jeudi, novembre 30, 2006

Ecole : demandez le programme !


Philippe Meirieu verse au débat présidentiel, un livre audacieux et précis qui repose sur les nombreuses contributions aux débats du Café pédagogique (http://inter.cafe-leblog.net et http://www.cafepedagogique.fr) et au site personnel de Meirieu (http://www.meirieu.com). Les textes sont illustrés de nombreux extraits des contributions à ces débats. Riches de propositions précises, à défaut d’êtres toutes innovantes, il représente un antidote stimulant aux excès et aux approximations que ne manquera pas de susciter la période électorale.

Des pistes nombreuses et fécondes

Ce livre refuse l’ « évidence » selon laquelle la société va mal, du fait de l’école, et notamment des pédagogues qui en ont aboli les valeurs. En 1950, la moitié des adolescents de 16 ans étaient au travail. Aujourd’hui 97,3 % sont scolarisés. Si le niveau des classes a baissé, c’est parce que le niveau général monte et parce que notre exigence s’est élevée. Cette ambition est aujourd’hui jugée utopique et dangereuse : les "masses", "non éducables", n’auraient pas besoin de ce bagage… Meirieu nous propose au contraire d’amplifier l’effort. Il faut ressaisir cette ambition et la prendre au sérieux : garantir la maîtrise de la langue, définir et enseigner ce que « nul ne peut ignorer », refuser l’orientation par l’échec dans les voies professionnelles, combattre l’incivilité et la violence...

Philippe Meirieu propose différentes pistes pour bâtir une « école fondamentale » pour tous les élèves de trois à seize ans et supprimer l’actuel « déficit d’unité républicaine ».

Il faut restaurer les piliers de l’école laïque, gratuite et obligatoire. La laïcité face à «  toutes les formes d’emprise sur les esprits (…) le prosélytisme fondamentaliste, la pression des marques commerciales ou la normativité des modèles hollywoodiens ». La gratuité quand « le coût des fournitures excède très largement le montant de l’indemnité versée aux plus modestes ». Enfin, face au homescooling, rendre à nouveau l’école attractive pour ne pas avoir besoin de la rendre obligatoire.

Il rappelle que les exclus du système éducatif ne le sont pas parce qu’ils ne comprennent pas, mais parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi il faut apprendre. C’est à cela que l’institution, confrontée aujourd’hui à une quantité et à une diversité d’élèves jamais atteintes, doit répondre. Et pour cela, elle doit utiliser, notamment, la pédagogie du détour et la pédagogie par projets.

Elle devra trouver des solutions pour revaloriser enfin l’enseignement professionnel (1/3 des baccalauréats). Et elle devra trouver des solutions pour différencier sans exclure : clarifier les objectifs, diversifier les parcours, améliorer l’orientation des élèves. « Longtemps l’hétérogénéité des classes n’a pas été un problème, mais une ressource » (classe unique). Ce modèle est désormais obsolète puisque les élèves ne diffèrent plus simplement par leurs niveaux, mais aussi par leurs comportements. Il faut organiser la personnalisation dans l’école et donc instaurer un socle de cours commun, un accompagnement individualisé, et de nombreux outils d’organisation et de liaison. Un mot d’ordre : « Moins de cours, plus d’école ».

Un long chapitre est consacré à la « construction de l’école » : des écoles et des établissements structurés, organisés en unités pédagogiques à taille humaine et pacifiés. Annoncer une réforme et « penser que toute la pyramide va se mettre spontanément en branle », crier à l’autorité et « penser sérieusement que les élèves en rupture (…) vont entrer dans le rang », appeler au travail en équipe « sans dégager des plages de temps (…) ni toucher au système des inspections individuelles ».... relève de la pensée magique. Il faut repenser les locaux, inventer des rites modernes accordés aux finalités de l’école, faisant baisser la tension, aider les adultes à créer des équipes structurées, à taille réalistes, où chacun soit respecté, et même confier des responsabilités aux élèves. « La violence ne disparaît pas parce qu’on le décide : elle se canalise, se régule, se métabolise »

« La France est en retard, tout à la fois dans l’aide à la parentalité et dans l’accompagnement à la scolarité ». Beaucoup de parents sont démunis, mais pas démissionnaires, face à des problèmes totalement inédits. Comment endiguer l’envahissement de la télévision ? Résister à la pression publicitaire ? Bien malin qui sait ! Ce ne sont ni des « problèmes psys » ni des « problèmes sociaux », mais des problèmes d’éducation . L’école pourrait jouer un rôle envers les parents. Les enseignants y gagneraient en respect. Il faut que « les établissements scolaires deviennent de véritables « têtes de ponts » en matière de formation, qu’ils s’associent pour cela avec le tissu associatif et économique, qu’ils travaillent avec les collectivités territoriales ».

