dimanche, décembre 04, 2016

La donnée au service de la croissance


Cette semaine, au cours du Sommet mondial de l'Open government partnership, qui se tient à Paris, je participerai avec Nigel Shadboldt à la session, organisée par l'Open data Institute, jeudi, consacrée aux conclusions du travail franco-britannique que nous avons mené pendant un an sur la donnée au service de la croissance*.

Certes, ce n'est que l'un des 350 événements, ateliers et projets du programme du sommet, mais, si vous avez eu la chance de réussir à vous inscrire, venez, vous y verrez le reste : open data, engagement citoyen, transparence, concertation, contribution, biens communs numériques, développement durable, démocratie participative, concertation citoyenne, redevabilité des algorithmes, et j'en passe... Le tout dans un vaste forum rassemblant plus de 4000 délégués issus de 135 pays, 50 ministres, 15 chefs d'Etat et de gouvernement, et quelques centaines d'ONG.
Un événement parmi tant d'autres, certes, mais qui résulte d'un an d'échanges passionnants. Le rapport, assez court, est en ligne (ici et ici pour les propositions d'action). Ce que je voudrais partager ici, c'est la vision stratégique qui a été la nôtre.

Le constat de départ est simple : le passage d’une économie de la rareté de la donnée à une économie de l’abondance entraîne un changement complet des règles du jeu économique et politique. On l'a déjà vu dans l'histoire, quand l'humanité a appris à maîtriser l'agriculture, l'imprimerie, l'énergie. Chacune de ces grandes étapes a été un changement complet des règles du jeu économiques, sociales, politiques. Or, nous en sommes convaincus, nous assistons désormais à une transformation de même ampleur avec les données. Notre économie et notre société ont été fondées sur le fait qu'elles étaient rares et chères à produire ou à consommer. Elles sont désormais surabondantes, produites par d'innombrables capteurs, par des milliards de terminaux mobiles, par la dématérialisation des quasi gratuites et nous baignons en permanence dans leurs flux continus.

Face à une telle transformation, toutes nos règles d'action changent. Les entreprises l'ont rapidement appris à leurs dépens, qui ont vu naître de nouveaux monopoles de l'intermédiation, des plateformes comme Uber ou AirBnB, de nouveaux services innombrables. Le politique doit à son tour apprendre à regarder cette situation en face. Elle appelle en effet une reconception rapide de bien des évidences quant à la manière d'agir au service de (et avec) l'économie et de la société.
Au fil de nos échanges, et après avoir identifié plus de 70 pistes d'action, nous avons proposé une stratégie pour la puissance publique organisée en quatre axes :

1. L’innovation. Au fond, maintenant que les données sont abondantes, que le coût de leur traitement décroît sans cesse et que d'innombrables nouvelles technologies et surtout nouvelles stratégies de traitement voient le jour, ce qui nous manque le plus, c'est l'imagination nécessaire pour concevoir tout ce que nous pourrions faire avec ces données. Eradiquer les maladies nosocomiales ? Faire disparaître les accidents de la route ? Bâtir des villes authentiquement intelligentes ?
Or, l'innovation ne se décrète pas ni ne se planifie. Ce que peut faire la puissance publique, c’est encourager le dynamisme des écosystèmes et s’ouvrir à leur créativité. C'est appliquer une stratégie de stimulus, en encourageant les échanges, en soutenant les écosystèmes, en favorisant la circulation des chercheurs et des entrepreneurs. D'importantes pistes d'action entre Paris et Londres ont ainsi été identifiées.

2. Des infrastructures de données. Historiquement, l'open data est né autour des questions de transparence et de redevabilité. Ces questions sont importantes, et au coeur même de la question démocratique. Mais l'open data vise aussi à nourrir l'économie et l'innovation. Et pour ce faire, il faut plus qu'une "libération" de données brutes. Il faut des données de qualité, rafaîchies fréquemment, accessibles à travers des règles réfléchies, accessibles 24/24 avec des niveaux de service garantis. Il faut penser la donnée comme une infrastructure et faire naître des infrastructures de qualité industrielle.
C’est l’enjeu du service public de la donnée, tel qu'il a été décrété par la loi pour une République numérique.

