mardi, juin 01, 2010

Comment aborder l'éducation dans le Grand emprunt ?

A la suite des Assises nationales de l'éducation et de la formation numérique, et en préparation du Grand emprunt, Cap Digital travaille actuellement en profondeur à un ensemble de propositions concernant l'éducation numérique sous tous ses aspects : formation professionnelle, enseignement primaire, enseignement supérieur, éducation informelle...

Pourquoi avoir rassemblé ces quatre composantes ? Parce que nous avons la conviction que là est la clé d'un véritable changement, et la raison du relatif échec des efforts antérieurs.

Tous les exemples passés ont montré l'insuffisance des plans sectoriels. Il faut construire une dynamique complète. L'éducation numérique, aujourd'hui, c'est à la fois :
- un levier de diffusion de la culture 
- une exigence de qualité de formation pour la jeunesse ;
- un besoin pour la compétitivité des entreprises ;
- un secteur industriel pointu capable de devenir puissant à l'international ;
- des thématiques de recherche fondamentales et un potentiel d'innovation considérable, qui nécessitera l'engagement de la jeune génération ;
- un levier de réforme du système éducatif.
Aborder cette question par un seul de ses aspects, comme l'ont fait les plans d'équipement et de formation de l'éducation, ou les aides à la recherche ou à l'industrie, ou les plans de soutien à la numérisation de la formation professionnelle, c'est échouer presqu'à coup sûr. 
Une fois que cette idée est mise à jour, elle devient évidente. L'éducation ne peut se penser dans de si petits caissons. C'est à la fois affaire de projet de société, de solidarité entre citoyens et entre générations, de talents et même de puissance industrielle.
C'est par essence un projet dialectique qui ne peut se satisfaire de mots d'ordre statiques tels que "numérisation", "équipement" ou "formation".
C'est une dynamique collective qu'il faut enclencher, mobilisant tous les talents des enseignants et des professionnels du contenu numérique, des étudiants de cette génération qui inventera véritablement les pratiques éducatives post-numériques, des professionnels de l'éducation informelle et des responsables politiques des ministères, des administrations comme des collectivités.

C'est à ce niveau global qu'il faut poser le problème, pour rechercher conjointement : la performance éducative, la dynamique d'accès à l'emploi, l'accès au savoir du plus grand nombre, la puissance exportatrice de nos industries, l'adaptation du système éducatif et surtout la qualité de l'éducation et de la formation de la jeunesse et son implication dans l'invention des réformes à venir.

Le seul projet qui vaille, le seul projet qui peut mettre les choses en mouvement, c'est l'accès du plus grand nombre au savoir et à la culture, et c'est le rayonnement au plus loin de la culture française.

Ambition globale ne veut pas dire ambition floue. Cela veut simplement dire qu'il faut coordonner les efforts. Qu'il faut organiser le partenariat entre l'Etat, l'Education nationale et les collectivités locales. Qu'il faut soutenir les entrepreneurs, faciliter l'utilisation des données publiques et aider les groupes industriels à travailler avec la recherche. Qu'il faut des institutions de recherche de pointe capables à la fois de la créativité la plus débridée et d'expérimentation rapide, comme le Medialab du MIT. Qu'il faut manifester de la confiance envers les enseignants et capter la créativité des étudiants. Qu'il faut créer une dynamique permettant de décupler l'intensité et l'efficacité de la formation professionnelle appuyée sur les nouveaux outils. Qu'il faut stimuler la diffusion de la culture et de la culture scientifique auprès de tous les publics.
C'était d'ailleurs bien l'esprit du rapport de la Commission sur l'emprunt national, qui, à côté des infrastructures vitales, avait suggéré de réserver quelques budgets à l'égalité des chances et à la diffusion de la culture scientifique et technique.


Une action forte du gouvernement mobilisant son administration et supprimant les points de blocage réglementaires est indispensable. Mais il faut aussi changer doublement de logique en s’appuyant sur les PME du secteur et les grands groupes pour renforcer et structurer la filière, d’une part ; et adopter une démarche résolument bottom-up pour susciter l’implication de tous les acteurs, d’autre part. 
Il faut investir massivement dans les nouveaux dispositifs techniques (jeu sérieux, réseaux sociaux, mondes virtuels, mobiles mais aussi des technologies émergentes comme le Cloud Computing) quand cela s’avère nécessaire pour proposer des innovations pédagogiques (interactivité, personnalisation, remédiation, collaboration ou immersion) en s’appuyant sur les entreprises/consortium les plus innovants en mesure de marquer la différence sur le marché mondial. Et, en parallèle, mettre en place des mécanismes incitatifs pour que les établissements acquièrent ces ressources et outils pédagogiques tout en leur donnant les moyens nécessaires en terme de formation et de conduite du changement.

Les propositions de Cap Digital découlent de cette analyse. Nous les avons regroupées en quatre secteurs principaux d’intervention : ceux qui relèvent du domaine législatif ou réglementaire, les mesures financières, les initiatives pour stimuler la R&D, enfin celles destinées à structurer la filière.  

