samedi, juin 25, 2011

Antonio Negri, le travail immatériel et la Révolution numérique

Je suis heureux de partager avec vous une réflexion vigoureuse qui vient brillamment éclairer les expériences que nous venons de vivre pendant les dix journées de Futur en Seine.


Je n'avais pas encore lu Toni Negri, l'auteur du monumental Empire,  l'un des papes de l'altermondialisme, dont Peter Sloterdijk fait quelques citations remarquables. J'avais remarqué qu'il était proche de Yann Moulier Boutang dont l'intervention m'avait marqué, mais je ne m'y étais pas vraiment plongé.


Aussi, quand j'ai découvert la réédition par l'Herne de certaines de ses conférences, sous le titre Traversées de l'Empire, j'ai décidé que c'était une bonne occasion de combler cette lacune.

Au milieu de cet ouvrage, qui est plutôt un texte de philosophie politique, d'influence marxiste, à l'heure où la classe ouvrière est devenue multitude et où le pouvoir se fait impérial, j'ai trouvé un passage extrait d'une conférence donnée par Toni Negri et Michael Hardt (le co-auteur d'Empire, en 2004), à la East China Normal University de Shangaï et à la Tsinghua University de Benjing, sous le titre "Une politique post-socialiste dans l'Empire".


Ce passage éclaire tellement la transformation numérique en cours que je ne résiste pas à en partager ici quelques extraits :



Pour nous, une hégémonie de la production immatérielle est en train d'apparaître par rapport aux autres formes de production, et se substitue à la vieille hégémonie de la production industrielle. 
Dans tous les systèmes économiques coexistent les unes à côté des autres de très nombreuses formes de travail, mais il y a toujours une figure du travail qui exerce son hégémonie sur les autres. Cette figure économique fonctionne comme une sorte de tourbillon qui transforme peu à peu toutes les autres afin qu'elles présentent à leur tour ses propres qualités. La figure hégémonique n'est pas dominante en termes quantitatifs mais dans la mesure où elle possède le pouvoir de transformer les autres.(...)  
Dans la dernière décennie du XXe Siècle, le travail industriel a perdu son hégémonie, et c'est le "travail immatériel" qui a émergé à sa place, c'est-à-dire le travail qui crée des produits immatériels : le savoir, l'information, la communication, les relations linguistiques ou émotives. (...) 
Le travail immatériel peut être pensé sous deux formes principales (...) : 
- le travail défini comme intellectuel ou linguistique (...)   
- le travail affectif [qui] produit ou manipule des affects comme se sentir à son aise, être en forme, être satisfait, excité, éprouver de la passion. (...) 
Quand nous soutenons que, du point de vue de la tendance, le travail immatériel est en train de prendre un rôle hégémonique, nous ne voulons pas dire qu'aujourd'hui, la majorité des travailleurs dans le onde génère des produits immatériels. Au contraire, le travail agricole est encore prévalent - comme il l'a été pendant des siècles - (...). Le travail immatériel est aujourd'hui dans la position du travail industriel il y a cent-cinquante ans - quand ce dernier concernait une petite partie de la production globale concentrée dans une petite partie du monde, mais qu'il exerçait en réalité son hégémonie sur toutes les autres formes de production. C'est à cette époque que la totalité des formes du travail et de la société ont du s'industrialiser. Aujourd'hui, le travail et la société doivent s'informatiser, devenir intelligents, communicatifs et affectifs. (...) 
Il serait plus juste d'appeler cette nouvelle forme hégémonique du travail de "travail biopolitique", c'est-à-dire un travail qui ne produit pas seulement des objets matériels mais aussi des relations et de la vie sociale. (...) 
Nous devons aussi reconnaître  que l'hégémonie du travail immatériel implique une expansion très forte de la socialisation du travail et qu'elle fournit des bases nouvelles pour l'organisation autonome du travail. D'un certain point de vue, le travail immatériel a un rapport différent - plus intime - avec la coopération que les précédentes formes du travail. La création de coopération, de communication et de collaboration fait partie intégrante du processus de production ; et elle est entièrement entre les mains des sujets qui travaillent. 
(...) Le travail immatériel est différent des autres formes de travail dans la mesure où ses propres produits sont à bien des égards immédiatement sociaux et communs.   
Produire de la communication, des relations affectives et des savoirs, et non pas des automobiles ou des machines à écrire, peut directement augmenter la richesse de ce que nous mettons en commun et partageons. Dans les deux cas, la production devient plus directement - et plus clairement - une production de subjectivité, une production de la société elle-même. 

3 commentaires:

  1. Si la figure du travail industriel a une cohérence (la division du travail, la chaîne, l'usine, Chaplin dans les "les temps modernes"), celle du travail immatériel n'en a aucune.

    La musique, la recherche, les administrations, le droit , l'enseignement, l'informatique ne relèvent pas d'une figure commune du travail.

    Il y a bien une figure, selon moi, qui prend le relais du travail industriel : c'est le travail logiciel ; la conception de programmes et leur écriture.

    Cette figure attend d'ailleurs le Chaplin qui l'immortalisera.

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  2. C'est pour cela que : 1/ le web doit rester neutre. 2/ le droit d'auteur doit être entièrement repensé

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  3. Yann Moulier Boutang est celui qui, alors que je lui adressais mais doute à propos de la constitution européenne dont il était l'ardent défenseur, mettais en avant comme argument massue l'éclatante réussite de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne.
    En même temps qu'il se moquait de la remarque à propos des billets en €uro (seule monnaie au monde sur laquelle ne figure aucun être vivant.

    Negri ne gagne pas vraiment dans ce rapprochement
    d'autant que YMB semble avoir pris ses distances avec ce que décrit Negri du capitalisme cognitif.

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