J'ai été convié par le Centre d'analyse stratégique et Etalab à intervenir au colloque "Nouveaux usages d'Internet, nouvelle gouvernance pour l'Etat", colloque centré sur les Open data, qui s'est tenu ce lundi à la Cité des Sciences et de l'Industrie, pour la table ronde Quels sont les leviers stratégiques de l'Etat pour encourager l'innovation et l'économie numérique ?
Une vidéo intégrale de la table ronde a été mise en ligne ici.
Très intéressant colloque, au passage, avec de belles interventions sur l'économie, l'efficacité administrative et la géostratégie...
Que peut faire l'Etat pour le numérique ?
Bien que largement né d'initiatives publiques, y compris françaises, Internet, profondément marqué par son origine libertaire et Californienne, a longtemps été une énigme, voire un problème, pour les gouvernements.
Ses principes fondamentaux, son architecture end to end, la vitesse avec laquelle les entreprises et les particuliers s'en sont emparés, la manière dont il crée de la valeur (économique et sociale) tout en déstabilisant profondément les positions acquises, le mélange inédit des sphères privée et publique, marchande et non-marchande, son caractère transfontalier... tout concourt à faire du réseau un objet bien difficile à appréhender pour les politiques publiques classiques.
Même si de réels progrès ont été effectués ces dernières années, ce n'est donc faire injure à personne que de dire que, si le numérique Français ne se porte pas trop mal, tant dans ses succès que dans son impact économique global, ces succès se sont, pour l'essentiel, bâtis en dehors de l'intervention publique.
Il faut donc rappeler quand même que, si la politique d'Open data est susceptible d'apporter beaucoup aux entreprises innovantes et aux utilisateurs, elle ne résoudra pas tout. Et avant de parler de ce nouvel or noir, il est bon de se rappeler que nombre des problèmes du secteur restent inchangés : les insuffisances de la politique d'aide à la création d'entreprises, l'instabilité juridique et fiscale dont elles pâtissent, le manque de capitaux investis, le plafond de verre - largement culturel - qui pénalise la croissance de ces jeunes entreprises, les difficultés qu'elles rencontrent à contracter avec les grands groupes industriels, la faiblesse de l'investissement public sur ces secteurs, les difficultés à reconnaître l'innovation par les usages, et tant d'autres points qui restent à améliorer.
(...)
La France, au Rendez-vous de l'Open Data
En matière d'Open data, la France, Etat et collectivités confondus, ont globalement été au rendez-vous. Est-ce notre culture d'ingénieurs ? Une certaine propension au rationalisme ? L'histoire d'une République qui peut aisément comprendre que la transparence et l'information peuvent se révéler très favorables à l'efficacité collective ? Toujours est-il de de nombreuses communes (Paris Rennes, Toulouse), l'Etat avec Etalab, l'Apie, et de multiples initiatives associatives ou citoyennes témoignent d'un dynamisme qui nous place dans le peloton de tête des pays s'étant emparés des grands enjeux de cette question.
Certes, de nombreux progrès restent à faire, notamment en matière de diffusion des ressources pédagogiques et scientifiques, mais tout laisse penser qu'ils seront réalisés à une vitesse acceptable.
En revanche, j'ai le sentiment que le réflexion sur les Open Data, ici, est très nettement portée par sa problématisation politique (démocratie, transparence, fluidité), plus que par une problématisation économique. Et si je suis convaincu de l'importance majeure de cet aspect politique, je ne suis pas certain que la réponse politique suffise à bâtir une stratégie de développement économique parfaite.
Or, ce point est d'autant plus important que je suis fermement convaincu que les données sont aujourd'hui le nouvel or noir. Elles recèles quelques points de croissance, comme l'a montré, là encore, un intéressant rapport de McKinsey : Big data, the next frontier for innovation, competition and competitivity. C'est pourquoi il est intéressant de se demander ce que serait une politique d'Open data apportant le maximum de croissance économique à notre pays.
Huit chantiers à travailler
Dans cet esprit, il m'a semblé que nous avons devant nous huit chantiers importants. Je n'ai pas les réponses sur toutes ces questions, qui demandent parfois des réponses très équilibrées et nuancées. Mais j'ai la conviction qu'elles sont toutes porteuses d'une énorme valeur économique.
