mercredi, mai 25, 2011

La résistible ascension des nouveaux Barbares

Ci-joint un petit texte concocté avec mon ami Christophe Stener, portant sur les objectifs et la stratégie des nouveaux Barbares,  invités d'honneur du e-G8, et sur les réponses possibles par nos entreprises matures.



Après 800 ans de domination sans partage, les Romains furent emportés par une vague de barbares venus de plus loin et dont ils n’ont pas su dominer les attaques rapides, mobiles, sans respect des règles habituelles du combat lourd que maîtrisaient leurs phalanges..
Les entreprises leaders de l’économie du XXe siècle sont-elles condamnées à subir le même sort ? Les nouveaux entrants, nés dans Internet (Internet natives) que sont les Google, Facebook, Apple, Amazon, semblent en effet avoir la même mobilité, la même ambition et le même dédain pour les règles classiques que les anciens barbares.

Face à ce déferlement, les entreprises matures, leaders mondiaux de leurs secteurs, ont compris et intégré une partie des technologies numériques en particulier le commerce électronique et le marketing viral. Mais ils restent quand même prisonniers de modèles‘brick et mortar’, sans pouvoir ou savoir reconstruire toute leur chaine de valeur par rapport au eclient. La stratégie multi canal est un bon exemple. Indispensable, elle n’est pourtant qu’un ‘barrage contre le Pacifique’ contre ces ‘nouveaux barbares’ qui pillent les chaînes actuelles des acteurs traditionnels.
Les entreprises les plus directement impactées sont celles qui vendent des biens et services aux particuliers (Business to Consumers). Leur capital est composé de leur marque, de leur réseau commercial, de leur savoir faire métier... mais surtout de leur capacité à capter, à satisfaire et à conserver leurs clients. Le client est le capital le plus précieux mais aussi le plus fragile de l’entreprise. La relation avec le client est de plus en plus nouée et fidélisée par les nouveaux outils numériques : mailings ciblés, liens commerciaux sur les sites de recherche ou communautaires, galeries marchandes sur ordinateur et sur téléphones intelligents (smart phones), offres groupées avec d’autres partenaires (bancaires, tourisme, assureurs,...), cartes de fidélisation et de paiement... Les entreprises ‘brick et mortar’ ont compris qu’Internet était le média majeur au XXIe siècle.
C’est justement sur ce lien entre l’entreprise et le client que les ‘nouveaux barbares’ ont décidé de devenir les points de passage obligés pour vendre leurs propres biens et services concurrents des entreprises ‘classiques’ et/ou faire payer à celles-ci des droits de péage, nouvelle forme de droit d’octroi numérique.


Pour ce faire ils ont deux leviers irrésistibles : une base mondiale de clients fidélisés à travers de véritables rituels quotidiens immense (700 millions de comptes Facebook, 200 millions de comptes i Tunes, 37 millions de visiteurs Google par mois...), et une accessibilité démultipliée par tous. les terminaux internet (ordinateurs, smart phones, tablettes, demain TV internet...) Exploitant ces deux leviers, ils déploient une stratégie d’encerclement en investissant de nouveaux métiers (banquier, opérateur télécom, régie publicitaire, fournisseurs de contenus notamment) recherchant systématiquement les niches « over the top », celles au rendement maximal. La martingale est l’intégration complète de la chaine de valeurs sur le modèle Apple (fournisseurs de matériels, de logiciels, de sites marchands et de contenus).

La puissance de ces nouveaux barbares est immense : ils sont très riches. Apple est en passe de devenir la première capitalisation boursière au monde. Ils développent de nouvelles activités en utilisant la valeur marginale de leurs gigantesques infrastructures internet et leur très faible coûts d’exploitation. Twitter compte1 salarié pour 750.000 abonnés, par exemple. Reprenant les leçons des aînés, comme Microsoft par exemple, ils acquièrent à prix d’or desstart up pour investir de nouveaux territoires en gagnant le temps de la R&D et en construisant des barrières à l’entrée pour leurs concurrents. Apple, Google, Amazon, Facebook investissent massivement aujourd’hui dans le business du loisir en ligne pour prendre des parts de marchés, futures rentes à terme.
Ces nouveaux acteurs ne visent pas à concurrencer les ‘chaines de valeur’ traditionnelles. Ils ‘encapsulent’ les activités traditionnelles en laissant les activités les moins rentables, celles du monde réel (logistique en particulier) aux acteurs installés. Ils créent de nouvelles expériences utilisateur et, si possible de nouveaux rites, de nouvelles pratiques sociétales. Facebook, Amazon, Google suivant les traces d’Apple se lancent tous dans la commercialisation d’offres de musique, de cinéma, de livres en ‘streaming’ c'est-à-dire en consommation en flux sans stockage local, en s’appuyant sur les architectures de ‘cloud computing’ envoyant le flux de contenu vers tous types de terminaux Internet.

