jeudi, septembre 29, 2011

Le capital numérique de Paris


Le débat sur "la filière TIC française" et les moyens de la soutenir est reparti de plus belle, notamment sous l'impulsion de nombreux acteurs, dont le CNN, la filière STICE, le fameux rapport McKinsey ou encore la CCIP.

Régulièrement auditionné, je dois presque toujours commencer par déplacer le débat, pour rappeler que le numérique ne se limite pas à Internet, que le numérique n'est pas une filière industrielle parmi d'autres, que nous faisons face à une transformation économique et sociale globale, qui est d'ailleurs de plus en plus une compétition entre métropoles, et que chaque écosystème doit d'abord trouver son propre projet, sa propre vision, sans chercher à copier les autres.

Je sais que nous sommes tous d'accord sur ces points, mais il est bien difficile de traduire cette vision dans le langage des politiques publiques institutionnelles. Parce qu'il se passe bien quelque chose ici, dans la métropole parisienne, quelque chose qui dépasse largement tout ce qui pourrait être enfermé dans une simple filière industrielle.

Le numérique, au sens large, est un secteur porteur en France. Selon l'étude de McKinsey déjà citée, il est responsable de 25 % de la croissance française et de 25 % de la création nette d'emplois - pour les deux tiers grâce à la transformation des autres industries-. La France est le pays au monde constatant le plus fort revenu logiciel par habitant. Nous sommes par exemple le seul pays à part les US dont la balance commerciale des applications I-Phone soit positive.

Paris, "Europe's hottest startup capital"
(c'est le titre d'un article de Wired UK cet été).

La métropole parisienne, qui rassemble plus de la moitié de la recherche, de l'investissement et de l'emploi est le moteur de ce succès français.

Régulièrement classée comme première ou deuxième ville la plus innovante au monde, reconnue par l'Europe comme la région la plus dense en emplois dans les TIC (plus de 15% des emplois), elle est objectivement l'une des quatre ou cinq régions mondiales qui pèsent en matière de création numérique.
On ne parle pas seulement ici d'un potentiel. A l'évidence, la France a vu naître les plus belles startups mondiales non américaines : Critéo, Jolicloud, Netvibes, Dailymotion, Price-Minister, Deezer, Exalead et beaucoup d'autres sont là pour en témoigner. Et j'en omets beaucoup, des célèbres, mais aussi celles de la jeune garde qui arrive.



Il y a aussi nos secteurs d'excellence : jeu vidéo, cinéma d'animation, robotique de service, technologies de santé, etc.

Ces startups ont la chance de grandir dans un écosystème exceptionnel : plus de 400.000 emplois dans les TIC, plus de 20.000 chercheurs, de grands groupes de technologie (Orange, SFR, Thales, Dassault Systèmes, Alcatel-Lucent, entre autres), de grands groupes de médias, de grands groupes de service à surface mondiale (BNP-Paribas, Axa, Publicis, Carrefour, Casino et tant d'autres qui jouissent du respect des pays émergents pour leur capacité à organiser et déployer de la qualité de service à de très grandes échelles). 70 établissements publics qui forment plus de 20.000 diplômés par an. Des infrastructures de grande qualité (réseau, transport).
Sans compter ce petit miracle parisien, incarné par tant d'associations où les gens aiment à se retrouver (Silicon Sentier, GFII, IE Club, EBG et j'en passe) : l'émergence d'une nouvelle modalité de la compétition, d'une manière conviviale d'être compétiteurs.


L'internet "plus"


En général, à ce point de l'exposé, on me demande "mais alors, comment se fait-il qu'on ne le sache pas plus ?".

Il y a trois réponses possibles à cela. 

Peut-être, certes, ne savons-nous pas le communiquer. Peut-être d'ailleurs, les acteurs eux-mêmes n'ont-ils pas conscience de cette richesse qui les entoure, focalisés qu'ils sont sur leurs compétiteurs internationaux.

Peut-être aussi est-ce un peu la faute de ceux qui ne le savent pas. Chers amis : vous intéressez-vous vraiment au numérique ? Avez-vous pris le pouls de cette transformation mondiale ? La trouvez-vous passionnante et stimulante ? Dépêchez-vous, car elle se produit sous vos yeux et vous ne la connaissez pas !

Peut-être enfin ne regardons-nous pas le "bon" numérique ?
Fascinés par le modèle américain, nous avons tendance à identifier le numérique à ce qui a spectaculairement explosé dans la Silicon Valley : le "consumer internet", c'est-à-dire ces services grand public tels que Google, Youtube, Facebook et toutes les stars du net, qui se consultent sur écrans et utilisent l'infrastructure d'Internet comme principale média de diffusion.

Et pour tout dire, cette économie du consumer internet est effectivement très américaine. Les talents, les technologies, les capitaux-riqueurs et surtout l'enthousiasme, la vision sont californiens.

Mais, fort heureusement, le numérique ne se limite plus aux écrans depuis bien longtemps. Et ayant eu l'occasion, depuis plusieurs années, de visiter en profondeur différents écosystèmes innovants, je suis justement frappé de ce que - même si nous avons quelques beaux succès en la matière (on pourrait citer aussi Vente-privée, ou encore 1000mercis) nous avons aussi de très nombreuses entreprises qui explorent d'autres terres d'application du numérique.