3. L’éducation. L'éducation, l'éducation et encore l'éducation. L'Europe manque d'ores et déjà cruellement de datascientists. Il lui en manquera plus de 10.000 sous peu. Mais même un afflux massif de ces compétences ne suffirait pas. Tous ceux qui se sont penchés sur la diffusion des nouvelles méthodes ont fait le même constat : la transformation des métiers par la donnée est un enjeu à part entière. La transformation des organisations est une exigence absolue. Or, les décideurs de haut niveau manquent cruellement d'une culture minimale quant aux données, à la manière de les produire, de les utiliser, de les protéger lorsque nécessaire et surtout de les valoriser. Et il en va de même des experts métiers (design, marketing, logistique...). Les datascientists à eux seuls ne peuvent pas changer la logique profonde des organisations. L’éducation à l'utilisation des données doit être une ambition massive, dans les écoles, dans la formation des dirigeants des secteurs privés et publics qui ont été formés dans l’ancien régime de la donnée, ainsi que dans la formation de nombreux métiers. En particulier, le passage de la pensée statistique (qui propose une description scientifique mais statique d'une situation pour éclairer la décision) à une pensée dynamique, voire aux data-driven strategies est un enjeu majeur.

4. Et enfin l’autonomie. La révolution de la donnée crée de une capacité d'action sans précédent. C'est du pouvoir d'agir à l'état pur. Celui-ci pourra être concentré entre les mains de ceux qui savent accumuler et surtout utiliser ces données, ou il pourra être réparti sur l'ensemble des citoyens. Cette histoire n'est pas écrite, et il nous appartient de la dessiner. C'est un enjeu démocratique essentiel.
C'est aussi un enjeu d'acceptation sociale et donc de développement économique. Certes, de nombreuses dispositions sont en place pour protéger les consommateurs et les citoyens contre les abus. Mais il nous a semblé indispensable de compléter ces dispositifs par un souci constant de l'autonomie du citoyen. Cette ambition d’autonomisation doit être constante. A l'échelle des Etats, elle appelle une stratégie de souveraineté. A l'échelle des individus, elle nous a semblé exiger, en préalable une stratégie résolue de portabilité de leurs données, et une acceptation totale de restituer aux citoyens/consommateurs les données les concernant, pour les usages qu'ils souhaiteront. A cet égard, le travail mené en France par la FING autour du projet MesInfos, et le travail britannique intitulé MiData nous semblent dignes du plus grand intérêt, tant par les convictions qu'ils portent que par les expérimentations qu'ils ont engagé.

Telles sont les convictions qui ont fondé nos recommandations, dont nous devrions pouvoir constater sous peu la mise en oeuvre concrète.

* La task-force France UK

La task-force France-UK sur la donnée au service de la croissance a été lancée il y a un peu plus d'un an par Emmanuel Macron, Ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, Georges Osborne, chancellier de l'Echiquier, Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique et Ed Vaizey, Minister for Culture, Communications and Creative IndustriesLa mission était claire : comprendre ce qui se joue autour de l'économie de la donnée, et proposer  une stratégie pour mettre la révolution de la donnée au service de la croissance.
Le groupe de travail rassemblait des experts des deux pays, qui sont désormais des amis et que je souhaite citer nommément : Mokrane Bouzeghoub (Allistene) ; Ellen Broad (ODI) ; Patrick Cocquet (Cap Digital) ; Stéphanie Finck (Salesforce) ; Paula Forteza (Etalab) ; Rand Hindi (Snips) ; Clive Humby ( le Humby de DunnHumby) ; Andrew Lawson (Salesforce) ; Yann Lechelle (Snips) ; Doug Monro (Adzuna) ; Alban Schmutz (OVH). Il a bénéficié d'un extraordinaire soutien de la DGE (Fabien Teraillot, Cédric Mora, Achile Lerpinière) et de leurs homologues britanniques (Paul Driver et Vicky Brown).

Plusieurs séances de travail des deux côtés de la Manche, qui ont permis aux uns de découvrir Cap Digital, le Numa et les charmes de nos salles de réunion ministérielles, et aux autres l'ODIDigital Catapult, le quartier de Westminster et les ruelles d'Oxford, nous ont permis de forger une vision commune, riche de nos complémentarités et de nos différences, et de préparer  un rapport présentant une analyse de la révolution en cours, une stratégie que nous croyons solide ambitieuse et impactante, et surtout des pistes d'action concrètes, vérifiées, chiffrées et activables.
Cette stratégie avait été présentée en juillet dernier, les propositions de mesure ont été précisées début novembre, et les deux gouvernements annonceront sans doute en janvier les mesures concrètes qu'ils entendent mettre en oeuvre.

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