lundi, janvier 25, 2010

Innover en 2010

On m'a demandé de rédiger l'entrée "Innovation" dans le Dictionnaire politique de l'Internet et du numérique. La contrainte était de rester sous les 5000 signes. Je serais très heureux d'avoir votre sentiment sur cette synthèse.

Innovation

L’innovation est une invention qui rencontre son public.
La découverte peut être technologique ou concerner une organisation, un procédé ou un service, elle peut provenir de la R&D ou de petites améliorations : elle ne devient innovation qu’en rencontrant son public. Elle implique donc une production et un marché et de ce fait une dimension collective, sensible au contexte politique, économique et social.




Innovation, croissance et compétitivité
L’innovation est le principal moteur de la performance économique. Ce constat – désormais consensus- a une longue histoire.
Jean-Baptiste Say (« l’entrepreneur ») ou Joseph Schumpeter (la « destruction créatrice ») sortirent d’une vision classique de l’économie comme ordre et harmonie. La victoire des Alliés en 1945, fondée sur une industrie militaire extraordinairement créative et performante, prouva la puissance de l’innovation planifiée et légitima une vision, par exemple, celle de la Rand Corporation. L’explosion de la personnalisation des offres et l’accélération des cycles de production, la migration des industries manufacturières vers les pays en développement font désormais de l’innovation la clé de la compétitivité et la planche de salut de l’Occident.
Ce constat partagé fonde des stratégies bien différentes : soutien à la recherche-développement, aux grands projets, aux écosystèmes de création, à la créativité ou à l’agilité des entreprises…


La révolution numérique
En moins de trois ans, 350 millions d’humains ont rejoint le réseau Facebook, redéfinissant les circuits d’information, inventant de nouveaux formats d’échanges, donnant naissance à trois monnaies et créant une plate-forme de services sans équivalent. Ce simple exemple donne la mesure des bouleversements techniques, économiques, politiques et sociaux de la révolution numérique. Il n’y a pas d’exemple de transformation aussi radicale et aussi rapide dans l’histoire.
Le réseau Internet, reliant déjà 1,5 milliards d’humains, et pénétrant désormais le monde physique (téléphone mobile, puces sans contact, géolocalisation, capteurs, senseurs, nouvelles interfaces), est la clé de cette révolution.
Internet, innovation majeure, marie deux secteurs puissamment créatifs : l’informatique et les télécommunications, dans un protocole simple, robuste et ouvert. Infrastructure d’innovation il permet au plus grand nombre un accès à des ressources techniques et des marchés inenvisageables jusqu’alors. Grâce à ses standards ouverts, son interopérabilité maximale, et sa neutralité à l’égard des contenus et des services, c’est enfin un puissant moteur d’innovation.
Au cours des dernières années, Internet a intégré de nouveaux flux d’innovations : transport, énergie, santé, urbanisme, domotique, design, nanotechnologies... Le numérique n’est plus un secteur industriel ; il a débuté une phase de synthèse créative, c’est-à-dire l’une de ces périodes, comme le fut la Renaissance, où la société intègre, marie et conjugue d’innombrables innovations pour aboutir à un nouvel équilibre entre sciences, arts, économie, politique et social.


Le nouveau contexte d’innovation
Cette nouvelle dynamique bouleverse, en retour, les stratégies et les politiques d’innovation. La création solitaire, ou l’innovation planifiée, laissent la place à l’innovation ascendante, ouverte, collaborative. Depuis quinze ans, aucune innovation de rupture dans les usages grand public n’est née dans une grande entreprise de technologie : le Web, Google la messagerie, les réseaux peer to peer, le web social sont issus de communautés d’utilisateurs, start-up, groupes d’activistes, de chercheurs ou d’artistes. En effet, le public, qui dispose désormais des technologies de pointe et du réseau Internet, est devenu le barycentre de l’innovation.
Quatre tendances caractérisent ce nouveau contexte :
-       innovation collaborative : le management de l’innovation doit sortir du modèle planifié et organisé vers la productivité pour stimuler et orienter un vaste potentiel créatif.
-       innovation ouverte : les stratégies d’innovation doivent chercher hors de l’institution, mettre en place des mécanismes de veille et de détection, fédérer les compétences, compter avec le hasard créatif (serendipité) et nouer de nouvelles alliances. Cette tendance culmine dans le crowdsourcing qui délègue l’innovation vers les utilisateurs.
-       écosystèmes de création : comme l’illustre la Silicon Valley, les dynamiques d’innovation dépendent des écosystèmes. La densité d’entreprises, de recherche, de financements et de talents, la vitalité entrepreneuriale, la force d’une vision partagée sont aujourd’hui le déterminant principal de la compétitivité économique.
-       innovation sociale : un vaste mouvement de pensée cherche à renforcer le rôle de la société civile dans les processus d’innovation comme dans leur mise en œuvre. Du microcrédit à l’éducation, il forge des formats et des méthodes qui sont au coeur du changement social, et donc économique.


