dimanche, mai 12, 2013

La Maison Blanche lance la deuxième étape de sa politique d'open data

Jeudi 9 mai, la Maison Blanche a lancé la deuxième phase de sa politique d'open data.


A l'occasion de la visite d'un incubateur d'entreprises à Austin, le Président Barack Obama, convaincu que "les données sont une ressource dont la valeur croît d'autant plus qu'elle est aisément accessible par le public" a annoncé un ensemble de mesures destinées à accélérer la politique d'open data. On se rappelle que le Mémorandum sur la transparence et l'open gouvernement avait été la première décision signée par Obama après sa prise de fonctions en 2009...

Ces annonces nouvelles s'inscrivent dans une triple ambition : "Le gouvernement ouvert renforce notre démocratie, favorise le développement de meilleurs services au public et contribue à la croissance économique". La montée en puissance des deux thématiques de la modernisation de l'action publique et du soutien à la recherche et à la croissance économique, qui étaient peu présentes dans le mémorandum sur la transparence et l'open gouvernement de janvier 2009, est intéressante. Elle caractérisait déjà la feuille de route du gouvernement français, publiée le 28 février dernier. Elle préfigure une réflexion sur les conditions permettant à l'ouverture des données d'avoir leur plein impact. La transparence, à elle seule, ne suffit pas...

Au coeur des annonces de la Maison blanche, un "ordre exécutif" d'une page intitulé "L'information publique devra être, par défaut, ouverte et lisible à la machine" (difficile de traduire littérairement et littéralement "Making Open and Machine Readable the New Default for Government Information"...)


Cet "executive order" récapitule tout d'abord la construction de la politique d'open data depuis les débuts de l'administration Obama, et notamment les grands textes fondateurs :
La Maison Blanche éprouve aujourd'hui le besoin de reprendre solennellement la parole sur cette thématique, et de relancer la politique d'open data. Ce besoin s'explique simplement : sans engagement politique massif et durable, et sans travail sur les architectures techniques, le mouvement d'open data finit, partout, par s'essouffler. Le président américain décrète donc que désormais, toutes les informations produites par l'Etat doivent être par défaut ouvertes et "machine readable" et que cette option devra en particulier guider toute conception de nouveau système d'informations ou toute actualisation d'un ancien système. 

Nous avons également repéré, en France, cette nécessité de reprendre la question de l'open data au niveau de la conception des systèmes d'information. J'ajouterai d'ailleurs, nous y viendrons tous, qu'il ne suffira pas de concevoir l'open data par défaut dans les systèmes d'information. Il faudra également se pencher sur la conception même des politiques publiques et intégrer la culture de la "data driven strategy" dans l'acte politique lui-même... Notre histoire n'est encore que naissante...

Toute cette impulsion revendique fortement les succès constatés après l'ouverture des données météorologiques, le partage avec les applications civiles du réseau GPS, et le très intéressant programme sur les données de santé, intitulé Health data initiative.






Les thématiques du respect de la vie privée, ou de la sécurité de la Nation, font une apparition très nette dans cet "executive order". "Government information shall be managed as an asset throughout its life cycle to promote interoperability and openness, and, wherever possible and legally permissible, to ensure that data are released to the public in ways that make the data easy to find, accessible, and usable. In making this the new default state, executive departments and agencies (agencies) shall ensure that they safeguard individual privacy, confidentiality, and national security."

Concrètement, cet executive order lance une solide stratégie administrative :
  • Il charge le "Director of the Office of Management and Budget (OMB)de publier une stratégie nationale et de la mettre à jour aussi souvent que nécessaire...
  • Toutes les "agences" doivent implémenter cette stratégie en veillant au respect de la sécurité et de la vie privée ( "It is vital that agencies not release information if doing so would violate any law or policy, or jeopardize privacy, confidentiality, or national security")
  • Le CIO et CTO de l'Etat ont trente jour pour mettre à disposition de toutes les agences et administrations tous les outils et tous les exemples de bonnes pratiques dont ils disposent.
  • L'administration a 90 jours pour adapter la politique d'achats publics et de d'octroi de subventions à cette priorité de transparence ;
  • Le "Chief performance officer" a 90 jours pour proposer une stratégie coordonnée avec des objectifs quantifiables et des moyens de mesure des progrès...
Puis, comme si quelques craintes s'étaient exprimées quant aux conséquences de ces positions radicales, l'ordre exécutif s'achève par de nombreuses précautions pour bien préciser que cet ordre ne bouleverse pas les lois applicables ou les responsabilités des directeurs d'agences...

Le "State CIO" et le "State CTO" ont d'ailleurs présenté cet executive order en vidéo :



Le même jour, la Maison blanche a publié la première version de l'Open Data Policy. Un document de 12 pages qui permet à la fois de traduire l'ambition du gouvernement ouvert dans le vocabulaire administratif américain, de poser enfin rigoureusement un certain nombre de définitions. Il promet un certain nombre d'innovations, dont l'implication des citoyens dans la recherche des données méritant l'ouverture.