A)                Mesures législatives ou réglementaires

1 - Faire aboutir avant la fin 2010 un dispositif législatif clarifiant les responsabilités entre collectivités territoriales et Etat pour permettre notamment la mise en place de solutions de maintenance adaptées, les dispositions actuelles qui partagent les responsabilités ne permettant pas de garantir la disponibilité effective des équipements.
2 - Proposer des programmes spécifiques aux publics en difficulté (bas niveaux de qualification, banlieues, demandeurs d’emplois, handicapés, détenus…) favorisant la diversité des parcours et visant à faire émerger la variété des compétences.
3 – Favoriser l’introduction des TICE dans les examens et concours ainsi que l’a déjà envisagé le Danemark.
4 - Doter chaque enseignant d’un ordinateur portable, outil de travail professionnel, et d’une formation (ou crédit formation TICE) adaptée.
5 - Créer une Université Numérique Citoyenne (UNC), campus d’excellence accessible à tous.

B)                Mesures financières

6 - Financer et mettre en place un plan reposant sur un vaste appel à projets innovants pour l’enseignement scolaire, s’inspirant du Plan Ecoles Numériques Rurales et fondé, comme lui, sur le volontariat des établissements (écoles, collèges, lycées). 
Dans une volonté de généralisation des usages du numérique, l’objectif sera à l’issue des trois  années du plan, d’avoir équipé la totalité des lycées et collèges et une majorité des écoles. Hors abondement des collectivités sur les équipements, ce plan d’investissement vers l’écosystème français des ressources et recherche numérique devrait s’élever à 150M€/an sur 3 ans.  Ce plan d’impulsion, limité dans le temps, permettrait à la fois une rupture d’échelle dans la mobilisation pédagogique de ces dispositifs numériques, mais aussi d’amorcer les capacités de production et de recherche logicielle.
       Une part importante de ces développements (en sciences, langues vivantes, certaines sciences humaines…) est localisable et pourra dynamiser à l’exportation ce savoir-faire éducatif. Ce sont à la fois des perspectives de développement économique mais également un environnement favorable au rayonnement culturel du savoir faire pédagogique français qui sont en jeu.
7 - Créer un fond d’investissement non consomptible dans les contenus numériques de formation initiale, continue ou professionnelle doté de 300 M€, complémentaire du FUI, s’inspirant des mécanismes du CNC et constitué d’avances remboursables et/ou de prises de participation. Ce fonds privilégierait les approches innovantes (serious game, mobilité, utilisation des techniques sémantiques et des techniques de Cloud notamment pour des applications media…), prolongeant les appels gouvernementaux de 2009. Ce fond devrait avoir pour objectifs de valoriser le savoir faire des PME du secteur de la formation afin de leur permettre d’entrer dans l’économie mondiale de la formation numérique en ligne et de lutter à armes plus égales avec leurs concurrents tout en contribuant à structurer la filière.
8 - Encourager la numérisation des cours de l’enseignement supérieur et leur diffusion via divers canaux (TV sur IP, sites internet, mobiles) et pour divers types de terminaux dans le prolongement de ce qu’a initié l’appel Proxima Mobile (projets OVE et OME).

C)               Mesures en faveur de la R&D

9 - Créer un EduLab, structure de recherche pluridisciplinaire et disposant d’une taille critique, qui pourrait s’intégrer dans le futur IRT « Vie numérique ». L’EduLab aurait pour objectif de rassembler les équipes d’Ile de France menant des recherches dans le secteur de l’éducation ou de la formation numérique, qu’elles viennent de l’informatique, de la didactique, des sciences de l’éducation, des sciences cognitives ou des sciences de l’information et de la communication. 
10 - Mettre en place des mécanismes fléchés de financement des recherches collaboratives dans ces domaines.

D)       Mesures destinées à structurer la filière

11 - Faciliter la structuration de la filière en créant un BESA à la française, sur le modèle de l’organisation professionnelle britannique. Cette structure aurait vocation à regrouper l’ensemble des industriels de la filière et notamment à fédérer les PME du secteur ainsi qu’à être l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Elle aurait aussi pour objectif de faire de ces Assises nationales de l’éducation et de la formation numériques un rendez-vous pérenne. 
12 - Créer un Observatoire des usages, instance regroupant autorités ministérielles, collectivités, entreprises, chercheurs, étudiants et représentants de la société civile pour mesurer et évaluer de manière régulière et systématique l’impact des différents dispositifs , que ce soit en formation initiale, professionnelle ou continue. Cet observatoire permettrait de faire en sorte que les parents mais aussi les élèves et leurs représentants, les stagiaires en formation et leurs représentants, les entreprises… soient pleinement partie prenante de la politique de déploiement des TICE dans l’éducation et la formation.

Pourquoi réussirions-nous maintenant ? Peut-être parce que c'est maintenant que le défi se pose à nous, alors qu'il faut investir sur l'économie de sortie de crise.

En France, nous avons la chance d'avoir un système éducatif mature, des industries éducatives parmi les plus importantes au monde, une recherche de qualité, une véritable approche de la formation continue, un vivier d'institutions de diffusion du savoir. Nous avons donc pu, un temps, vivre sur ces acquis.

Mais aujourd'hui, l'équilibre du monde se déplace. L'Education et la formation sont considérées comme la priorité des priorités par l'Asie et par le Sud, qui investissent massivement sur ces secteurs. La Chine et l'Inde ouvrent chacune deux universités de 20 000 étudiants par semaine. Elles le font tout autant pour investir sur l'avenir que pour apporter au plus grand nombre les fruits du progrès. Tous ces pays construisent leur systèmes éducatifs à neuf et les organisent donc en profondeur autour du numérique.

Nous avons largement contribué à allumer cette compétition pacifique. Il nous faut désormais inventer les moyens d'y tenir notre rang.

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