Apple ne dissimule pas son ambition de devenir ‘opérateur téléphonique’ pour pouvoir émettre des ‘puces de téléphones’ virtuelles qui enlèveront aux opérateurs classique leur principal actif. Les opérateurs téléphoniques seront réduits à un rôle de réseaux de transports passifs.Ne disposant plus de connaissance des clients qui transitent sur leurs fibres, ils ne pourront plus commercialiser les bouquets de services qui sont leur vrai revenu et permettent d’équilibrer le subventionnement des terminaux. Ce subventionnement systématique qui permet que 40 % des nouveaux téléphones soient connectés internet est à terme suicidaire car ce sont autant de Chevaux de Troie à partir duquel les Apple, Google vont lancer leur guerre de conquête des bases clients. L’investissement massif de Google dans Android, qui va être rapidement le système d’exploitation dominant des ‘smart phones’ s’inscrit dans une stratégie cohérente à vue longue.
Facebook veut devenir le premier site commercial s’affrontant aux acteurs historiques comme eBay et procède à des acquisitions ciblées pour se doter de capacités de régie commerciale internet dans un combat frontal avec Amazon et Google. La maîtrise d’un corpus de données sans précédent, et l’investissement dans le traitement des 'big data' ne tarderont pas à jeter aux oubliettes les anciennes approches du marketing et de la communication.
Groupon, âgé d’à peine trois ans, a une valorisation estimée à 15 milliards de dollars en proposant au petit commerce de jouer sur les stratégies promotionnelles des grandes enseignes. Foursquare, qui a rassemblé 8 millions d’utilisateurs en trois ans, explore un marché de la donnée personnelle géo localisée qui, d’après McKinsey, devrait générer 100 milliards de dollars de revenus pour les opérateurs avant 2020.

Face à cette irruption des nouveaux barbares dans leurs métiers, les acteurs de l’ancienne économie, celle du brick and mortar, ont deux options. L’une est la recherche de la ‘moins mauvaise alliance’ avec l’un de ces barbares : c’est un peu celle de Canossa et les déséquilibres des acteurs rendent un accord d’égal à égal peu probable. La difficulté de négociation par les opérateurs téléphoniques des conditions de commercialisation des iPhones alors qu’Apple lorgne sur l’ARPU même des clients le montre assez. L’autre est de se transformer en ‘ pervasive company’ développant un ‘soft power’. Une ‘pervasive company’ est une entreprise qui est en rapport constant avec ses clients à travers tous les média numériques (ordinateurs, téléphones, télévision), à travers une expérience utilisateur riche et nouvelle, à travers un ‘soft power’ qui est l’adhésion du client à la marque. Seules les entreprises capables de remettre en question structurellement leur rapports à leurs clients, de faire du numérique le cœur de leur relation avec leurs clients et d’adopter résolument de nouvelles stratégies de création de valeur pourront ambitionner de choisir cette voie.
Mais il faudra pour cela renoncer à bien des certitudes héritées du XXe Siècle. Faute de quoi, tous les G8 du monde ne seront que procrastination...

Henri Verdier, MFG Labs 
Christophe Stener, ChristopheStenerConsulting

5 commentaires:

  1. >> Après 800 ans de domination sans partage, les Romains furent emportés par une vague de barbares venus de plus loin et dont ils n’ont pas su dominer les attaques rapides, mobiles, sans respect des règles habituelles du combat lourd que maîtrisaient leurs phalanges..

    Aïe...
    L’armée romaine était organisée sur le modèle du manipule bien plus souple que la phalange (cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Pydna).
    Certes au Bas-Empire, la vie militaire n'était plus comme aux temps de l'austérité vertueuse républicaine. L'entrainement était moins intensif, la discipline plus souple, l'équipement plus léger. Mais l'armée romaine sur le plan militaire restait une armée de métier efficace sur le plan opérationnel en Europe, certes à la peine en Orient, mais qui maîtrisait les règles habituelles de combat.

    Si le sujet vous intéresse : Yann Le Bohec. L'armée romaine dans la tourmente.
    http://www.amazon.fr/Larmée-romaine-tourmente-nouvelle-approche/dp/2268067858/

    Il y a de multiples théories sur la chute de Rome, en particulier sur le terrain militaire.
    - la double pression concomitante germanique et parthe (puis perse)
    - les adversaires nombreux, très nombreux, beaucoup trop nombreux. Par exemple, sur le front européen il y eut de nombreuses victoires militaires sans lendemain tant les forces adversaires se régénéraient vite du fait du poids démographique. Une somme de victoire à la Pyrrhus tend à la défaite militaire.
    - la dérive de l'institution militaire au plan étatique.
    Septime Sévère est devenu (et resté de 193 à 211) empereur en achetant l'armée dans une proportion inouïe, créant un précédant que ses successeurs ne purent remettre en cause. Cela a empêché les évolutions, les recrutements et a favorisé l'émergence d'une véritable caste militaire. L'entretien de l'armée et particulièrement la solde était un gouffre qui a miné les finances publiques et par voie de conséquence toute l'économie romaine.

    Bref alors que les périls militaires étaient manifestes, les empereurs romains ont investi beaucoup et mal, sur le court terme. Et là oui pas de doute le parallèle est pertinent.