1. S'intéresser à l'ensemble des productions immatérielle.
Libérer de la donnée publique, c'est bien. Mais il faudra aussi réfléchir sur les statuts des créations financées par l'Etat, en matière d'éducation ou de recherche, par exemple. Aux Etats-Unis, les recherches financées par des budgets fédéraux sont librement accessibles. Nous pouvons tous utiliser les images de la Nasa.
2. Partager des données brutes.
De nombreuses stratégies d'ouverture de données visent à libérer des données interprétées, de la statistique publique. C'est bien, mais cela ne correspond pas toujours aux besoins effectifs de la recherche, qui a souvent besoin de "laisser parler les données" avant de formuler ses hypothèses, puis de concevoir ses expériences.
J'ai à cet égard un exemple éloquent. Nous avons, chez MFG Labs, travaillé avec l'agence Atout France sur de nouveaux outils pour analyser le développement du tourisme en France. Pour ce faire, nous avons travaillé sur la géolocalisation des photos prises en France par les touristes, puis partagées sur FlickR, Yandex ou autres.
Ca a donné des résultats de ce genre :
6. Trouver le bon modèle macro-économique.
J'ai commencé à aborder la question dans un précédent billet : autant je partage la conviction que la libération des données publiques est porteuse de croissance, autant je crains qu'une libéralisation incontrôlée ne finisse par concentrer la valeur chez ceux qui possèdent la plus forte puissance de stockage et d'analyse, c'est-à-dire hors de France. La libéralisation des données est indisociable d'une politique industrielle adaptée.
C'est pourquoi je suis personnellement favorable à une politique de rémunération des données par ceux qui en développent une exploitation commerciale - rémunération qui permettrait d'en financer le développement -. Et je pense que la mise à disposition gratuite de ces données pour les JEI pourrait en revanche s'intégrer de plein droit dans le dispositif d'aide à ces entreprises.
7. Concevoir une infrastructure cognitive.
Cette question de modèle économique met immédiatement en lumière l'importance de penser, d'emblée, la libération des données en termes d'infrastructures. L'accessibilité de ces données, leur interopérabilité, l'intelligence des API qui les délivrent, la qualité des interfaces de distribution... Toutes ces questions sont essentielles à l'impact économique d'une stratégie d'open data.
Il y a un abîme entre la simple libération de données - déjà utile - et la construction méthodique d'une infrastructure capable d'apporter le maximum de valeur ajoutée à notre économie.
8. Progresser vers l'OpenGouvernment
Enfin, je ne peux que renvoyer au travail essentiel de Tim O'Reilly sur le "Government as a platform", ou Open Government. Et je crois qu'il est essentiel de prendre le temps de consulter, voire d'enrichir, le livre qu'il a consacré à ces questions.
Government as a platform, c'est le déplacement d'une ancienne vision des open data, qui consisterait à penser que, dans une sorte de générosité, les "sachants" condescendraient à partager une partie de leur savoir. C'est ce dire qu'il appartient aux gouvernements de se penser comme une plate-forme pour la création de richesse. D'organiser efficacement la meilleure diffusion de ces données mais surtout le moyen pour les utilisateurs de s'en emparer. C'est construire des boucles de rétroaction pour que le système d'information permette vraiment aux citoyens, aux associations, aux entreprises de participer à un processus de décision et de création.
C'est pourquoi je termine en partageant avec vous cette excellent infographie proposée par Delib, une "digital democracy company" anglaise.
Une vidéo intégrale de la table ronde a été mise en ligne ici.
Très intéressant colloque, au passage, avec de belles interventions sur l'économie, l'efficacité administrative et la géostratégie...
Que peut faire l'Etat pour le numérique ?
Bien que largement né d'initiatives publiques, y compris françaises, Internet, profondément marqué par son origine libertaire et Californienne, a longtemps été une énigme, voire un problème, pour les gouvernements.