Enfin, en parallèle avec ces annonces, l'administration Obama annonçait différentes mesures :
- un nouveau data.gov qui mettra plus l'accent sur les datavisualisations, et sur les outils de contextualisation notamment géographique (mais, à ma connaissance, pas de processus de #CoDesign de ce nouveau site...) ;
- la diffusion par le CIO et le CTO de l'Etat de nouveaux outils, en open source, sur GitHub, pour accélérer la réutilisation des données ;
- un engagement plus marqué avec les entrepreneurs, notamment grâce au programme des "White House Innovation Fellows".

Il est passionnant de voir se dérouler cette stratégie outre-Atlantique. En termes d'analyse de la révolution de la donnée, de ses conséquences sociétales, et de ce que peut donner le gouvernement ouvert, nous n'avons d'ailleurs pas à rougir. Sans doute en revanche avons-nous en revanche de plus fortes réticences administratives, ici ou là, et une difficulté à traduire ces visions issues de la révolution numérique dans un registre pleinement politique. Ce que Nicolas Colin et moi-même appelons la "Valley politic", un ensemble de visions, de propos, de réflexes et de valeurs qui proviennent en particulier de la place éminente que la Silicon Valley a pris dans le financement, puis dans l'agenda, du parti démocrate.


C'est sur la suite du programme que nous risquons peut-être de prendre un peu de retard. Derrière cette stratégie d'ouverture des données publiques, se profile en effet le mouvement du smart disclosure dont je parlais déjà en octobre, et qu'illustrent parfaitement les projets de Blue button, Green button, etc. Ce mouvement est d'ailleurs arrivé en France grâce à l'initiative d'une banque : le Crédit agricole, et son "CA-store".

Le "smart disclosure", c'est la transmission à un particulier de données personnelles le concernant, dans un format lui permettant de les transmettre facilement à une application tierce. Ce mouvement prend de l'ampleur à Washington. En février dernier, sous l'impulsion notamment de Sophie Raseman, la Maison blanche ouvrait Data.gov / consumer, un App store d'applications personnelles. Et tout montre qu'il devrait s'amplifier sous peu, notamment avec des réflexions sur le "cloud personnel", comme celle que porte Doc Searls, et qui mériteraient un billet de blog à part entière...

5 commentaires:

  1. Merci Henri, pour cette mise à jour édifiante ! "machine readable data" pourrait (en partie) être traduit par "données structurées"

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  2. Intéressant éclairage, merci.

    Je serais très intéressé par une comparaison avec le suivi et les effets des politiques de libération de logiciel.

    Il me semble que les projets logiciel financés par de l'argent public (ou peut-être seuls les projets financés par des budgets fédéraux) doivent obligatoirement être publiés sous une licence à la BSD (libre non gauche d'auteur).

    Les effets d'une telle politique de «libération» ne sont pas nuls, mais très loin de ce qu'il me semble que l'on pourrait faire, notamment sur le plan des libertés. Faute d'une politique d'ensemble, on continue de se trimbaler des acteurs comme Apple et ses politiques ultra-restrictives et prédatrices de nos données, dont l'OS X et quantités d'autres logiciels essentiels dérivent pourtant de Darwin, *BSD et quantités d'autres projets biens communs informationnels...

    Je te sais conscient de l'écueil de l'autorisation de réutilisation inconditionnelle et irréfléchie. Il me semble intuitivement que son contournement passe par des politiques publiques d'ensemble plutôt que par des restrictions de ces possibilités.

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  3. sur l'aspect CoDesign de l'acte 2, il semble que ce soit désormais le cas : http://www.whitehouse.gov/blog/2013/05/16/introducing-project-open-data

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  4. "Ce que Nicolas Colin et moi-même appelons la "Valley politic", un ensemble de visions, de propos, de réflexes et de valeurs qui proviennent en particulier de la place éminente que la Silicon Valley a pris dans le financement, puis dans l'agenda, du parti démocrate.
    "

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  5. Il est tres interessant de relire votre billet a la lumiere de l'affaire Snowden ... en particulier l'introduction "les données sont une ressource dont la valeur croît d'autant plus qu'elle est aisément accessible par le public"

    Je ne sais pas si vous avez vu cette presentation de Joshua Robin (Mass DOT) a la conference Gov 2.0 de 2010 (http://www.youtube.com/watch?v=URmKRTU-hxQ), je crois qu'il serait bon de *vraiment* souligner qu'une politique d'Open Data ne peut reussir que si elle est soutenue par un ecosysteme de "developpeurs" (dont la relation avec le gouvernement Americain semble se compromettre d'affaire en affaire). Sans eux, l'open data, reste du "data". Cela bien sur introduit une contrainte de gouvernance presqu'impossible a mettre en oeuvre: comment s'assurer que les developpeurs reproduisent fidelement les donnees? (sans meme parler du gouvernement...).

    Pour ce qui est du "cloud personnel" je prefere nettement un modele ou le "cloud" est sur mon mobile et je choisis les informations que je partage avec different services. Cela me permet en particulier de ne jamais ou presque jamais partager mon identite.

    Il me semble qu'on avance un peu dans le brouillard, avec de belles idees, qui auront beaucoup de mal a survivre a la realite d'un monde dans lequel la donnee est plutot synonyme de manipulation.

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