J'ai eu le plaisir aujourd'hui de déjeuner avec mon ami Robert Jammes, inspecteur général de l'éducation nationale (en retraite depuis peu). Robert est très attaché aux valeurs de la Ligue de l'enseignement, à la laïcité et donc à une certaine forme de respect de la vie privée, et nous avons pas mal échangé sur les changements d'attitude de la société vis à vis des données personnelles.
Car quelque chose change, et sacrément vite.
Il y a d'une part la prolifération des fichiers de tous ordres, décidés par les autorités gouvernementales ou administratives sans grand contrôle démocratique. Il y a d'autre part la facilité avec laquelle les nouvelles générations semblent diffuser leurs données personnelles sans crainte. La question de la vie privée ne se pose absolument pas comme il y a quelques années.
Tout se passe, d'autres l'ont dit avant moi, come si l'on vivait une sorte de nouvelle révolution sexuelle. Les nouvelles générations se comportent comme si elles trouvaient leurs aînés coincés et ringards, et semblent basculer collectivement avec la même rapidité dans un autre mode de vie. Décontracté, insouciant.
Pour des défenseurs aguerris des droits de l'homme, qui savent de mémoire ou d'histoire à quel point les pouvoirs peuvent aisément se mettre, soudainement, à persécuter des pans entiers de la population, cette évolution est étonnante et inquiétante.
Sauf que nous nous sommes rapidement rendu compte que la question ne se pose pas tout à fait comme ça.
Il est vrai que le phénomène existe, et il est vrai qu'il peut sembler étonnant. A ceux qui se souviennent des rafles ou des persécutions (encore bien actuelles ans de nombreux pays), il est même incompréhensible.
Nous avons constaté tout d'abord que le phénomène sécrète des protections en même temps que des dangers accrus. Cette "transparence" aboutit en même temps à une société maillée, ou l'information circule plus rapidement, et qui se trouvesans doute mieux armée pour résister certaines manipulations. Je pose ceci sans pouvoir dire autant ce qui l'emporte entre la composante liberticide et la composante libératrice.
Nous avons posé également le fait que les utilisateurs avertis des réseaux sociaux ne déposent pas n'importe quelles données. Il y a une nette évolution de ces réseaux vers une forme de communication institutionnelle somme toute assez contrôlée. Les données produites ne sont pas intimes, elles sont publiques, destinées au pubic. Et qu'on n'en ai conscience ou non, elles sont travaillées.
A certains égards, on connaît une évolution (et je comprendrais qu'elle en gêne certains) qui nous rapproche de la société américaine : plus de publicité, plus de contrôle social, une meilleure acceptation du contrôle social, mais aussi une habitude de vivre dans ce contrôle social et de construire ailleurs, différemment, une nouvelle intimité.
Finalement, les données personnelles publiques nous ont semblé la partie la moins inquiétante du problème. En regard, il y a quand même deux phénomènes autrement inquitants :
d'une part les informations collectées de manière un peu directive (par les associations, les employeurs, les assureurs) qui sont données par les individus parce qu'ils y sont contraints, et non pas parce qu'ils le désirent ;
- d'autre part les données produites sur nous, à notre insu, par les systèmes d'information. Il est de plus en plus facile, de manière nominative ou non, d'interpréter les profils avec un luxe d'analyse inouï. Et donc de screener, scorer ou qualifier les internautes sans même qu'ils sachent qu'on s'est intéressé à eux.
En même temps, je garde toujours ce sentiment que c'est dans ce phénomène et avec ses propres outils qu'il faut construire de nouvelles protections. On n'endigera pas cette marée montante, car elle aporte beaucoup de puissance d'agir à la majeure partie d'entre nous. Il faudra donc apprendre à s'y mouvoir.
A l'heure de refaire le monde, nous avons conclu avec quelques principes qui, a minima, devraient s'appliquer :
- il faut imposer à tout système de recueillir le mininum d'informations dont il a besoin pour ses objectifs et refuser les redondances ou les informations superflues ;
- il faut veiller à limiter le nombre de personnes autorisées à accéder à ces informations et changer fréquemment les mots de passe ;
- il fat soutenir les démarches qui permettraient que les informations soient stockées dans des dispositifs contrôlés par les personnes (type "coffre fort numérique" et imposer que les systèmes s'interfacent avec ces systèmes contrôlés par les individus ;
la question de la durée de vie des informations est centrale et mériterait un débat public intense, et des décisions variant selon la nature des informations...
C'est encore peu. Mais ce sont quelques règles d'hygiène élémentaire qui pourraient alléger la charge du débat.
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Merci Henri pour cette analyse et ces conseils avisés. D'accord avec toi.
RépondreSupprimerEric
Effectivement !
RépondreSupprimerS'il est devenu banale de dire que les changements du monde sont de plus en plus rapides et que nous ne pouvons plus penser les opacités et les transparences informationnelles de la même façon "qu'avant" (avant Internet, je suppose), il est devenu urgent de se poser la question de l'éducation (et de la réglementation) de la diffusion de l'information et de son utilisation.
Il est à mon avis devenu encore plus urgent de penser une civilisation du respect et de la discrétion, face à une hysterisation montante du voir et du savoir, où c'est la surface et le temps réel qui sont valorisés dans le traitement de l'information.
A lire ou relire, sur transparence et opacité communicationnelle :
"L'utopie de la communication" de Philippe Breton.
http://www.unvulnerable.net/blog/index.php/2005/04/14/19-lutopie-de-la-communication---philippe-breton---la-decouverte-1997
Adrien Ferro
http://www.facebook.com/adrienferro