Je voudrais poursuivre la réflexion engagée l’autre jour sur les évolutions de l’éducation à la faveur des nouvelles opportunités offertes par le numérique et vous proposer de partager un cadre de lecture.
Comme je le disais dans mon précédent billet, je crois qu’on ne comprend pas grand chose à la question éducative si on ne remonte pas aux choix sociaux globaux et à l'organisation macro du système.
Personnellement, les approches fondées sur la « posture enseignante » et sur le supposé besoin de formation des profs me semblent inutiles, incantatoires et démenties par le réel. J’ai vécu un paquet de ces réformes, qui n’ont jamais touché les choses qu’à la marge. De même, je conteste tous les raisonnements fondés sur la supposée inertie du système. Quand une technologie est immédiatement efficace, elle peut prospérer aussi vite que la calculatrice dans les années 80, par exemple.
Qu’est-ce que la société attend de l’Education nationale ? Comment s’est-elle organisée pour atteindre ces objectifs ? Ces deux questions précèdent toutes les autres.
L’Education nationale n’a pas, et n’a jamais eu le monopole de l’éducation. Les familles, la société, les collègues de travail, et depuis plus récemment les « médias » - incluant les éditeurs -) et le monde de l’éducation informelle se partagent la tâche. On sent bien d’ailleurs que les plus vives ruptures et les plus rapides diffusions de pratiques sont beaucoup plus propagées par les pairs et la société que par le système lui-même.
A l’inverse, et depuis toujours, l’éducation nationale ne se contente pas d’éduquer. Elle le fait, certes, et plutôt bien, quoi qu’on en dise. Mais parallèlement, elle normalise (et crée donc de l’adaptabilité aux besoins de la société), elle hiérarchise, et elle sélectionne.
Ces missions complémentaires sont sans doute consubstantielles de la Révolution. La République naissante a centré sa politique, plus qu'aucun pays au monde, sur l'individu, qu'il convenait d'arracher à sa famille, à son village, à son église, pour en faire un élève, un soldat ou un citoyen composant unitaire de ce "peuple souverain".
Cette sélection était drastique il y a encore fort peu de temps (5% d’une classe d’âge au baccalauréat en 1950, 35 % en 1985).
Elle a notamment justifié des choix précis : l’importance accordée aux matières supposées objectives (comme les mathématiques), le format extrêmement normalisé (« scolaire ») des épreuves d’évaluation. La République voulait bien trier ses enfants, mais elle devait le faire sur des critères objectifs, vérifiables et accordant toute place au « mérite ».
Elle a également fondé une organisation extrêmement précise de l’Education nationale, et pour tout dire, tayloriste. Programmes normalisés, cours de durées homogènes, groupe classe soudé sur toute une année et « usiné » collectivement, professeurs spécialisés dans une seule matière, etc. Cette organisation a été mise en place par la IIIe République, qui , pour faire face à une première massification de l'éducation, a utilisé les techniques de pouvoir et les techniques de production de son époque : le taylorisme.
Il n’y a aucune raison aujourd’hui que les groupes soient les mêmes pour le cours de mathématiques et le cours de géographie, si ce n’est justement le besoin de normaliser les parcours pour garantir l’égalité des chances.
Pourtant, ce système a fonctionné, pas trop mal, jusqu’aux années 80 et la deuxième massification : la décision de généralisation accélérée du baccalauréat. De 35 % d’une classe d’âge en 1985, on est passé à 70 % d’une classe d’âge en 2005 et bientôt 80 %.
A titre de comparaison, la réforme Haby des années 70, qui instaurait le collège unique, avait été accompagnée d’une réflexion intense sur les pratiques pédagogiques et d’un effort considérable de travail sur les programmes et sur les formations.
Voici donc où nous en sommes. Un système conçu pour la sélection, qui fonctionnait en éliminant sévèrement les personnalités les moins adaptées à ce système, s’est vu soudain contraint de conserver l’extrême majorité des élèves. Il n’était pas organisé pour cela. Il a résisté, au fond, mais il est à la peine.
Massification sans diversification, changement de règles du jeu sans évolution des organisations, c’est sur cet arrière plan, il me semble, qu’il faut poser la question du numérique dans l’éducation.
Le numérique, dans l'ancien système, pour les anciens objectifs, avec les anciennes méthodes n'apporte pas grand chose. Le numérique dans le nouveau contexte, conjugué à de nouveaux objectifs et à une nouvelle organisation, alors là on peut commencer à rêver d'une nouvelle donne éducative.
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Merci pour cette remise en contexte qui me parait pertinente. L'aventure danoise qui intègre le web jusque dans les évaluations (et même au bac) va être passionnante à suivre.
RépondreSupprimerJe vous recommande cet excellent article de Elaine Thomas dans The Guardian : http://www.guardian.co.uk/education/2009/dec/15/creative-industries-design-competitive-advantage
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