vendredi, décembre 18, 2009

Education et numérique : une nouvelle alliance est-elle possible ?

L'informatique éducative est quasiment née avec l'informatique. Cela fait au moins 45 ans qu'existe une association internationale. Et cela fait au moins 25 ans qu'en France, des éditeurs précurseurs se mobilisent pour promouvoir ce levier de la réforme des pratiques d'éducation. Et pourtant...

Pourtant, malgré quelques très beaux succès, il est patent que les pratiques d'éducation n'ont pas tellement changé en France (ou dans le monde occidental). Un professeur de 1913 qui arriverait dans une classe d'aujourd'hui serait peut-être déconcerté un instant par les tenues des élèves et le tableau blanc interactif, mais il ne tarderait pas à retrouver ses repères. Le groupe classe, le programme officiel, la posture magistrale et solitaire, l'examen de sortie lui seraient bien familiers.



Entendons-nous bien. Je ne méconnais pas la diffusion des ordinateurs, les pratiques des enseignants pionniers, la contribution massive des professeurs à Wikipédia, Sesamath et autres sites de ressources en ligne. Je constate juste que l'organisation profonde (groupe classe, un seul prof par matière, des cours d'une heure, un même programme national, la pédagogie magistrale et frontale) est restée remarquablement stable.

Cette stabilité est bien étonnante. Il suffit pour s'en convaincre de songer à ce que vivrait un ouvrier de l'automobile de 1913 plo,gé dans une usine contemporaine. Un chirurgien de 1913 plongé dans un bloc opératoire. Ou un soldat de 1913 plongé sur un théâtre d'opérations militaires.

Les Rencontres Cap Digital, qui se sont tenues aujourd'hui, nous on conduit à interroger cette situation avec la communauté Education-Formation, et notamment dans une table ronde assez inédite puisqu'elle a rassemblé des enseignants et pédagogues, des éditeurs, des constructeurs, mais aussi un syndicat (SNUIPP), le président de la FCPE (Parents d'élèves), le CNDP et encore des représentants de l'Etat et de la Région Ile de France (merci à Jean-Baptiste Roger, conseiller TIC de Jean-Paul Huchon).

Il est rare que tous ces acteurs se réunissent, et plus rare ensemble qu'ils parlent ensemble. Cette session a clairement montré le désir profond d'un changement global des pratiques d'éducation, des relations au sein de cette communauté éducative élargie (incluant parents et territoires) et donc des outils. Mais elle a aussi montré la complexité du problème.

Ce qui est compliqué avec l'éducation, d'abord, c'est que tout le monde croit connaître, puisque tout le monde s'est assis un jour sur les bancs de l'école, et que pourtant personne ne voit le problème sous tous ses aspects, puisqu'il s'agit rien que moins que d'une politique, ayant "industrialisé" massivement la transmission de ce que la société juge essentiel auprès de ceux à qui nous tenons le plus : nos enfants.

De mon point de vue, l'éducation (je parle bien de la grande maison Education nationale), c'est d'abord un rêve et une promesse, au coeur de la République : accès au savoir, attention aux enfants de la République, égalité des chances et surtout transmission de ce qui nous est essentiel. C'est ce rêve qui pousse tant de gens, enseignants et autres professionnels, à se dévouer sans cesse dans des conditions de plus en plus difficiles.

Mais ce rêve est enchâssé dans une série de questions infiniment complexes :
- la question psychologique et pédagogique : apprendre, comprendre, maîtriser, transmettre... sont des choses  subtiles, difficiles, nuancées, qui mobilisent des aspects profonds et parfois mal compris de la nature humaine ;
- la question des savoirs : que faut-il transmettre, qu'est-ce qu'un savoir juste, fondé, libérateur ;
- la question des budgets et des équipements : avec une politique publique qui mobilise plus de 20 % du budget de l'Etat et qui ne dispose plus aujourd'hui de grandes marges de manoeuvre ;
- la politique publique : infiniment complexe, marquée par l'histoire, subissant à la fois le poids de son organisation interne et celui des choix de la société, de ce que la société attend de son système éducatif.
- et enfin seulement la question industrielle : comment s'organiser pour disposer des meilleurs outils et des meilleures ressources.

