mercredi, janvier 20, 2010

Médecine : la fin du colloque singulier ?

Réunion, la semaine dernière, du groupe "TIC et santé" du Think Tank de la Fondation Télécom.

Nous avons eu la chance de partir d'un ambitieux travail prospectif conduit par Laurent Gille et Thomas Houy, avec de nombreux partenariats, qui a permis de dégager les questions clés qui vont se poser aux systèmes de santé, et les "grandes bifurcations" que susciteront nos réponses.



  (illustration Health Prototype candidates, juhansonin, Creative Commons)


Je ne vais pas résumer ici l'ensemble de ces éléments. Je posterai les transparents de Laurent s'il m'y autorise. Ce qui me semble essentiel de partager avec vous, c'est le constat suivant :

Malgré les bouleversements technologiques et les évolutions profondes de l'état de santé des Français, l'organisation profonde des systèmes de santé est restée extrêmement stable pendant des décennies et les réflexions prospectives sont encore très frileuses.

Or, de très nombreux changements semblent imminents. Pas forcément du fait de nouvelles ruptures technologiques, mais plutôt du fait de changements sociétaux dont certains ont à voir avec les technologies.

Parmi ces tendances qui cherchent à s'exprimer (et qui nous conduiront collectivement à poser des décisions) :
- la possible propension à construire des devoirs de santé en face des droits de santé, et donc à responsabiliser (pénaliser ?) l'individu pour ses conduites à risque ;
- changement du statut du corps dans les rapports sociaux (omniprésence et virtualisation à la fois) ;
- le patient qui se voudra de plus en plus actif et qui conduira les politiques publiques à encourager, encadrer ou freiner cette "activation"
- l'émergence d'une médecine prédictive et d'une médecine préventive...
Mais il y en a bien d'autres.

Ce qui m'a le plus frappé est sans doute le constat suivant : La relation médicale fondée sur le "colloque singulier" n'a plus de raison de structurer l'ensemble de l'écosystème de santé: un seul médecin ne peut plus être le pivot de l'organisation des soins: l'exercice collectif de la médecine s'impose. 

En fait, c'est à la fois évident et énorme. Depuis l'antiquité, quasiment, la médecine est fondée, ancrée et régulée par cette notion de "colloque singulier". C'est le coeur de la pratique, ce qui transforme la médecine en art, c'est le socle du droit, ce qui fonde le secret médical et ouvre la voie d'une autorégulation par le Conseil de l'ordre. c'est même le coeur du modèle économique et la limite de la rationalisation absolue des pratiques. C'est aussi en partie un mythe, mais un mythe qui joue le rôle d'idée régulatrice.

Or, cette vision ("une confiance rencontre une conscience"), est aujourd'hui complètement dépassée notamment sous l'effet du numérique.

Le patient n'est plus seul : il est inséré dans un réseau social, il s'épanche et s'informe sur les forums, il accède aux meilleurs cours et pratique nomadisme et automédication (ceux qui me connaissent savent d'ailleurs que je ne condamne pas fondamentalement cette attitude).
Le médecin n'est plus seul non plus, il travaille en équipe, au coeur d'un vaste ensemble de professions et de techniques nouvelles. En particulier, un nombre croissant de pratiques de soins passe désormais par l'appareillage à domicile, l'outillage du corps, l'assistance par différents "devices" et n'est ne sont plus prescrites, ni remboursées, par le système de santé.
Le système de santé est de plus en plus présent et multiplie les formats de régulation.

Qu'on l'apprécie ou non, un monde bascule. La production de la santé devient le fait d'un système "many to many".

Les conséquences de ceci seront nombreuses et passionnantes. Inquiétantes pour une part et riches de potentialités pour une autre part.

Elles seront d'autant plus intéressantes à étudier que ce phénomène est général, et bien loin de se limiter au champ médical.

Nous en reparlerons certainement.

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