La blogosphère et la twittosphère bruissent d'un article récemment publié dans la Physical Review, intitulé Social consensus through the influence of committed minorities.
En fait, plus que l'article lui-même, c'est le communiqué de presse qui l'accompagne qui a lancé le buzz (plus de 80.000 occurrences au bout de deux semaines). Intitulé Minority rules: Scientists discover tipping point for the spread of ideas, il suggère que l'étude aurait mis en évidence un point d'inflexion constant : quand une conviction devient partagée par 10 % de la population, elle est très rapidement adoptée par l'ensemble de la population.
Cette idée de tipping point, d'un certain point de vue et dans certaines circonstances, rencontre le sens commun. Elle est sans doute très prédictive pour certains phénomènes de mode. On imagine bien que c'est comme ça que certaines destinations touristiques deviennent tout d'un coup incontournables pour les Russes tandis que d'autres deviennent des must pour les Allemands.
On comprend donc le buzz, et on a envie d'en savoir un peu plus.
Je me suis donc un peu penché sur cet article. Je le trouve passionnant, mais pas du tout dans le sens où le communiqué de presse semble le suggérer. Une petite analyse s'impose.
La méthode
Contrairement à ce que semble relayer la blogosphère, cette étude n'analyse pas du tout les phénomènes d'opinion. C'est à la fois sa force et sa faiblesse.
Au contraire, les chercheurs ont construit des modèles théoriques dont ils ont testé ensuite les comportements et les conditions limites.
Le modèle part de l'idée que les gens aiment le consensus. Il construit donc un modèle dans lequel tout le monde parle à tout le monde et se comporte de la manière suivante : quand quelqu'un échange avec quelqu'un qui a la même opinion que lui, il est conforté. Quand il rencontre quelqu'un qui n'a pas la même opinion, il est ébranlé et va demander l'avis d'une autre personne. Si cette seconde personne lui dit la même chose, notre individu change d'avis et devient lui-même assez prosélyte. Je pense (l'article n'est pas clair) que les "true believers", eux, ne changent jamais d'avis.
En fait, plus que l'article lui-même, c'est le communiqué de presse qui l'accompagne qui a lancé le buzz (plus de 80.000 occurrences au bout de deux semaines). Intitulé Minority rules: Scientists discover tipping point for the spread of ideas, il suggère que l'étude aurait mis en évidence un point d'inflexion constant : quand une conviction devient partagée par 10 % de la population, elle est très rapidement adoptée par l'ensemble de la population.
Il n'est pas indifférent, je crois, de constater que le communiqué de presse provient du SNARC (Social Cognitive Networks Academic Research Center) du Rensselaer Polytechnic Institute, et que celui-ci ait reçu une dotation de 16,75 millions de dollars de l'armée US pour étudier ces questions. Les Etats-Unis semblent tirer plus rapidement que nous les conséquences de leur mauvaise anticipation des révolutions arabes, et souhaitent se diter de solides outils d'analyse de l'opinion...
Le fund raising est un véritable art, de ce côté de l'Atlantique.
Le fund raising est un véritable art, de ce côté de l'Atlantique.
On comprend donc le buzz, et on a envie d'en savoir un peu plus.
Je me suis donc un peu penché sur cet article. Je le trouve passionnant, mais pas du tout dans le sens où le communiqué de presse semble le suggérer. Une petite analyse s'impose.
La méthode
Contrairement à ce que semble relayer la blogosphère, cette étude n'analyse pas du tout les phénomènes d'opinion. C'est à la fois sa force et sa faiblesse.
Au contraire, les chercheurs ont construit des modèles théoriques dont ils ont testé ensuite les comportements et les conditions limites.
Le modèle part de l'idée que les gens aiment le consensus. Il construit donc un modèle dans lequel tout le monde parle à tout le monde et se comporte de la manière suivante : quand quelqu'un échange avec quelqu'un qui a la même opinion que lui, il est conforté. Quand il rencontre quelqu'un qui n'a pas la même opinion, il est ébranlé et va demander l'avis d'une autre personne. Si cette seconde personne lui dit la même chose, notre individu change d'avis et devient lui-même assez prosélyte. Je pense (l'article n'est pas clair) que les "true believers", eux, ne changent jamais d'avis.
Résultats
Ce qui est intéressant, c'est que ce modèle a été testé sur de très nombreux types de graphes (graphes très denses, graphes peu denses, graphes avec des noeuds très hétérogènes) et qu'il aboutit toujours à la même conclusion : tant qu'on a moins de 10 % de la population qui partage une opinion, le système reste stable très longtemps. Les croyants peuvent convertir leur entourage, mais pas les autres. Au delà d'un seuil qui est environ de 10 %, au contraire, la bascule s'effectue et l'ensemble de la population se convertir en un clin d'oeil.
D'où le slogan qui sert de titre à l'article, et d'où l'idée (qui était instinctivement celle des terroristes anarchistes ou de Che Guevara en Bolivie) selon laquelle une avant-garde déterminée peut faire changer tout une population.
Grosses limites et vraie trouvaille
Il y a bien sûr un tas de limites à ce modèle. L'une d'entre elles est bien décrite par les auteurs de l'article : ils ont modélisé la propagation d'une idée neuve dans une population indifférente, et non pas la lutte de deux idées antagonistes, ce qui se passe par exemple dans le combat électoral.
Je pense d'ailleurs qu'il y a des limites encore plus fortes à ce modèle, liées à l'espèce de représentation de l'opinion comme un continuum d'acteurs.
