jeudi, octobre 11, 2012

L'impôt sur les sociétés doit intégrer une analyse du risque

Le débat sur le projet de loi de finances 2013 n'est pas fini. Un grand nombre de Français s'y intéressent. Partout, de grands débats semblent s'ouvrir sur le type d'imposition qui serait juste. L'argument économique, que je proposais dans mon dernier billet, n'intéresse visiblement pas beaucoup. On voudrait savoir ce qui fonde la justesse d'un taux d'imposition sur les dividendes et sur les plus-values.
Et il me semble que l'on bute toujours sur la même question : la difficulté à asseoir le raisonnement sur le risque. Regardez par exemple le débat qui a opposé Marie Ekeland, coprésidente de l'association France Digitale, et la députée socialiste Karine Berger vendredi dernier. La première souligne l'aléas considérable que représente un investissement dans une jeune pousse, et la seconde lui oppose l'espérance de gains qui justifie cet investissement.



Alors que je lui parlais de ce petit échange, mon ami Jean-Michel Lasry m'a rappelé un concept qui, me semble-t-il, éclairerait très utilement le débat : le rendement du capital corrigé du risque. De manière amusante, il a été forgé dans le monde des banques de marché dans les années quatre-vingt-dix pour mettre fin aux pratiques incontrôlables de certains traders.
Commençons par un petit exemple. Où préférez-vous investir votre argent ?
a- une affaire où vous pourrez gagner 10 000€  avec un alea de +/- 20 000 € ?
b- ou dans une affaire où pourrez gagner 5 000€  avec un alea de +/- 2 000 € ?

Normalement, vous préférez la deuxième affaire. Comme tout le monde...
Il y a toute une littérature pour analyser cette décision. L'une des plus élégantes était très à la mode il y a dix ans, mais semble un peu oubliée aujourd'hui. Il s'agit du rendement actualisé du risque (Risk Adjusted Return On Capital : RAROC).
Vous pourrez en trouver ici une présentation détaillée.
Si vous me pardonnez un peu de simplification, on pourrait le présenter comme suit :
Grosso modo, pour une affaire donnée, 
- on regarde combien il faut de capital (k) pour être quasi-certain de ne pas faire faillite (disons certain à 95%). Le capital, en effet, peut être analysé comme la réserve nécessaire pour amortir les coups durs imprévus.
- on regarde l'espérance (moyenne) de gain prévue (x), mais on lui retire un pourcentage du capital qui représente plus ou moins l'assurance qu'il faudrait payer pour couvrir le risque de faillite qui reste (fixons l'assurance à 10%, le prix de l'assurance contre le risque  "5% de chances de tout perdre")
- le rendement du capital corrigé du risque est donc (x - 0,1k) / k  ,

Appliqué à notre petit exemple, cela donne :
- pour l'affaire (a), il faut sans doute 60 000 € de capital  pour avoir 95% de chance d'éviter la faillite (trois fois l'ecart type). Avec un taux d'assurance de 10 % du capital, le rendement corrigé du risque est donc (10.000 - 6000) / 60.000 = 0,667. Le RAROC est donc de 7% (le chiffre aurait été négatif pour une affaire du type 10 000 +/- 30 000)
- pour l'affaire (b), il faut sans doute 6 000 € de capital pour avoir 95% de chance d'éviter la faillite (trois fois l'écart type). Avec un taux d'assurance de 10% du capital le rendement corrigé du risque est donc (5.000 - 600) / 6.000 /  0,73. Le RAROC est donc de 73%.

On conçoit qu'un investisseur est dix fois plus enclin à miser sur le scénario (b) que sur le scénario (a).

Si, comme je le pense, un système fiscal doit encourager des comportement vertueux, il doit se préoccuper de ces stratégies d'allocation des investissements. Et il doit se préoccuper de favoriser l'investissement à risque. D'autant plus que, dans la réalité, la probabilité d'échec n'est pas aléatoire : la valeur de l'assurance qu'il faudrait appliquer diffère pour un investissement dans l'immobilier (où la probabilité de tout perdre est quasiment nulle) et pour un investissement dans une startup (où le scénario le plus probable est l'échec).

Il serait donc naturel que l'impôt sur les sociétés, tout comme les plus-values de cession, dépendent de la nature de la société : société en cours de création, société en phase d'investissement, PME stable, grand groupe coté. Et il serait normal que l'impôt joue un rôle d'assurance, en corrigeant le coût qui serait impliqué si les entrepreneurs voulaient assurer leur risque de défaut.

Je sens bien, dans notre société, une tentation de ne pas valoriser particulièrement la prise de risque. Il y a bien des forces conservatrices qui aimeraient penser qu'Internet n'est qu'une bulle, que les investisseurs jouent au loto et que l'économie numérique est assez proche des pratiques de Jérôme Kerviel.
Et on a le droit de se demander si l'on souhaite réellement encourager le risque. Pour ma part, ma réponse est claire : le risque d'innovation technologique ou entrepreneuriale doit toujours être favorisé. Une recherche technologique, un projet d'entreprise, apportent presque toujours quelque chose. Les grands projets technologiques, en particulier, génèrent des retombées qui dépassent même l'imagination de leurs instigateurs. Ainsi du Xerox Parc, initialement fondé pour essayer de développer un photocopieur capable de traduire des documents, et qui a finalement inventé la souris, l'interface graphique ou l'imprimante jet d'encre.

L'impôt vertueux doit corriger la tentation naturelle du capital, qui est toujours de se réfugier vers la rente la plus sûre possible. 

C'est pourquoi l'impôt de cession, comme l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les dividendes, devraient être inversement proportionnels au Raroc, ou à toute grandeur équivalente. Non pas pour je ne sais quelle considération morale, mais pour que l'impôt facilite l'investissement sur la véritable innovation, celle dont le résultat ne peut pas être certain.

5 commentaires:

  1. Cette volonté d'utiliser les standards des investisseurs des banques d'affaire est louable (je rappelle que les VCs au sens financier du terme sont souvent dépendant des financements des départements Private Equity des banques) mais la difficulté est que tout le monde soit d'accord sur le risque réellement pris. Quid de l'investisseur qui sur-évalue exprès son risque pour des raisons fiscales par exemple. C'est tout l'enjeu des agences de notation et de l'information sur les marchés.

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement, je ne pense pas qu'on puisse directement partir du Raroc. Mais on peut jouer avec ce genre de concepts. Ainsi, Bales II, Bales III, etc. Ont introduit la notion très proche de "capital requirement"...

    RépondreSupprimer
  3. Le plus révélateur est d'entendre Karine Berger qualifier le numérique de secteur "bling-bling".. Ca promet sur les résultats de sa mission.

    RépondreSupprimer
  4. Si on peut éviter l'usine à gaz, ce sera déjà bien. Que le gouvernement prenne ses responsabilités et taxe ce dont il estime avoir besoin - pour le reste, j'aimerais bien qu'on m'estime, avant lancement, le risque sur l'Iphone ou Facebook... Ca ne fonctionne pas comme ça.

    RépondreSupprimer
  5. Vous allez juste faire le bonheur de cabinets de consultants spécialisés dans l'innovation qui organiseront la présentation du risque à l'administration de façon à optimiser les déductions fiscales, le tout en échange d'une rémunération au %. Bref, votre incitation au risque pour société innovante se résout concrètement en une aide à l'industrie des services.

    RépondreSupprimer