Ses principes fondamentaux, son architecture end to end, la vitesse avec laquelle les entreprises et les particuliers s'en sont emparés, la manière dont il crée de la valeur (économique et sociale) tout en déstabilisant profondément les positions acquises, le mélange inédit des sphères privée et publique, marchande et non-marchande, son caractère transfontalier... tout concourt à faire du réseau un objet bien difficile à appréhender pour les politiques publiques classiques.
Même si de réels progrès ont été effectués ces dernières années, ce n'est donc faire injure à personne que de dire que, si le numérique Français ne se porte pas trop mal, tant dans ses succès que dans son impact économique global, ces succès se sont, pour l'essentiel, bâtis en dehors de l'intervention publique.
Il faut donc rappeler quand même que, si la politique d'Open data est susceptible d'apporter beaucoup aux entreprises innovantes et aux utilisateurs, elle ne résoudra pas tout. Et avant de parler de ce nouvel or noir, il est bon de se rappeler que nombre des problèmes du secteur restent inchangés : les insuffisances de la politique d'aide à la création d'entreprises, l'instabilité juridique et fiscale dont elles pâtissent, le manque de capitaux investis, le plafond de verre - largement culturel - qui pénalise la croissance de ces jeunes entreprises, les difficultés qu'elles rencontrent à contracter avec les grands groupes industriels, la faiblesse de l'investissement public sur ces secteurs, les difficultés à reconnaître l'innovation par les usages, et tant d'autres points qui restent à améliorer.
(...)
La France, au Rendez-vous de l'Open Data
En matière d'Open data, la France, Etat et collectivités confondus, ont globalement été au rendez-vous. Est-ce notre culture d'ingénieurs ? Une certaine propension au rationalisme ? L'histoire d'une République qui peut aisément comprendre que la transparence et l'information peuvent se révéler très favorables à l'efficacité collective ? Toujours est-il de de nombreuses communes (Paris Rennes, Toulouse), l'Etat avec Etalab, l'Apie, et de multiples initiatives associatives ou citoyennes témoignent d'un dynamisme qui nous place dans le peloton de tête des pays s'étant emparés des grands enjeux de cette question.
Certes, de nombreux progrès restent à faire, notamment en matière de diffusion des ressources pédagogiques et scientifiques, mais tout laisse penser qu'ils seront réalisés à une vitesse acceptable.
En revanche, j'ai le sentiment que le réflexion sur les Open Data, ici, est très nettement portée par sa problématisation politique (démocratie, transparence, fluidité), plus que par une problématisation économique. Et si je suis convaincu de l'importance majeure de cet aspect politique, je ne suis pas certain que la réponse politique suffise à bâtir une stratégie de développement économique parfaite.
Or, ce point est d'autant plus important que je suis fermement convaincu que les données sont aujourd'hui le nouvel or noir. Elles recèles quelques points de croissance, comme l'a montré, là encore, un intéressant rapport de McKinsey : Big data, the next frontier for innovation, competition and competitivity. C'est pourquoi il est intéressant de se demander ce que serait une politique d'Open data apportant le maximum de croissance économique à notre pays.
Huit chantiers à travailler
Dans cet esprit, il m'a semblé que nous avons devant nous huit chantiers importants. Je n'ai pas les réponses sur toutes ces questions, qui demandent parfois des réponses très équilibrées et nuancées. Mais j'ai la conviction qu'elles sont toutes porteuses d'une énorme valeur économique.
1. S'intéresser à l'ensemble des productions immatérielle.
Libérer de la donnée publique, c'est bien. Mais il faudra aussi réfléchir sur les statuts des créations financées par l'Etat, en matière d'éducation ou de recherche, par exemple. Aux Etats-Unis, les recherches financées par des budgets fédéraux sont librement accessibles. Nous pouvons tous utiliser les images de la Nasa.
2. Partager des données brutes.
De nombreuses stratégies d'ouverture de données visent à libérer des données interprétées, de la statistique publique. C'est bien, mais cela ne correspond pas toujours aux besoins effectifs de la recherche, qui a souvent besoin de "laisser parler les données" avant de formuler ses hypothèses, puis de concevoir ses expériences.