Il faudra aussi qu’une réforme assouplisse la gestion de l’école en renforçant la régulation par l’Etat pour laisser plus d’autonomie aux établissements. Plus d’Etat, moins de bureaucratie. Il faut continuer à aider plus ceux qui en ont le plus besoin. Les ZEP sont critiquées, mais on n’est pas allé au bout de l’intention. On continue à y nommer les enseignants les moins expérimentés. « Pourquoi n’adapterait-on pas les dotations en postes et en heures à la situation de chaque école, collège et lycées ? ». Aux ZEP, des enseignants confirmés et restant en place, en milieu rural, des équipements culturels, en zone pavillonnaire, une aide pour l’accueil en dehors des heures de classe. On pourrait même « appliquer à la dotation de chaque établissement un coefficient calculé sur la base des CSP des familles des enfants qui y sont scolarisés ». Que l’Etat donne le cadre, suscite des projets d’établissements, garantissent qu’ils ne portent pas de sélection déguisée, apporte le soutien d’inspecteurs qui soient des formateurs, puis qu’il laisse une véritable autonomie. « Remettons la République à l’endroit : substituons à une bureaucratie tatillonne un Etat exigeant ».

Il faudra des enseignants aux missions clarifiées, mieux formés, plus impliqués Il faudra repenser les concours. Qui peut croire, en préparant de telles épreuves, que ce qu’il fera ensuite n’aura aucun rapport à ce qui lui est demandé ? C’est une malhonnêteté et un désastre pédagogique. « Imaginerait-on d’autoriser un médecin à exercer sans s’assurer qu’il a bien soigné des malades ? » Il faut construire un dispositif de recrutement fondé sur les besoins de notre école ! La première nomination est la plus difficile. Elle est vécue comme une contrainte et les enseignants font tout pour la fuir. Comme on dit parfois, dans un collège difficile « la personne la plus ancienne dans l’établissement est l’élève de troisième » Quels fruits peut-on attendre de cette inversion du rapport entre les générations. « Il faut rendre les établissements « difficiles » assez attractifs pour que les personnels en poste ne cherchent pas à la fuir et que les nouveaux insistent pour y être nommés ». Il faut améliorer les conditions de travail. Il faut aussi adapter la formation continue et lier systématiquement formation, recherche et innovation. Il faut aussi faire vivre la « maison d’école ». «  C’est l’ensemble du service qu’il faudrait repenser sur la base de trente-cinq heures de travail (et non de cours, évidemment !) par semaine.  » Tout ceci aura un coût. « Il faudra aussi – n’en doutons pas – une augmentation du salaire des professeurs et cadres éducatifs. » « Une nation qui donne 1 300 euros par mois à un professeur en début de carrière – quand un ingénieur, un pilote d’avion, un percepteur, un vétérinaire, un responsable commercial perçoivent plus du double – ne peut prétendre faire de l’éducation sa priorité. »

Un défi pour le politique

Livre stimulant, à lire et à relire d’urgence, dont les propositions dépassent, de très loin, les quelques éléments résumés dans cette note. Riche de très nombreux témoignages à prolonger et amplifier sur les sites du débat. Livre « utopique » aussi, peu attentif aux conditions concrètes des réformes proposées, aux technologies et aux budgets nécessaires à ces rénovations, aux conditions de possibilité de la prise en compte de cette complexité et de ses nuances dans un débat que les médias tendent à simplifier et à dramatiser. Livre défi donc, qui nous propose une boussole, et nous laisse découvrir le chemin vers une école qui tienne enfin la promesse que la République a souhaité faire à tous ses enfants.

Philippe Meirieu, Ecole : demandez le programme, ESF, 2006

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