.
Mais ces mouvements restent de petites secousses à côté des mouvements telluriques qui se préparent.






Le "contraire des radios libres"
Je discutais récemment avec un haut responsable de l'audiovisuel français quand j'eus l'imprudence de risquer une comparaison entre la révolution à venir et la vague des radios libres dans les années 80. Il me dessilla avec véhémence : les "radios libres", c'étaient quand même des "amateurs", avec des moyens limités, qui essayaient de grignoter des parts de marchés aux radios classiques et professionnelles avec des offres très proches de ces dernières.
Ce qui se prépare avec la télévision, c'est exactement l'inverse : c'est l'irruption dans ce marché alléchant de nouveaux acteurs (nos "nouveaux barbares"), extrêmement puissants, dotés d'une remarquable culture de l'innovation, avides de transformer la donne en profondeur. Les petits acteurs peu innovants, cette fois-ci, ce sont les acteurs en place. Quand on pense à l'impact qu'eurent les radios libres sur les marchés traditionnels, il n'est guère difficile d'imaginer ce que pourront faire les nouveaux entrants dans ce marché là.
Et cette révolution aussi a commencé. Google, par exemple, s'est lancé dans la production de contenus, et certains lui prédisent le plus bel avenir. Google sera-t-il le premier producteur mondial de contenus dans trois ans ? A dire vrai, il n'en n'a pas réellement besoin. Dans une logique de grille, les chaînes avaient construit leurs activités pour captiver un audimat tout au long de la journée, et concentrer la rentabilité sur quelques heures de programme. Un épisode de Dr House peut ainsi rémunérer toute une journée de TF1. Un géant d'Internet, avec sa capacité à capturer et concentrer le trafic, n'a théoriquement pas besoin de construire une grille complète. Il pourrait se concentrer sur les contenus extrêmement rentables.
Alors on m'objecte qu'une chaîne de télévision, c'est plus que cela. Que c'est un contrat éditorial avec les téléspectateurs, une marque et surtout la résultante d'investissements marketing de très long terme. J'en prends acte, mais j'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce genre de raisonnements, par exemple à propos du devenir de la presse...


Un tout nouveau paysage de régulation...
Ces changements seront d'autant plus radicaux qu'ils vont balayer le paysage de régulation auquel nous sommes accoutumés, et qui est principalement organisé par la loi de 1986.
Il faut comprendre en effet que l'essentiel de la régulation française repose sur une caractéristique simple : les fréquences hertziennes appartiennent à l'Etat. C'est l'Etat qui concède aux chaînes le droit d'utiliser ces fréquences - et contrairement aux télécommunications, il le concède gratuitement. Il est donc parfaitement légitime à imposer, en contrepartie, diverses sujétions. Les obligations de service public, les obligations de qualité, et surtout les obligations de production de contenus neufs reposent sur cette concession de fréquences. Comme le rappelle cet excellent papier d'Olivier Ezratty, ce sont ainsi 2% du chiffre d'affaires des télévisions, 5 % du chiffre d'affaires des radios, plus 228 millions d'euros par an de coproduction par les chaînes de télévision qui servent chaque année à financer les contenus audiovisuels.
Avec l'utilisation du réseau Internet pour diffuser télévision et radio, l'Etat perdra cette possibilité d'imposer des sujétions.
Théoriquement, il ne possèdera plus aucun moyen juridique valable pour asseoir ces obligations, puisque tout un chacun est autorisé à utiliser Internet ou même à devenir opérateur de télécommunications terrestres.
Il en possèdera d'autant moins qu'il sera de plus en plus difficile de définir une frontière claire entre une "télévision" et des contenus vidéos pensés pour Internet. Et que nous ne serons d'ailleurs pas les derniers à défendre l'indépendance et la neutralité du net et à en combattre les différentes formes de contrôles. Car il n'y a plus de rareté des fréquences, ici, et donc plus de raison d'arbitrer sur les contenus qui peuvent s'échanger.


Derrière ce point d'apparence juridique, nous avons donc un séisme à venir et la nécessité de repenser toutes les catégories d'organisation de l'audiovisuel.


Et comme nous ne savons pas ce qu'il conviendra de faire, nous nous réservons sans aucun doute de beaux débats pour le quinquennat à venir.



7 commentaires:

  1. Bah oui : il va falloir basculer d'une logique de quota et d'obligations de production à une logique de soutien à la production. D'une logique relativement décentralisée (chaque acteur, diffuseur, faisant ses propres choix) à une logique plus centralisée.

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  2. On pouvait facilement traduire "devices" par "appareils".

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  3. Cher Henri, super post, j'allais te faire un commentaire mais à force de l'allonger, j'en ai fait tout un article ;-)

    Et si on considérait enfin la tv connectée comme un grand chantier pour la france et pour l'europe ?

    http://www.soufron.com/post/18791192018/et-si-la-tv-connectee-etait-enfin-consideree-comme-un

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  4. La revolution des radios libres n'était pas que technologique. Ce fut un fabuleux booster de contenus révolutionnaires, jamais entendus jusqu'alors. Quels seront les contenus de demain? Qui seront les nouveaux pionniers?
    Faut jouer a Skyrim sur Xbox pour se faire une pale idee de ce qui nous attend, et aller dans sur les campus ou grouillent des milliers de genies impatients :)))))

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  5. Comme le peer to peer a créé une révolution dans la consommation de musiques ou de films, la télévision connectée va créer une déferlante qui dépassera largement les normes existantes. L'état pourra-t-il légiférer ? ou sera-t-il contraint d'être spectateur face à ce nouveau monde qui se met en place ?
    La télévision va devenir un nouveau mode de consommation de contenus sur internet et un écran de plus au sein du foyer !
    C'est la convergence, on pourra téléphoner depuis sa télévision et regarder des programmes télé depuis son smartphone...

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  6. Tout cela est bel et bon, mais je ne vois nulle part mention des spectateurs, des citoyens, des gens.
    A quoi bon une titanesque ruée si c'est pour nous infliger du soft-porn interactif, ou du Morandini dans tous les formats ?
    Quid du monde de la "télé" libre, dans cette marche forcée vers le Marché multiversel ?

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  7. Bonsoir Anonyme
    La télé connectée, c'est Internet dans votre téléviseur. Ca serait comme Internet : infiniment plus de contenus, beaucoup de soupe mais des pépites incroyables.
    Le papier, lui, voulait parler de la régulation du secteur de la télévision.

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