    Votre précédent billet http://www.henriverdier.com/2011/05/vers-un-liberalisme-de-donnees.html est une vue à long terme sur les évolutions à venir et c'est justement ce qui manque souvent. Alors que les nouveaux barbares, pour reprendre l'expression, investissent manifestement l'économie de la donnée (exemples : Google qui rachète Metaweb, Facebook avec rdf), les grands établissements privés ou publics investissent le site web, la boutique en ligne, la médiation, le mobile... non pas que ça ne soit pas de mauvaises idées (au contraire) mais souvent en passant à côté de ce qui fera les flux d'informations, où comme vous le remarquez les nouveaux barbares tendent à prendre le contrôle de la toute la tuyauterie des services d'accès. Le multicanal pour être pérenne et efficace sur le long terme a besoin d’interopérabilité des ressources et d'une véritable politique de métadonnées. Hein quoi ? Késako l’interopérabidule ? Et c'est quoi les métamachins ?

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  2. Je trouve que vous ne consacrez pas assez de temps à dire que ces entreprises - "Google et compagnie", comme l'a dit Stéphane Richard, votre PDGs -- ont au coeur de leur modèle la satisfaction du besoin du client qui n'est pour les entreprises pour lesquelles vous plaidez qu'un quidam à qui il faut faire cracher son argent y compris par la ruse et l'absence de lisibilité des prix.
    Chaque fois que j'achète quelque chose sur l'App Store, je sais exactement ce que j'achète et ce que je paye. Chez Bouygues, j'ai mis 12 mois à me défaire d'un abonnement téléphonique souscrit pour ma fille -ce qui a permis à cet opérateur peu scrupuleux d'en jouer habilement-- et chez France Télécom, je suis dans le 18ème avec un réseau mobile Orange qui ne couvre pas bien mon quartier et une LiveBox qui tombe en panne régulièrement.
    Alors arrêtez de nous raconter des contes de fées auxquels vous ne croyez pas vous-même !

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  3. Cher Anonyme
    Vous êtes une merveilleuse illustration de mon propos.
    Et lisez un peu ce blog pour voir si j'ai des PDGs

    Sincèrement

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  4. Qu'est-ce qui a tué Rome, au fait ? Est-ce que ce n'est pas tout simplement la perte de foi en l'existence de Rome ? Est-ce que c'est la virulence des cultes monothéistes ? Le monde était conquis, les "barbares" parlaient souvent latin... Cette fin (relative car la Rome orientale existait encore il y a un peu plus de 500 ans) reste pour moi un mystère, mais bien que ma culture dans le domaine soit très superficielle, je reste sur l'idée que Rome est morte de l'intérieur.

    En ne lisant pas le mot "barbare" de manière affective ("Yussuf Fofana et le gang des barbares") mais en se fiant à la définition donnée en introduction (ne respectant pas les règles du vieil empire), on peut souscrire à cette analyse, mais la question que je me pose, c'est de savoir s'il s'agit d'une nouveauté ou d'un éternel recommencement. D'ailleurs les romains eux-mêmes ont changé toutes les règles du jeu en leur temps : plutôt que de conquérir et de piller, ils ont conquis et administré, intégré non seulement des villes ou des comptoirs mais des régions entières à l'empire, en imposant leur loi mais aussi en s'adaptant à celles des lieux sous domination et en intégrant une partie de leur culture comme McDonald's intègre à ses menus certains plats indigènes (la poutine au Québec, etc.)... C'était nouveau, ça a marché, jusqu'à ce que d'autres tactiques prennent.
    Je me rappelle d'une époque où on disait que Microsoft était une société rusée, qui ne respectait pas les règles du business, des "pirates"... puis on a dit que c'était Google qui ne respectait pas les règles en vigueur, tandis que Microsoft était devenue une boite "à la papa". À présent, c'est à FaceBook qu'on fait me même genre de reproche. Il me semble que toutes les sociétés à vocation impérialiste (et dieu sait que les secteur des TIC permet de bâtir ou de détruire rapidement un empire) finissent par trouver plus méchant qu'elles - et il est assez pathétique de les voir paniquer, se lancer dans le "management" au sens le plus absurde du terme (turn-over artificiel, méfiance envers la compétence, dévalorisation du coeur de métier, stratégie de conquête de nouveaux clients au détriment de la qualité du service envers les anciens) parce que ce qui ne croît pas rapidement semble destiné à mourir.
    Bon, je vois tout ça en tant qu'usager, il me semble que j'aimerais surtout avoir un rapport honnête avec les opérateurs ou les services, et je pense que ça suffirait pour eux à s'assurer la fidélité de ma clientèle, mais peut-être que je me trompe !

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  5. Je vous rejoint notamment sur le volet téléphonie, plus le temps passe, plus je me méfie des Smartphone Android/Apple qui sont "donné" subventionné de manière indécente et qui satisfont leurs clients grâce à des application "coussin_péteur", "Faites_des_photo_moches_comme_des_polaroid" ou que sais je encore....
    Le logiciel libre (au sens de R. Stallman) devient de plus en plus un acte militant pour une alternative crédible à la conservation de nos liberté de consommateurs inondé par la technologie.
    A voir ce projet pour terminaux Android: http://replicant.us/about/

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