Vouloir isoler l'un de ces termes, c'est quasiment à coup sûr se vouer à l'échec. Vouloir les penser conjointement, c'est courir le risque de spéculer bien théoriquement et de se couper des réalités.

Il y aurait beaucoup à dire, donc, sur cette question de modernisation de l'éducation et d'utilisation du potentiel de transformation des TIC.
A commencer par s'interroger sur la supposée urgence de la "modernisation" puisqu'après tout, ce système ne fonctionne pas si mal alors même qu'on a bouleversé ses objectifs (il sélectionnait drastiquement, il accompagne massivement) et ses conditions de travail.

Il y aurait beaucoup à dire et j'y reviendrai dans ce blog.

Ce qui m'a frappé ce soir, c'est de voir combien tous ces acteurs semblaient dire la même chose (moderniser, diversifier les approches, s'ouvrir à de nouveaux acteurs) et ne disaient en fait pas la même chose (chacun partant d'un point de vue légitime et bien particulier).

C'est pourquoi je suis particulièrement heureux d'avoir entendu en fin de session un appel à une solide session de travail, d'une ou deux journées, rassemblant à nouveau ces mêmes responsables. Et que nous prenions enfin le temps de nous comprendre en profondeur et de rechercher quelques solides convictions partagées.

Rien que ceci serait un grand motif de fierté pour Cap Digital.

2 commentaires:

  1. Oui les questions sont complexes : psychologiques et pédagogiques, savoirs, budget, politiques, industrielles. Néanmoins il me semble aujourd'hui, pour ce qui concerne la formation initiale, que la dimension "posture" de l'enseignant dans son rapport au savoir (enchâssé dans le monde numérique) est surdéterminante. Si on poursuit dans la logique française actuelle de transformation des professeurs en répétiteurs préoccupés principalement du bouclage du programme, on va à la catastrophe. Ceci combiné à un manque de formation (initiale et continue) des profs sur les usages et les enjeux sociaux du numérique risque d'aggraver les fractures sociales et cognitives pré-existantes. Le déploiement du numérique et des réseaux qui doit être une chance, une opportunité de repenser la formation de "l'honnête homme" du XXI siècle - une des missions de l'EN - peut aussi accoucher du pire : l'aggravation de la fragmentation sociale. Repenser la place et le rôle du professeur, en tant que passeur, médiateur, vers une nouvelle citoyenneté me parait fondamental. Se donner les moyens de relever ce défi ne coûterait sans doute pas plus cher que les sommes dépensées dans des ENT centralisés qui ne servent pas à grand chose. Professeur, un métier qui s'apprend ...
    Jean-Paul Voisin

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  2. Pour comprendre les vrais enjeux de la formation du futur je te propose de faire un tour sur notre blog avec notamment le vainqueur des World IntraVerse Awards que j'ai eu le plaisir de remettre à "New Media Consortium" Larry Johnson inworld dans Second Life, et en realworld à son DG Europe à Londres...

    NMC c'est plus de 250 laboratoires de recherches de Bachelor, MSC, MBA, PhD et Post PhD nord-américains qui se fédèrent dans des programmes éducatifs et de recherche transverses dans Second Life... et oui pas mort le SL... bien au contraire.

    Imagine le comportement de cette jeune génération formée, éduquée et créatrice de valeur sur ces foyers numériques virtuels et 3D dans leur entreprise...

    http://b-r-ent.com/news/world-intraverse-awards-london-7-mai-09-live-second-life-et-trophees-loov#comment_1

    Avec les CCEF je pousse les pouvoirs publiques à en prendre conscience et à en mesurer l'ampleur...

    Have a look and let's discuss it next time we met !
    Cheers,
    Gilbert

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