Au début du mois dernier, Alain Vidalies, Secrétaire d'Etat aux transports a officiellement inauguré la plateforme Le.Taxi en commandant un taxi qui est arrivé en deux minutes.
Le.Taxi, c'est la plateforme que prévoyait la loi taxis du 1 octobre 2014 en instaurant un registre national de géolocalisation des taxis ("Il est institué un registre national recensant les informations relatives à l'identification, à la disponibilité et à la géolocalisation des taxis. Ce registre, dénommé : “registre de disponibilité des taxis”, a pour finalité d'améliorer l'accès aux taxis par leurs clients en favorisant le développement de services innovants. Il est soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.")
Développé en mode "startup d'Etat" par une petite équipe agile coachée par l'incubateur de services numériques de la DINSIC, Le.taxi c'est désormais une plateforme sur laquelle s'inscrivent librement les taxis qui acceptent d'être géolocalisés, de recevoir des courses et d'être évalués par leurs utilisateurs (plusieurs milliers de chauffeurs volontaires à l'issue de la phase de tests). C'est ensuite une API de consultation de ces données réservée aux opérateurs agréés c'est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d'un apport d'affaires aux taxis. Et ce sont surtout déjà une trentaine d'applications disponibles sur le web ou dans les AppStores Google ou Androïd.
Un projet rapidement mené grâce à l'opiniâtreté du coach Pierre Pezziardi, à l'obstination du "Product Owner" André Dorso et des deux développeurs, Vincent Bataille et Vincent Lara.
L'ensemble est un projet léger (250.000 euros d'investissement incluant les salaires des développeurs, 500.000 euros de dépenses annuelles prévues en fonctionnement stabilisé) et extrêmement prometteur. Il ouvre en effet un cycle d'innovation qui concernera, à court termes, de nombreuses entreprises du secteur du transport ou de l'hotellerie, mais pourquoi pas aussi de nombreux services web, du mobilier urbain, et tant d'autres innovations que nous ne connaissons pas encore.
C'est une expérimentation, et j'espère une étape, extrêmement importante de la construction de l'Etat plateforme, qui mérite quelques commentaires supplémentaires.
J'écarte rapidement la question de l'intérêt de l'Etat à agir. Certes, il est de bon ton à Paris et dans les milieux du numérique de railler l'engagement de l'Etat aux côtés d'une profession qui a su, parfois, se mettre à dos nombre de ses clients. Relatant les principales étapes de ce projet sur mes comptes Twitter et Facebook, j'ai reçu mon comptant de sarcasmes ou de reproches. C'était oublier que :
a- il est difficile à une profession artisanale de s'organiser et d'investir pour ne pas se faire avaler dans une économie en voie de plateformisation accélérée ;
b- c'est une profession extrêmement régulée, qui de se fait, doit accepter nombre de lourdeurs bureaucratiques ;
c- sur la majeure partie du territoire, les taxis remplissent une importante mission de service public, notamment pour les transports médicalisées.
d- personne ne semble s'insuger lorsque la puissance publique crée une place de stationnement réservé ou un sens unique pour soutenir le commerce de proximité
De toutes façons, la question n'est pas là, puisque le législateur avait tranché et a confié le développement de cette plateforme à la mission Etalab.
La première chose qui me semble essentielle avec le projet Le.Taxi, c'est la logique même de régulation qui s'expérimente ici. Quand elle décide de réguler un marché (ici, celui du transport individuel), la puissance publique a plusieurs options :
1- Elle peut choisir de freiner l'innovation et de retenir le plus longtemps possible le statu quo ante. C'est d'ailleurs une tentation qui n'a pas épargné les autorités françaises, mais qui n'a pas été retenue. Encore heureux : il n'y a aucun avenir pour ceux qui pensent que le flux d'innovation peut ou doit être enrayé et que les demandes des utilisateurs peuvent être tenues pour quantité négligeable.
2- Elle peut être tentée d'intervenir directement sur le marché, par exemple en soutenant un "Uber national", voire même un "Uber public". Pour qui connaît le talent, la concentration et la capacité d'investissement des géants du numériques, cette piste est également peu crédible.
3- Et il y a enfin la solution choisie pour ce projet : réguler par la distribution choisie de ressources, asseoir la compétition économique sur de nouvelles infrastructures de données, devenir la plateforme qui nourrit un écosystème innovant.
C'est la voie qui a été retenue pour Le.Taxi et qui a permis, moins de six mois après les premiers tests grandeur nature, de partager les données de la plateforme Le.taxi avec près de trente applications accessibles en ligne, ou sur les différents magasins d'application d'Apple et de Google.