Parrot, qui fait rêver le Consumer electronic show presque chaque année, Aldebaran qui vend se robots au Japon et aux US, Gostaï, qui développe le "Linux des robots", Dafact, qui rêve de faire monter un opéra entièrement écrit pour ses instruments de musique entièrement sans équivalent, Violet, qui fut le premier à tenter l'Internet des objets grand public, Joshfire, qui s'y jette avec talent, MacGuff, Buf, Mikros et les autres, qui font les effets spéciaux pour Hollywood, Quantic Dream et les autres (je ne parle même pas de Vivendi Games ou Ubisoft), qui rayonnent sur la création de jeux vidéos, la communauté Arduino parisienne, l'une des plus créatives au monde.
Tous ces gens là ne s'intéressent plus aux écrans. Leur Internet a plus que deux dimensions. Ils reviennent dans le monde des objets. Ils en forment l'avant-garde et explorent déjà la prochaine révolution numérique : la "webbisation des choses".



Mathématiques, design et mécanique

Outre leur curiosité et leur créativité, les acteurs parisiens me semble bénéficier de certains atouts hérités de l'histoire et qui rayonnent sur la longue durée.

L'histoire d'amour entre la France et le design remonte au moins à Louis XIV. Elle a laissé des chefs-d'oeuvres, des traditions, et de splendides écoles. La qualité de la filière image et du jeu vidéo, la créativité et la profondeur de vision de nos designers, l'attention du public aux "belles choses" s'appuient probablement beaucoup sur cette épaisseur historique qui n'est pas facile à cloner n'importe où.
La tradition mathématique française, qui nous permet de rafler 1/4 des médailles Field et de structurer en profondeur les métiers de la finance, trouve de plus en plus, avec le phénomène des big data, à s'appliquer aux nouveaux - et passionnants - enjeu d'Internet. On verra sous eu d'agréables surprises dans la manière dont la France se positionnera sur ces questions.

Enfin, comme le montre notre belle communauté de robotique, mais aussi les applications en matière de santé, de transport ou de sécurité, notre pays produit des ingénieurs de qualité, et la jeune génération est en passe d'abolir la barrière entre mécanique et numérique, ce qui nous fera définitivement sortir des écrans.


Le numérique "in real life"

Au delà de cette "webbisation des choses", je trouve ici une métropole très attentive à la pensée de la ville elle-même, à son harmonie, aux règles de vie en commun, à ce que nous appelons la "vie numérique".

Cette année par exemple, le métro de New-York vient triomphalement d'annoncer qu'il allait s'équiper pour permettre les communications mobiles dans les rames, ce que la RATP a réalisé dès l'an 2000.
Un ami, prospectiviste de Stanford, m'expliquait récemment que le numérique allait bientôt commencer à bouleverser les services physiques, et qu'on pouvait même rêver un jour de véhicules en libre service. Je crois qu'il ne m'a pas cru quand je lui ai annoncé l'ouverture du service Autolib le 2 octobre prochain.

Les recherches sur le handicap, le maintien à domicile et le corps enrichi sont exceptionnelles en France, approchées seulement par certains travaux au Japon. C'est ici, à l'Institut de la vision, qui marie si bien la médecine et la biologie de pointe avec les TIC, qu'a été inventée la rétine artificielle... et ce n'est qu'un début.

C'est en France que j'ai vu les travaux les plus ambitieux et les plus aboutis pour modéliser la ville, ses flux, sa dynamique, jusque même, parfois, son imaginaire. Veolia, Thales, Dassault Systèmes et quelques autres en sont les fleurons, mais on compte également une quantité de startups.

La qualité de la réflexion sur la manière dont le numérique pourrait bousculer l'éducation atteint un niveau inégalé, malheureusement pas toujours transposé dans les faits, notamment du fait de la complexité du système éducatif mis en place (et peut-être aussi de sa relative efficacité).

Je pense que nous sommes l'une des quelques capitales à la pointe de la réflexion et de l'expérimentation sur la "vie numérique". Nous le faisons sur un terreau extrêmement favorable : une belle et grande ville, au riche patrimoine architectural et urbanistique, ayant gardé de la diversité sociale, accueillant des représentants du monde entier, ayant des infrastructures de grande qualité, ayant des consommateurs parmi les plus curieux au monde.
Nous le faisons surtout, une ville ayant une épaisseur historique. Design, architecture, urbanisme ne sont pas des questions neuves, ici. C'est ici que l'on faisait les meubles pour Louis XIV, que Edison venait montrer ce qu'on pouvait faire avec l'électricité, que Haussmann inventait un urbanisme de Ville Lumière. Il en reste des traces, il en reste de l'exigence, il en reste de la compétence...


Est-ce que tout cela fonde une stratégie ?

Il n'est pas facile de traduire cette conviction en stratégie industrielle (et d'ailleurs, ce n'est pas mon métier). Mais il me semble indispensable de se pénétrer de cette vision avant toute élaboration stratégique. La France ne va pas se créer un polder et une cité artificielle comme l'a fait la Corée avec Songdo City. le développement d'une ville-monde ne se pense pas comme la création d'une technopôle attachée à une ville de province.

La vision, l'ambition, la cohérence, le désir d'apporter quelque chose à l'histoire universelle, la prise en compte intelligente des atouts qui sont sur place, y compris des atouts historiques doivent être premiers. Faute de quoi, toute action est inutile, voire peut-être, parasite.


2 commentaires:

  1. intéressant, mais , il y a un mais ...
    Je viens d'écouter Nicolas sur son discours « Le Grand Paris, 4 ans après ». On parle béton, métro, budget, impôts ... mais pas de fibre ... il faut dire que son plan fibre dans le 92 est loin d'être un succès ! et on veut joint dans la cour des capitales "monde" ...

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