Il y a deux semaines, nous avons partagé la conférence de Kevin Slavin sur la manière dont les algorithmes façonnent désormais concrètement le monde. Le monde physique, je veux dire.
Je viens aujourd'hui de découvrir, grâce à une intervention de la Strata conference, une illustration insoupçonnée, et assez profonde, de cette thèse.
Au cours des cérémonies de commémoration du dixième anniversaire des attentats du World Trade Center, nous avons tous vu, à la télévision, des images du mémorial du 11 septembre.
Personnellement, j'ai été frappé par sa simplicité dépouillée, et par son adéquation avec la fatalité du destin des victimes de l'attentat. Ces chutes d'eau ininterrompue rappellent à la fois le mouvement de l'effondrement des tours, que personne ne peut oublier, et fait méditer sur la vie, et la mort, de toutes ces victimes. Sur l'inéluctabilité et la fatalité de leur destin à partir du moment où les avions ont frappé les tours.
Nous avons également vu de nombreuses images de familles à la recherche du nom d'un proche parmi la liste qui entoure le monument, et le recueillement devant ce nom.
Je ne me doutais pas, en revanche, de la complexité du développement algorithmique qui avait présidé à la répartition de ces noms et des raisons profondes qui avaient présidé à cette organisation.
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Ces noms ont été disposés par Jer Thorp (@blprnt sur Twitter). Artiste, écrivain, blogueur et développeur, qui gagne à être followé. C'est aussi le "data-artist" du New-York Times, journal auquel il fournit de nombreuses visualisations.
Sur son blog, il relate longuement pourquoi et comment il a travaillé cette disposition des noms. Et je vous recommande vivement son article.
Au début, il y a probablement une demande des familles, qui craignent la froideur inhumaines des longues listes de noms rangés par ordre alphabétique, comme on commence - hélas - à le voir trop souvent sur les monuments.
Comment incarner un peu de la vie des victimes dans une liste ? Comment éviter la litanie ?
Tous ces gens ont une histoire, largement relationnelle. Ils travaillaient dans une certaine entreprise, ils avaient un bureau, ils avaient des collègues, ils avaient des amis, parfois ont sait où ils étaient au moment de la chute des tours. Le respect de leurs existences pousse à inscrire leurs noms dans un ordre qui fasse sens. Mais il n'est pas forcément facile d'inscrire toutes ces relations dans les deux dimensions d'un monument qui, qu'on le veuille ou non, devra rendre la forme d'une liste.
C'est pourquoi Jer Thorp fut approché par l'agence Local Projects, en charge de la conception du monument, pour développer une méthode algorithmique permettant de trouver une disposition de tous ces noms.
Vous trouverez tous les détails de son travail sur l'article de son blog, intitulé All the names. Les férus de datavizualisation ou d'algorithmes complexes le trouveront passionnant.
Pour ma part, je trouve une étrange beauté à cette démarche : à la manière dont les mathématiques, dans ce projet, ont permis d'incarner, et donc de préserver, un tout petit peu plus du souvenir des vies de ces milliers de victimes.
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