La deuxième chose importante, c'est la frugalité de moyens que demande cette approche. En tout, Le.Taxi c'est 250.000 euros d'investissements. En se positionnant au coeur du dispositif (la diffusion ciblée de la donnée), la puissance publique peut produire des effets avec une incomparable économie de moyens. Pas besoin de contrôles policiers, de règlements tâtillons, ni d'infrastructures en dizaines de millions d'euros. C'est d'ailleurs la leçon des Uber et des Air BnB : utiliser la donnée pour donner corps à une inftrastructure latente et révéler ainsi une valeur qui était là, inaperçue, inutilisée, non révélée. Ici, la donnée, c'est simplement la géolocalisation de taxis volontaires, avec leurs smartphones, concentrée par l'Etat et rediffusée par une API proprement consentie.
Le troisième enseignement c'est, une fois de plus, la puissance de la démarche agile. Le projet a commencé il y a 18 mois, avec les trois lignes citées plus haut de la loi du 1 octobre 2014. Toutes les spécifications, les règles d'utilisation de l'API, les accords de gouvernance, et même le décret d'application ont été conçus en dialogue avec les parties prenantes, à travers les open lab. Petit à petit, de nombreux acteurs ont rejoint ce projet, le modifiant légèrement, s'y intégrant petit à petit, sans heurts ni fracas. Pourquoi ? Parce qu'il était piloté par une petite équipe agile, maîtrisant son sujet et sa plateforme, capable de répondre rapidement ou de modifier les spécifications techniques sans perdre le fil de son propos.
Alors, est-ce que ça suffira ? Il est trop tôt pour le dire. En mode startup, il faut savoir accélérer quand les choses commencent à prendre. La frugalité des moyens déployés, qui a dispensé d'aller chercher les "grands abritrages", fait que ce projet est encore considéré comme marginal par certaines autorités. Or, pour atteindre le niveau de qualité espéré par les utilisateurs, il faut une masse critique suffisante de clients, justifiant une masse critique de projets embarqués. Quelques dizaines de courses par jour, ce n'est pas encore assez pour décider de la bataille.
Pour que ça marche, il faut que vous, moi, tous les citoyens intéressés de travailler avec des artisans payant leurs impôts en France téléchargent, et utilisent, l'une des applications développées autour de cette infrastructure.
Pour que le projet réussisse, comme toute dynamique de succès dans l'économie en réseau, il faut maintenant y investir de l'effort dans le déploiement du service. Nous allons nous y efforcer. Mais il est déjà temps de se réjouir d'une première : pour la première fois, un pays a testé une régulation par la donnée et a bâti une infrastructure potentiellement "game changer". C'est cela aussi, l'Etat-plateforme...
Le.Taxi, c'est la plateforme que prévoyait la loi taxis du 1 octobre 2014 en instaurant un registre national de géolocalisation des taxis ("Il est institué un registre national recensant les informations relatives à l'identification, à la disponibilité et à la géolocalisation des taxis. Ce registre, dénommé : “registre de disponibilité des taxis”, a pour finalité d'améliorer l'accès aux taxis par leurs clients en favorisant le développement de services innovants. Il est soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.")
Développé en mode "startup d'Etat" par une petite équipe agile coachée par l'incubateur de services numériques de la DINSIC, Le.taxi c'est désormais une plateforme sur laquelle s'inscrivent librement les taxis qui acceptent d'être géolocalisés, de recevoir des courses et d'être évalués par leurs utilisateurs (plusieurs milliers de chauffeurs volontaires à l'issue de la phase de tests). C'est ensuite une API de consultation de ces données réservée aux opérateurs agréés c'est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d'un apport d'affaires aux taxis. Et ce sont surtout déjà une trentaine d'applications disponibles sur le web ou dans les AppStores Google ou Androïd.
Un projet rapidement mené grâce à l'opiniâtreté du coach Pierre Pezziardi, à l'obstination du "Product Owner" André Dorso et des deux développeurs, Vincent Bataille et Vincent Lara.
L'ensemble est un projet léger (250.000 euros d'investissement incluant les salaires des développeurs, 500.000 euros de dépenses annuelles prévues en fonctionnement stabilisé) et extrêmement prometteur. Il ouvre en effet un cycle d'innovation qui concernera, à court termes, de nombreuses entreprises du secteur du transport ou de l'hotellerie, mais pourquoi pas aussi de nombreux services web, du mobilier urbain, et tant d'autres innovations que nous ne connaissons pas encore.
C'est une expérimentation, et j'espère une étape, extrêmement importante de la construction de l'Etat plateforme, qui mérite quelques commentaires supplémentaires.