Ceux qui ont lu le célèbre texte de Bourdieu, L'Opinion publique, ça n'existe pas, verront immédiatement certaines objections. Les individus ne sont pas égaux devant l'opinion. Les questions qu'ils se posent ne sont pas les mêmes. les informations auxquelles ils ont acès non plus. Ni le sentiment qu'ils ont de l'importance de leur propre opinion. Ni leur leadership.
On pourrait ajouter qu'une opinion publique est faite d'un empilement de réseaux. Que les conversations de bistrot se superposent au web social qui doit cohabiter avec les médias traditionnels. Qu'il y a des moments et des situations où la conversion est plus facile, comme le savent bien les islamistes qui s'acharnent à travailler sur les prisons.
On pourrait souligner aussi qu'il est bien difficile de savoir si un tissu social est homogène ou pas. Il est des adresses ou des destinations dont on ne parle que dans certains cercles.
Bref, il existe une sociologie, et le modèle proposé n'en contient aucune.
Il y a cependant un résultat contre-intuitif et intéressant dans cette étude. Et sincèrement, je ne m'y attendais pas : l'effet du tipping point est totalement indifférent à la structure du graphe et à la distribution initiale des vrais croyants.
En d'autres termes, que tous les points soient reliés entre eux ou que le graphe soit très creux, que les "vrais croyants" soient également répartis ou soient très concentrés au début, le tipping point ne change pas.
Amusant quand on pense aux efforts qui sont déployés par certains pour chercher de supposés influenceurs qui seraient indispensables à la formation de l'opinion...
merci Henri, je suis allé chercher la publi, elle est ici : http://arxiv.org/pdf/1102.3931v2 mais pas encore eu le temps de la lire. (même si dans l'intro, j'ai eu le temps de lire " We conclude with simulation results ", et ce serait dommage s'ils n'ont pas essayé de montrer d'autres résultats appliqués.
RépondreSupprimerD'autre part, je me demande ce qu'il se passe quand on a simultanément une partie un peu supérieure à 10% de la population qui pense que P est vraie, et une autre partie supérieure à 10% qui pense que non P est aussi vraie...
Enfin, 10%, religion : avec plus de 10% d'athée par exemple, comment se fait il qu'il reste des religieux (ou des théïstes chrétiens, ...). De même pour une conduite "intelligente au volant" : pourquoi trouve-t-on encore beaucoup d'imbécile sur la route ?
Sans vouloir doucher votre optimisme quant à ces résultats, je les trouve pour ma part fondé sur des hypothèses très limitées, et donc assez peu intéressants.
RépondreSupprimerEn effet, le résultat contre intuitif qui semble vous intéresser, n'a de sens que dans le temps. Or le temps n'est pas neutre. Les acteurs vivent et meurent. Par ailleurs l'imperméabilité du résultat à la structure du nuage et des réseaux dépend de leur permanence. Là encore, votre intuition est probablement la bonne: les réseaux ne sont mas non plus inertes. L'étude prévoit d'ailleurs qu'uen rencontre potentiellement convertissante amène nécessairement une nouvelle exposition.
Enfin, vous touchez du doigt la véritable limite de ce modèle en vous posant la question de l'opinion des "true believers", mais vous n'allez pas assez loin. En effet, il est non seulement sous-entendu que les "true believers" ne changent jamais d'opinion (sinon, le mécanisme tend très rapidement vers l'élimination de cette tendance) mais de surcroit les "new believers" acquierent automatiquement les caractéristiques des premiers, alors que ce n'est pas le cas des non croyants qu'ils rencontrent, sinon ils seraient à leur tour convertis avant de pouvoir essaimer.
Tout phénomène présentant une versatilité ainsi à sens unique, même s'il peut y avoir un degré (une seule rencontre ne suffit pas à convertir, on pourrait généraliser en disant que n rencontres consécutives sont nécessaires à convertir, et à l'infini de temps on aboutirait encore au même résultat).
P.S.: en fait de "Tipping Point", le livre de Malcolm Gladwell qui a connu un certain succès n'était pas dénué d'intérêt.
Un autre point qui m'a interpelé: la transcription de l'hypothèse de la recherche d'un consensus. En soi, cette première hypothèse est tout à fait contestable, mais si on l'accepte, que dire d'un consensus qui serait réalisé en creux?
RépondreSupprimerIl n'y a que deux possibilités: ou les non convaincus n'ont pas d'opinion ou ils en ont une concurrente de celle étudiée. Dans le cas où la population est totalement indemne de position, un consensus peut se former ainsi, mais sinon, comme le dit Vincent Pinte Deregnaucourt, il est difficile d'accepter une hypothèse où seuls les porteurs de l'opinion étudiée ont une influence sur les autres.
C'est très restrictif comme hypothèse à mon sens.
Excellente analyse!
RépondreSupprimerMais on a froid dans le dos lorsqu'on considère que plus de 10% de la population du monde considère qu'un homme qui a des rapports sexuels avec une fille de 11 ans, même sous le couvert du mariage, n'est pas pédophile,et que un autre 10% des habitants de la planète Terre met sa main au feu en vous assurant que la femme vierge d'un menuisier impuissant a été engrossée par une colombe.
On vous précise, les yeux dans les yeux, que la dame en question n'a pas perdu son hymen, malgré l'accouchement.
Si la curiosité vous pousse à demander d'autres détails, on s'extasiera à loisir avant de vous informer que, en dépit de la qualité ornithologique du père, elle n'avait pas pondu d'un oeuf.
On conclura en liesse, vous révélant qu'elle a le droit d'être considéré comme la première astronaute de l'histoire du vol spatial ayant disparu dans le ciel, a cheval sur une colonne de feu et toujours vierge
Jacob Dellacqua