Henri Verdier, Président du Pôle de compétitivité Cap Digital

13 commentaires:

  1. Lecture très stimulante, surtout le lundi matin ;-).
    Si je peux me permettre quelques commentaires sur les 4 tendances qui caractérisent le nouveau contexte. Il me semble qu'il y a une forme tension entre "l'innovation ouverte" / le crowdsourcing et les écosystèmes de création. La force du crowdsourcing est en effet l'ouverture vers une base d'utilisateurs très LARGE, c'est LA condition pour que le recours aux gens soit profitable. A l'inverse, un écosystème de création, comme celui cité, peut générer des innovations très centrées -de fait- sur la communauté qui les génère ce qui pourrait donner l'illusion qu'une innovation rencontre son public certes, mais pas forcément un succès c'est à dire une diffusion massive qui entraine des changements (bouleversements ?) dans la société.

    Sur la définition "une innovation est une invention qui rencontre son succès" je trouve
    le "rencontre son succès" très contemporain presque trop pour le Dictionnaire politique de l'Internet et du numérique. On entend souvent cette expression pour un film qui n'a pas marché...je n'ai ceci dit rien de mieux à proposer.

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  2. D'accord avec la tension que vous évoquez. Mais les tensions sont souvent créatrices...

    J'ai dit "qui rencontre son public". Il fallait une formule très concise our dire qu'une innovation entre dans les usages, suscite une pratique et modifie un état antérieur de l'existant.

    J'aime beaucoup la définition de Wikipédia en anglais : Innovation is a new way of doing something or "new stuff that is made useful"

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  3. Bonjour,

    Effectivement, billet plaisant à lire. Quelques remarques ...

    "et légitima une vision, par exemple, celle de la Rand Corporation." Quelle est cette vision ?

    "Elle implique donc une production et un marché" - Est ce que le terme "marché" ne serait pas un peu trop ... mercantile. Est-ce qu'une innovation doit forcément être marchande ? Est-que le terme "public" ne serait pas plus approprié ?

    Voilà pour le détail.

    Pour la partie "La révolution numérique", j'aurais certainement fait une parallèle entre Internet, l'écriture, l'imprimerie, la scolarisation obligatoire, le travail des femmes. Toutes ces avancées ont en commun de favoriser de façon majeure l'accès à la connaissance, d'effrayer les puissants et de libérer une énorme puissance créatrice.

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  4. Article remarquable

    Je crois que j'ajouterai quelques lignes sur le financement de l'innovation, ou plus généralement sur le cadre culturo-socio-économique-financier qui favorise l'innovation (la vallée et ses vc et sa culture est bcp plus efficace pour produire de l'innovation)
    -par contre la France a le génie de l'innovation gastronomique: pourquoi ?

    pourquoi la culture française pousse plus à l'invention qu'à l'innovation ?

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  5. @ Paul Etienney

    la Rand Corporation (Research ANd Development) est un Think Tank créé en 1945 par l'US Navy, indépendant depuis 1948, qui publie le prestigieux "Rand Journal of Economics". C'est une institution remarquable, mais très orientée vers l'innovation planifiée. Elle nous a notamment infligé tous les schéma de processus d'innovation qui ont envahi les manuels de management et de stratégie d'entreprises.

    Sur le marché, je suis d'accord, et là aussi j'ai du couper pour entrer dans le format. Je parle de marché au sens théorique, comme lieu de rencontre et d'articulation d'une offre et d'une demande. Il ne s'agit pas uniquement de marché monétisé. Rien de mercantile dans mon propos.

    @Anonyme. Certes. Notre système éducatif et culturel valorise outrancièrement la performance intellectuelle pure, et manque parfois de pragmatisme.

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  6. l'innovation à l'époque de Schumpeter avait ce coté destruction créatrice
    parce qu'une nouveauté prenait la place d'une vieille chose (l'électricité à la place de la bougie)

    alors que avec internet on a l'impression que des espaces nouveaux s'ouvrent

    google et Facebook font souffrir quelques industries classiques (la pub, les médias,..)

    mais surtout ils ouvrent des fonctions créent des espaces , des mondes, qui n'existaient pas avant

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  7. @Anonyme

    Internet ouvre des espaces nouveaux mais est également très destructeur. Sincèrement à y penser je ne vois pas de technologie plus destructrice. L'exemple le plus récent que j'ai en tête est Google qui a oblitéré le marché du GPS en un communiqué de presse à propos de son Google Navigation.
    J'ai beau m'y frotter tout les jours, Internet me fascine toujours.


    Tiens dans mon commentaire précédent j'ai écrit "Travail des femmes" alors que je pensais "Education des femmes".

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  8. La première définition de l'innovation parle d'une innovation qui a déjà un peu de bouteille, puisqu'elle a commencé à se frotter à un marché.

    Je préfère une définition plus en amont encore : L'innovation est une transformation qui lance un défi sur la manière dont nous faisons les choses.