J'écarte rapidement la question de l'intérêt de l'Etat à agir. Certes, il est de bon ton à Paris et dans les milieux du numérique de railler l'engagement de l'Etat aux côtés d'une profession qui a su, parfois, se mettre à dos nombre de ses clients. Relatant les principales étapes de ce projet sur mes comptes Twitter et Facebook, j'ai reçu mon comptant de sarcasmes ou de reproches. C'était oublier que :
a- il est difficile à une profession artisanale de s'organiser et d'investir pour ne pas se faire avaler dans une économie en voie de plateformisation accélérée ;
b- c'est une profession extrêmement régulée, qui de se fait, doit accepter nombre de lourdeurs bureaucratiques ;
c- sur la majeure partie du territoire, les taxis remplissent une importante mission de service public, notamment pour les transports médicalisées.
d- personne ne semble s'insuger lorsque la puissance publique crée une place de stationnement réservé ou un sens unique pour soutenir le commerce de proximité
De toutes façons, la question n'est pas là, puisque le législateur avait tranché et a confié le développement de cette plateforme à la mission Etalab.
La première chose qui me semble essentielle avec le projet Le.Taxi, c'est la logique même de régulation qui s'expérimente ici. Quand elle décide de réguler un marché (ici, celui du transport individuel), la puissance publique a plusieurs options :
1- Elle peut choisir de freiner l'innovation et de retenir le plus longtemps possible le statu quo ante. C'est d'ailleurs une tentation qui n'a pas épargné les autorités françaises, mais qui n'a pas été retenue. Encore heureux : il n'y a aucun avenir pour ceux qui pensent que le flux d'innovation peut ou doit être enrayé et que les demandes des utilisateurs peuvent être tenues pour quantité négligeable.
2- Elle peut être tentée d'intervenir directement sur le marché, par exemple en soutenant un "Uber national", voire même un "Uber public". Pour qui connaît le talent, la concentration et la capacité d'investissement des géants du numériques, cette piste est également peu crédible.
3- Et il y a enfin la solution choisie pour ce projet : réguler par la distribution choisie de ressources, asseoir la compétition économique sur de nouvelles infrastructures de données, devenir la plateforme qui nourrit un écosystème innovant.
C'est la voie qui a été retenue pour Le.Taxi et qui a permis, moins de six mois après les premiers tests grandeur nature, de partager les données de la plateforme Le.taxi avec près de trente applications accessibles en ligne, ou sur les différents magasins d'application d'Apple et de Google.
La deuxième chose importante, c'est la frugalité de moyens que demande cette approche. En tout, Le.Taxi c'est 250.000 euros d'investissements. En se positionnant au coeur du dispositif (la diffusion ciblée de la donnée), la puissance publique peut produire des effets avec une incomparable économie de moyens. Pas besoin de contrôles policiers, de règlements tâtillons, ni d'infrastructures en dizaines de millions d'euros. C'est d'ailleurs la leçon des Uber et des Air BnB : utiliser la donnée pour donner corps à une inftrastructure latente et révéler ainsi une valeur qui était là, inaperçue, inutilisée, non révélée. Ici, la donnée, c'est simplement la géolocalisation de taxis volontaires, avec leurs smartphones, concentrée par l'Etat et rediffusée par une API proprement consentie.
Le troisième enseignement c'est, une fois de plus, la puissance de la démarche agile. Le projet a commencé il y a 18 mois, avec les trois lignes citées plus haut de la loi du 1 octobre 2014. Toutes les spécifications, les règles d'utilisation de l'API, les accords de gouvernance, et même le décret d'application ont été conçus en dialogue avec les parties prenantes, à travers les open lab. Petit à petit, de nombreux acteurs ont rejoint ce projet, le modifiant légèrement, s'y intégrant petit à petit, sans heurts ni fracas. Pourquoi ? Parce qu'il était piloté par une petite équipe agile, maîtrisant son sujet et sa plateforme, capable de répondre rapidement ou de modifier les spécifications techniques sans perdre le fil de son propos.
Alors, est-ce que ça suffira ? Il est trop tôt pour le dire. En mode startup, il faut savoir accélérer quand les choses commencent à prendre. La frugalité des moyens déployés, qui a dispensé d'aller chercher les "grands abritrages", fait que ce projet est encore considéré comme marginal par certaines autorités. Or, pour atteindre le niveau de qualité espéré par les utilisateurs, il faut une masse critique suffisante de clients, justifiant une masse critique de projets embarqués. Quelques dizaines de courses par jour, ce n'est pas encore assez pour décider de la bataille.
Pour que ça marche, il faut que vous, moi, tous les citoyens intéressés de travailler avec des artisans payant leurs impôts en France téléchargent, et utilisent, l'une des applications développées autour de cette infrastructure.
Pour que le projet réussisse, comme toute dynamique de succès dans l'économie en réseau, il faut maintenant y investir de l'effort dans le déploiement du service. Nous allons nous y efforcer. Mais il est déjà temps de se réjouir d'une première : pour la première fois, un pays a testé une régulation par la donnée et a bâti une infrastructure potentiellement "game changer". C'est cela aussi, l'Etat-plateforme...
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