lundi, octobre 08, 2012

Fiscalité des investissements : une question de politique industrielle

Le débat sur la loi de finances 2013 s'enlise dans des considérations de plus en plus politiciennes, voire dans une sorte de morale (où est le bon argent ? Le mauvais ? Le bon bénéfice ? Le mauvais ?). C'est dommage, pour une question qui devrait être avant tout industrielle...
Car la question centrale, il me semble, est de savoir si le "redressement productif" espéré pour la France est possible après une telle taxation des gens qui portent le risque d'innovation, qu'ils soient entrepreneurs, salariés de startups ou ceux qui financent cette prise de risque et cette croissance.

Peut-on surmonter le choc fiscal qui se prépare sans un surcroît d'innovation et donc sans un surcroît d'audace et de prise de risque ?
Je ne le pense pas. 
Et c'est pourquoi il y a maintenant urgence à poser le débat dans les seuls termes qui comptent vraiment sur cette question : les termes de la politique industrielle.


Différentes études, que connaît bien le ministère du redressement productif, montrent que les entreprises bénéficiant d'apports en capitaux et en expertise des business angels et fonds d'investissements ont des taux de croissance en emplois environ 50% supérieurs aux autres PME. Si l'on considère en outre que ces entreprises très petites (unipersonnelles, auto-entrepreneurs, etc) ont une productivité moindre que les entreprises de taille plus importante (car la productivité connaît des effets d'échelle), on commence à deviner l'impact de cette forme de financement. 
Or, si nous avons trois fois moins d'entreprises moyennes que l'Allemagne (ce qu'on nous a tellement rappelé pendant la campagne présidentielle), nous avons aussi deux fois plus de très petites entreprises que notre voisin. C'est là le problème de notre système économique : comment faire grossir ces très petites entreprises.



Bien sûr, il y a une politique d'aide aux PME dans ce pays. Statut de JEI, Crédit d'impôts recherche, Pôles de compétitivité, Oséo jouent un rôle essentiel. Mais je ne vois pas comment, sans capital-risque, il sera possible d'encourager la "grande innovation", celle qui assume de développer une innovation, à perte, pendant un ou deux ans, sans être certain qu'il y aura des recettes. Celle, précisément, qui a permis l'émergence de Google, de Facebook et autres géants du numérique dont on nous rebat les oreilles.
Et à ce sujet, la situation est très préoccupante. Je l'ai déjà dit : les Etats-Unis auront investi en 2012 pas moins de 29 milliards de dollars en venture capital (le "capital-risque", là bas, s'appelle "capital aventure", c'est comme ça) sans compter les autres formes de financement. Tous les chiffres sont . 29 milliards de dollars, c'est 500 fois plus que la France (je ne comptabilise pas les FCPI et FCPR, qui ne sont pas précisément des investissements à risque, mais des véhicules de financement de l'innovation conçus pour protéger l'investisseur). Une telle différence aurait presque pu être une chance : je pense que nous étions en train d'approcher du moment où une partie de cet argent aurait pu s'orienter vers l'Europe : trop peu de bons projets là bas, et des projets très solides ici. Cela va devenir au contraire une malédiction. Sans cette forme très particulière d'investissement, il est impossible de dimensionner correctement des projets réellement disruptifs. Si nous perdons le capital-risque, nous ne pouvons espérer aucun leadership dans l'économie d'Internet.

C'est d'ailleurs pour cela que tous les grands pays industrialisés ont des programmes 
très significatifs d'aide aux investisseurs (angel ou capital-risque). Sans prétendre être exhaustif, je noterai par exemple par exemple :
- des programmes d'exonération totale ou partielle des gains : Etats-Unis (Gains of the sales of Small Business stock, 1993 - Small Business 15Y exemption, 1999 - Small Business Jobs Act, 2010), Canada (Exonération cumulative des gains en capital, 2007), Japon (Angel Tax System, 2008), Australie (il y en a trop, regardez par vous-mêmes sur ce site), Royaume-Uni (Capital Gain exemption, 1994), Suède (Exemption du gain en capital, 2005). Vous noterez d'ailleurs que ces programmes coïncident bien souvent avec des administrations démocrates ou travaillistes...
- des programmes d'exonération des sommes réinvesties : Autralie (Small Business Rollover, 1999), Canada (Capital gain deferral for Small business investments, 2007), Etats-Unis (Rollover of gains on qualified Small Business Stocks, 1993), Italie (exemption d'impôts des gains réinvestis, 2009), Royaume Uni (Capital Gain Tax deferral Relief, 1994).
- des dispositifs encore plus audacieux qui proposent de larges couvertures des pertes. J'avais déjà mentionné ici l'exemple Israélien, mais nous pourrions mentionner également : le Canada (programme de déduction des pertes, 2000), les Etats-Unis (Losses on Section 1244, 1993), le Royaume-Uni (Share loss relief, 1994) ou encore Singapour (Entreprise Investment Incentive, 2003).

Avant toute décision d'ordre fiscal, c'est sur la manière de tenir tête à ces écosystèmes ultra-créatifs que nous devons nous accorder. Et si l'on me répond que la loi de finance 2013 a besoin de ces recettes supplémentaires, je me permettrai de répondre ceci : avec une telle mesure, vous supprimerez des recettes pour les dix années à venir, et ce, dès 2013.


2 commentaires:

  1. En tant qu'entrepreneur, je souscris entièrement à votre analyse. Il me semble malheureusement que notre classe politique, dans son immense majorité, ne comprend rien à la notion de 'risque' ou 'd'aventure' industrielle. Trop nourris au biberon du colbertisme, ils sont malheureusement ignares en matière de politique industrielle et totalement dépassés quand il s'agit d'en déterminer les leviers efficaces de développement. Et nous tous entrepreneurs, voyons bien que c'est décourageant d'en faire même la pédagogie, ils sont tellement loin de la réalité ....
    Je vous suggère de 'taper plus fort' en matière de communication. Et de dire les choses sans détour. Ce qui se passe actuellement n'est pas simplement idiot, c'est gravissime : pour prendre une métaphore agricole, sous l'urgence budgétaire, on veut tout bonnement manger les semences au lieu de laisser semer et se préparer à prélever sur les récoltes futures. On va rendre le champ définitivement aride pour nos enfants.

    Je vous rappelle en forme de clin d'oeil, l'article 14 de la constitution des Droits de l'Homme et Du Citoyen, celle dont nous sommes si fiers en tant que français (ça date de 1789 ...) :

    Art. 14. -

    Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

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