jeudi, mai 02, 2013

Questions et calculs sur les dettes publiques et la démographie en Europe

Je discutais récemment avec mon ami Maurice Ronai (dont je vous conseille l'excellent blog, Travaux Publics) quand nous avons commencé à nous interroger sur le sens des comparaisons entre les dettes européennes. On sait en effet que certains pays, comme l'Espagne ou l'Allemagne, ont connu une terrible chute de la fécondité, alors que d'autres, comme la France ou l'Angleterre, ont des taux de fécondité autour de deux enfants par femme.

La question n'est pas sans intérêt. Et pas seulement parce que nous savons, au moins depuis Alfred Sauvy, que les liens entre l'économie et la démographie sont nombreux et complexes. Elle est intéressante parce que la politique familiale française, dont nous nous enorgueillissons à juste titre représente chaque année un investissement de l'ordre de 100 milliards d'euros, un ordre de grandeur qui n'est pas si éloigné du montant annuel du déficit public (137 milliards en 2010, 98 milliards en 2012).

Nous nous demandions dans quelle mesure le fait de ne pas avoir à financer de politique familiale facilitait la réduction des déficits publics. Et pour répondre à cette question, nous sommes tombés sur une mine d'or : les statistiques économiques et démographiques européennes proposées par Eurostat.
Cette question et ces données publiques nous ont permis de lancer une petite enquête, que nous avons concentrée sur quatre pays, et dont voici les résultats.

En 2012, la situation de quatre grands pays européens était la suivante :

France  Allemagne Espagne Royaume-Uni
Population 2012 (millions d'hab.) 65 82 46 63
dette brute 2012 (millions d'euros) 1 833 810 2 166 278 883 873 1 700 081
déficit 2012 (millions d'euros) 98 196 - 4 090 111 641 120 604
nb enfant / femme 2,01 1,36 1,36 1,96


Premier constat : en 2012, les Allemands ne se sont pas endettés : ils ont même constaté un petit excédent des finances publiques. Ce n'est pas systématique : en 2010, au pic de leur plan de relance, les Allemands avaient constaté un déficit public de l'ordre de 100 milliards d'euros, quand la France était à 136 milliards d'euros. Mais les trajectoires des dettes nationales ont beaucoup divergé ces deux dernières années.
On voit aussi très vite la variété des situations économico-démographiques. Les dettes de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne sont d'ordres de grandeur équivalents. Les déficits de la France, de l'Espagne et du Royaume-Uni se ressemblent. Et les indices de fécondité nous présentent deux groupes de pays : France et Royaume-Uni vs Allemagne et Espagne...
Ces écarts de fécondité durant depuis quelques années, la structure démographique des quatre pays commence à diverger sérieusement : les moins de 25 ans représentent 31 % de la population de la France ou du Royaume-Uni, contre 24 % de la population de l'Allemagne et 25 % de la population espagnole.

Du coup, une première idée nous vient. Puisque ces dettes de long terme sont avant tout des dettes qui seront payées par les jeunes, que se passe-t-il si on les rapporte aux populations de moins de 25 ans ?

Cette question nous conduit à construire trois tableaux :

- le tableau de la dette brute dans les quatre pays :

- le tableau de la dette par habitant et de la dette par habitant de moins de 25 ans dans les quatre pays

- le tableau du déficit par habitant et du déficit par habitant de moins de 25 ans dans les quatre pays

Toujours pas de quoi se prononcer sur la question de la dette, mais de manière intéressante, on constate que si la France est le pays qui a la plus forte dette par habitant, c'est l'Allemagne qui a la plus forte dette par habitant de moins de 25 ans. Peut-être une raison supplémentaire pour être extrêmement vigilant sur les déficits...

De même, quand on regarde les déficits rapportés à la population jeune, on découvre que la France a le meilleur déficit par habitant de moins de 25 ans.

Ceci nous conduit à une nouvelle question : en conjuguant les deux paramètre, l'économie et la démographie, peut-on analyser la variation de la dette / habitant, et éventuellement la variation de la dette par habitant de moins de 25 ans. C'est ce que nous avons essayé, et qui nous a donné le résultat suivant :


Et c'est amusant, parce qu'avec ce calcul là, nous devenons presque l'un des meilleurs pays européens...

D'autant que nous n'avons toujours pas essayé d'estimer l'impact sur le déficit de cette politique familiale...
Puisque nous savons qu'elle nous coûte 100 milliards d'euros pour 833.000 naissances par an, et puisque nous savons que les Allemands ont 677.000 naissances par an, les Espagnols 485.000 et les Anglais 807.000, nous avons eu envie de calculer une estimation complètement approximative, et assumée comme telle... Si les politiques familiales avaient le même coût par enfant dans chacun des quatre pays, et si on acceptait de calculer le déficit net du coût de la politique familiale, que donnerait cette comparaison. Quelques téléchargements sur Eurostat, un détour par Excel, et nous trouverions le résultat suivant (calculé sur les chiffres 2010, année où l'Allemagne avait un déficit) :




Et si l'on fait peser ce déficit uniquement sur les moins de 25 ans, on arrive au résultat suivant, qui dégrade singulièrement la position de l'Espagne :



Pas de quoi bouleverser l'ordre géopolitique ni le cours de l'euro, mais ces petits calculs de coin de table nous ont quand même semblé assez intéressants pour les partager avec vous. La France s'endette beaucoup, c'est vrai, mais sa population augmente, ce qui change légèrement l'analyse qu'on peut faire de la situation. Et on comprend aussi pourquoi l'Allemagne tient tellement à juguler sa dette quand elle ne voit pas arriver les générations qui pourront rembourser cette dette.

Que les "vrais" économistes me pardonnent cette incursion dans leur territoire. Il était trop tentant d'aller jouer avec ces beaux jeux de données et de leur poser des questions auxquelles la presse n'avait pas apporté de réponse...

C'est cela aussi l'open data : laisser les citoyens se construire leurs propres points de vue...

2 commentaires:

  1. Selon l'OFCE, "les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande".
    http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/?p=2567

    Natexis se demande, dans une note, si le vieillissement démographique contribue à expliquer certaines des divergences entre les positions majoritaires de politique économique en Allemagne et en France, par exemple la volonté d'accumuler des actifs et non des dettes en Allemagne, plus grande tolérance pour les dettes en France ;

    La démographie entraînerait, donc, selon Natixis, une configuration d'économie politique très différente en Allemagne et en France.
    http://cib.natixis.com/DocReader/index.aspx?d=556E4C734E426654574533597A436F47646F795443673D3D

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  2. Donc raisonnement confirmé par les éminences ?

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