John Markoff est journaliste, auteur notamment de What the Dormouse Said: How the 60s Counterculture Shaped the Personal Computer Industry.
Nous avons eu la chance de l'entendre au cours de la dernière session du Orange Institute, à laquelle je participais en novembre dernier.
La thèse de Markoff est tout entière résumée par le sous-titre de son livre : il soutient que c'est la contre-culture des années 1960-70, particulièrement intense à San-Francisco, qui a fait naître l'informatique personnelle, l'informatique média et donc l'Internet que nous avons connu dans les années 1980 -90.
Dans le détail, son travail historique, très documenté est très probant, est plus subtil que cette première thèse. Il analyse plutôt l'affrontement d'une tradition industrielle proche des cercles militaires, fondée sur les développements impulsés par la Deuxième Guerre mondiale et d'une contre-culture libertaire, culture du développement personnel, de l'exploration de la perception, saturée de débats politiques et idéologiques, dans un écosystème dense et bouillonnant. Un écosystème à la fois hanté par la recherche du "Big Score", du profit, du succès et par une passion pour le partage et la gratuité de l'information. Un écosystème rassemblant toutes les nationalités, toutes les expérimentations, toutes les opinions mais avec une très forte culture technologique et un goût de l'innovation.
Une dynamique inséparable de l'histoire de la guerre du Vietnam, des Black Panthers, de la libération sexuelle et de la libération des femmes, des drogues et des musiques expérimentales qu'illustre parfaitement l'histoire mouvementée de l'Augmented Human Intellect Research Center de Douglas Engelbart, qui inventa entre autres la souris, l'hypertexte, mais aussi toutes les métaphores fondatrices de la bureautique, indispensables pour imaginer des usages à de telles innovations. Lieu d'expérimentation, mais aussi de passions, de contestations, de polémiques, il finit par s'étioler, victime de ses propres tensions et après qu'Engelbart en ait été remercié.
Mais l'essentiel dans ce récit n'est pas cette histoire captivante. C'est la conviction de Markoff que les technologies ne naissent pas dans le vide. Elles naissent sur un substrat politique, culturel et idéologique. Il n'est pas indifférent que Bill Duval l'un des chercheurs du laboratoire d'Engelbart ait travaillé toutes ces années là sur une "station de travail yogi". Il fallait être sérieusement contre-culturel, dans les années 60, pour se consacrer à développer une informatique individuelle et professer que le but de l'ordinateur était de libérer l'accès au savoir du plus grand nombre. Il fallait fréquenter ces clubs de hackers et ces concerts pacifistes pour voir dans l'ordinateur un nouveau média alors que d'autres y voyaient surtout une voie pour construire des bombes ou éventuellement calculer une trajectoire vers la Lune.
Et l'intéressant est de se demander quelle est l'Utopie qui porte les développements de la société numérique d'aujourd'hui ? Est-ce la même ? Markoff m'a dit que non. Est-elle aussi radicale ? Est-elle aussi univique ou voit-on à nouveau s'affronter plusieurs visions du monde ? Est-elle aussi concentrée dans le creuset de la Silicon Valley ou migre-t-elle dans les ville-monde comme le pensent de nombreux auteurs ?
De la réponse à ces questions dépendra la prochaine séquence de l'histoire de la civilisation numérique.
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Vision intéressante. Merci de nous l'avoir fait connaître.
RépondreSupprimerMon point de vue ramené à l'essentiel : l'avenir de l'humanité est mental ; le réseau internet est de type neuronique (synapse) Il s'agit donc bien d'un stade de l'évolution humaine. Relire Bergson.
Cordialement à tous.
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre article donnerait presque envie de lire. Malheureusement, il me semble que Markoff tombe rapidement dans une opposition des genres, outils peut-être didactique mais tellement simpliste qu'il masque les innombrables gradients et postures existantes.
La mise en opposition à l'avantage de décrédibiliser une posture pour en avantager une autre. Et finalement, notre auteur cherche à identifier LA cause... ici, la contre culture urbaine des 60's.
Certes, ces personnes (Engelbart, Taylor, mais aussi Gates ou Jobs..) ont participé à construire les inventions que nous connaissons et utilisons aujourd'hui.
Néanmoins, je préfères dire que ces technologies ont continuées de se transformer à cette époque. Car il est toujours possible de remonter plus en amont, et de faire référence par exemple à Vaneshar Bush, Turing ou même encore aux travaux précurseurs de Leibniz sur la conceptualisation des réseaux ....
Identifier la grande cause, ou le point d'origine du numérique, c'est postuler qu'il s'agit là d'un acte fondateur, une rupture. Concrètement, c'est donc supposer que le numérique actuel ne serait que le résultat de cette évolution linéaire, la continuité de ce que les "gentils hackers de Frisco ..." avaient pu concevoir.
Pour faire court, je paraphraserai Rheingold en disant que l'internet et le numérique ne sont au final qu'une succession d'erreurs et d'incidents de parcours.
Le web, le numérique ou l'internet (car ce sont aujourd'hui trois "mots valises") ne sont pas des phénomènes qui mettent en lumière des oppositions collective homogène, (linux contre windows, facebook contre google, wikileaks contre la tribune??) ils sont au contraire fondamentalement pluriels, et comme nous ne disposons que d'outils très parcellaires pour en saisir la forme et la dynamique, arrêtons de prétendre les maitriser.
Les Hackers de Frisco, tout comme l'industrie militaire, ont participé à transformer ces technologies, leur faisant gagner et perdre des propriétés. Et depuis, je ne pense pas tellement que les choses aient beaucoup changé (en fait si tout a changé), mais ces technologies continuent de se transformer, d'être transformées, et aussi de nous transformer...
Bon allez, j'arrête je m'emballe ;o)
Markoff semble tout de même proposer une approche historique hyper détaillée, allez je commande son bouquin ;o)
Sur ce sujet, voir surtout l'excellent livre de Fred Turner (From Counterculture to Cyberculture. Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism, 2006).
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