    Complétée par : L'innovation est l'exploitation réussie d'idées, qui fait preuve à la fois d'inventivité et de perspicacité, et qui crée de la valeur sociale ou économique.

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  9. On pense internet lorsque l'on pense à l'innovation, mais il me semble que le mobile et le consumer electronics sont des innovations tout aussi importantes. Le Consumer Electronics (dans les années 70) car il a permis la généralisation des ordinateurs et infine de l'internet, ainsi que des baladeurs... des mobiles. Le mobile car il concerne plus du double d'individus sur terre que l'internet, avec des gains de productivité et des ruptures en terme économique extremement puissants.

    On peut contester que l'innovation soit une invention. "New Stuff" ne veut pas dire invention. L'Ipod est un New Stuff génial qui comprend très peu d'inventions en soi. Le MP3 existait depuis plusieurs années quand il est sorti. Le genie consiste en une simplification, un design et un format commercial nouveau.

    Je suis tout à fait d'accord sur le fait que cela doit rencontrer son marché pour être impactant. A noter que la date de la nouveauté et sa rencontre avec le public peut être eloignée de plusieurs dizaines d'années.

    Au total j'aime bien "l'exploitation réussie d'idées" d'@AymerycPM.

    Concernant "L’innovation est le principal moteur de la performance économique", je pense qu'il faut préciser "sur le moyen et long terme" : aucune des 10 plus fortes hausses du CAC dans les 12 derniers mois (de Renault à LVMH) n'a fait la plus petite innovation qui me vienne à l'esprit.

    Les 2 plus fortes hausses du CAC dans les 5 dernières années sont effectivement des sociétés très innovantes mais dans des domaines qui en disent long sur notre tissu economique (il s'agit d'Alstom et Vallourec).

    Sur Google, le paradoxe est que c'est devenu une grande entreprise, et qui reste à la pointe de l'innovation, en sachant intégrer (acheter) et stimuler ses collaborateurs(les 20%).

    Sur les différents formats d'innovation, ma comprehension est que l'innovation collaborative est une des sous-catégories de l'Open Innovation, et je citerai également la LEAN Innovation est aussi clé (au départ dans l'industrie mais maintenant dans les services)

    Article très utile par ailleurs

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  10. @JFC : Je reprends beaucoup de tes commentaires à mon compte.

    Quelques ppoints cependant :

    1- je définis Internet comme le croisement, fécond, des télécommunications et de l'informatique. Je veux bien y ajouter consumer elctronic. Là dessus, nous sommes d'accord.

    2- Sur l'exemple IPod : OK. J'aurais du insister aussi sur les innovations de design, comme sur les innovations marketing. Dont acte. Je pense que "new stuff" s'oppose à "new Idea" et exige de ce fait une chaîne de production et un marché. Un bricolage maison n'est pas une innovation. Innovation veut dire introduction de quelque chose de neuf dans un équilibre ancien.

    3- Je ne dis pas que les grandes entreprises n'innovent pas. je dis que les anciennes entreprises d'informatique ou d'IT n'ont pas porté les innovations qui ont fait le monde Internet.

    4- Une croissance de la valorisation boursière, surtout sur ces derniers mois, est surtout le signe d'un changement d'attitude des marchés. Ca ne correspond pas forcément à quelque chose de très objectif...

    3

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  11. @JFC Autre commentaire : Renault ou LVMH sont par ailleurs des entreprises extrêmement innovantes dans leur capacité à développer de nouveaux modèles, à suivre les tendances sociétales à à bouleverser leurs codes marketing.

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  12. Hello Henri,

    Un bon exercice que d'écrire en 5000 signes sur le sujet. Tellement à dire... Pour la question "innovation sociale", c'est bien effectivement de souligner la notion "d'empowerment".

    Sinon une citation du Palais de Cristal de Peter Sloterdijk que je viens de finir :

    p.98

    « L'unique slogan fort de désinhibition, qui, après le pâlissement des idéologies, ouvre dans le monde entier le passage vers la pratique, porte aujourd'hui, en bref, le nom d'innovation. Rares sont ceux qui ont conscience du fait que l'on présente ainsi un palier de réduction des anciennes 'lois de l'histoire'. Depuis que l'Homme Nouveau a été éliminé du marché lors d'une grand opération de rappel, les nouveautés techniques, les nouveautés de procédé et les nouveautés de design constituent les plus puissantes attractions pour tous ceux qui restent condamnés à demander : que faire pour arriver au sommet ? Celui qui innove peut en être certain : à n'importe quel moment, la maxime de son action pourrait être le principe d'une legislation universelle. »

    Bonne soirée
    Ewen

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  13. Ca me revient, il me semble que dans un bouquin de Schumpeter l'innovation est définie comme "le moment de la réalisation de nouvelles combinaisons". Peut-être un peu abstrait mais c'est pas mal non plus, non?

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