mardi, février 24, 2009

Stimulus package : les américains construisent une infrastructure cognitive

Le contenu du « stimulus package » promulgué mardi dernier par Barack Obama a encore peu été analysé. Pourtant, il recèle de précieuses indications sur la future politique industrielle américaine.

Au delà des considérations sur son ampleur (plus de 5% du PIB) ou sur les formes de relance qu’il retient, c’est au contenu concret des actions soutenues que nous devrions porter attention.
Au sein de ce plan de $ 787 milliards, qui comprend un gros tiers de baisses d’impôts ($ 288 milliards), on y trouve ainsi un vaste ensemble d’actions centrées sur les technologies de l’information et de la communication.



Ce « Tech Package » couvre des investissements qui pourront surprendre de ce côté-ci de l’Atlantique :
- $ 17 milliards pour aider les systèmes Medicare et Medicaid à adopter les technologies de l’information : cet ensemble comprend notamment un important volet de « dossier médical numérique » ;
- $ 16,3 milliards pour développer un réseau électrique « intelligent » (conçu sur un modèle « end to end » proche de celui d’Internet et capable d’interconnexions avec Internet) ;
- $ 14 milliards pour la recherche publique, avec une forte incitation au recrutement de chercheurs et de staff ;
- $ 4,6 milliards pour le réseau haut débit ;
- $ 4 milliards pour aider à l’amélioration technologique du système de soins ;
- $ 650 millions pour améliorer le niveau technologique des écoles ;
- et surtout des centaines d’actions au service des normes et standard, du logiciel libre, de la dématérialisation des services, de la formation des citoyens et des professionnels ou encore de l’accès du plus grand nombre à l’information.

Près de 54 milliards de dollars au total, soit plus de 10 % des dépenses directes du stimulus package : les nouvelles technologies ne sont pas oubliées, et ce d’autant moins que ce plan comporte aussi des développements consacrés aux technologies vertes, à l’énergie, etc.

Au delà du sérieux soutien ainsi accordé aux géants technologiques américains comme General Electric, Cisco, Google ou Microsoft – qui n’a pas échappé aux commentateurs - cet engagement marque une nouvelle vision politique et économique des industries technologiques.

Quatre aspects méritent ainsi d’être soulignés :

1- Bien plus qu’un plan de relance, il s’agit ici d’un plan de mutation. L’effort industriel est tout entier structuré par l’idée que l’économie et l’industrie qui sortiront de la crise ne pourront en aucune manière être un retour au statu quo ante. Les industries naissantes -nouvelles technologies, environnement, énergie, espace, santé - sont privilégiées (même si les secteurs sinistrés ne sont pas abandonnés). Ce choix a des conséquences concrètes : l’argent consacré à l’innovation sera dépensé plus rapidement que celui des constructions physiques, mais c’est surtout un investissement à long terme qui financera des emplois à forte valeur ajoutée, indispensables à l’économie d’après la crise.

2- Ce plan s’inscrit dans un ensemble de décisions qui marquent la volonté de développer une économie de la connaissance ouverte, en particulier la mission sur l’open source confiée à Scott McNealy, président-fondateur de Sun Microsystems. qui part de la conviction que le logiciel libre est un facteur central de la compétitivité du tissu industriel ;

3- En particulier, il intègre parfaitement la nouvelle donne économique : les grandes infrastructures, qui forment autant de bien communs et qui sont à la source du dynamisme et de la compétitivité, sont désormais autant cognitive et interactives que physiques. Une base de données de patrimoine culturel, des normes techniques d’interopérabilité des services, la puissance de la recherche publique (rappelons qu’aux Etats-Unis, les résultats financées par les budgets fédéraux sont de libre emploi) sont aussi importantes que les réseaux routiers ou l’eau potable. Ce sont de véritables infrastructures à partir desquelles de nombreux services à valeur ajoutée pourront être développés, par le secteur public et par le secteur privé.
Il n’est plus possible aujourd’hui de séparer la production de la distribution ou de la régulation. Les formats d’échange, les logiques d’interactivité, les capacités d’ouverture contribuent à la valeur de ces infrastructures cognitives.

4- Ce plan de mutation s’attache donc à définir de nouveaux périmètres de biens communs et d'accès à ces biens communs. Certes, cette définition tient compte de la situation initiale des Etats-Unis et des engagements de campagne. Elle soutient donc fortement des politiques publiques qui étaient au cœur du programme du candidat : santé, environnement, éducation, solidarité... Les industries culturelles étaient également prévues, mais les parlementaires ont considéré que leur situation économique ne justifiait pas l’injection d’argent public. Ce qui est intéressant, c’est que l’on devine ici un processus d’élargissement progressif des concepts concernant les droits de propriété, qui, contrairement à ce qui se passe dans un paradigme industriel classique, pourra impliquer de reconnaître l'efficience économique et sociale de formes élargies de mutualisation. Il faudra inventer toute une gamme d’outils entre les copyrights, les brevets, les droits d'auteur, d'un côté, et l'inappropriation qui caractérise les biens publics. Il faudra surtout construire de nouvelles formes de relations entre ces questions.


La puissance des groupes Internet américains, leur position de leaders mondiaux, l’énorme soutien que lui accorde déjà la DARPA font que le plan ne prévoit pas de soutien direct aux entreprises purement Internet, se contentant en l’espèce de lui offrir de nouveaux marchés. Ce n’est pas ce que nous recommanderions en Europe, dont les conditions de départ ne sont pas les mêmes. Mais nous aimerions en revanche voir des politiques publiques adopter la même sérénité dans leur rapport au numérique, ni fascinant ni menaçant, simplement un outil précieux, dont les logiques profondes recèlent de nouveaux mécanismes de pensée et d’action, et qu’il faut savoir utiliser à sa juste place.

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