J'ai à cet égard un exemple éloquent. Nous avons, chez MFG Labs, travaillé avec l'agence Atout France sur de nouveaux outils pour analyser le développement du tourisme en France. Pour ce faire, nous avons travaillé sur la géolocalisation des photos prises en France par les touristes, puis partagées sur FlickR, Yandex ou autres.
Ca a donné des résultats de ce genre :
En regardant bien, vous verrez une petite présence chinoise en Bretagne. Ce résultat pourrait sembler incohérent, car il n'existe aucune forme connue de tourisme Chinois en Bretagne. Il se trouve juste qu'il y a en revanche une réelle présence étudiante, ainsi que des escales de navires chinois. Un système d'information excessivement pré-interprété, et excessivement focalisé sur une définition étroite du tourisme aurait raté cette présence, et donc ce potentiel pour commencer à travailler l'intérêt de la Chine pour la Bretagne.
Bien entendu, nous ne saurions occulter le fait que les données brutes, même anonymisées, ouvrent des possibilités de croisements qui peuvent aboutir à briser l'anonymat. C'est avec crainte et tremblement qu'il faudra ouvrir les données brutes. Mais il faudra le faire : c'est elle qui ont le plus fort potentiel d'impact.
3. Concevoir une stratégie proactive.
Si l'on est vraiment convaincu que les données sont le pétrole de demain, on ne saurait se limiter à ouvrir les données disponibles. Il est essentiel de se demander quelles sont les données qui seraient réellement utiles à la croissance économique, et de les produire si elles ne sont pas disponibles.
4. Construire des partenariats publics privés.
L'Etat n'est pas, et de loin, le seul détenteur de données valables. De nombreux groupes industriels, opérateurs, assureurs, finance, en possèdent. Ils ne peuvent pas toujours les utiliser, tant du fait du cadre législatif que du fait de contraintes techniques, de l'incomplétude de certaines données, ou de l'absence de visibilité sur les usages potentiels de ces données.
L'Etat devrait prendre l'initiative d'une vaste concertation avec ces entreprises, afin devoir comment on pourrait, dans le respect de leurs intérêts - et de celui de leurs clients -, faire levier sur ces données pour créer un maximum de valeur ajoutée.
Les données privées sont aussi les données produites par les publics, ce qui ouvre des perspectives essentielles, tant pour solliciter la participation du public à la production de données utiles (ce qui nous rappelle une belle expérience de la FING), que pour se demander s'il ne faut pas protéger le public contre l'appropriation indue de ces données par quelques plate-formes géantes.
5. Soutenir les recherches stratégiques
Nous en parlons souvent dans ce blog. Cette explosion de data, ce phénomène de big data, appellent aujourd'hui des outils en rupture profonde avec l'informatique traditionnelle. La politique industrielle et la politique de recherche françaises ne sont pas encore assez engagés dans le travail sur les grands Framework (Mapreduce), sur les nouveaux outils NoSQL, sur les nouveaux formats de bases de données. Il ne sert à rien de libérer quelques données si nous décrochons dans la capacité à les analyser.
6. Trouver le bon modèle macro-économique.
J'ai commencé à aborder la question dans un précédent billet : autant je partage la conviction que la libération des données publiques est porteuse de croissance, autant je crains qu'une libéralisation incontrôlée ne finisse par concentrer la valeur chez ceux qui possèdent la plus forte puissance de stockage et d'analyse, c'est-à-dire hors de France. La libéralisation des données est indisociable d'une politique industrielle adaptée.
C'est pourquoi je suis personnellement favorable à une politique de rémunération des données par ceux qui en développent une exploitation commerciale - rémunération qui permettrait d'en financer le développement -. Et je pense que la mise à disposition gratuite de ces données pour les JEI pourrait en revanche s'intégrer de plein droit dans le dispositif d'aide à ces entreprises.
7. Concevoir une infrastructure cognitive.
Cette question de modèle économique met immédiatement en lumière l'importance de penser, d'emblée, la libération des données en termes d'infrastructures. L'accessibilité de ces données, leur interopérabilité, l'intelligence des API qui les délivrent, la qualité des interfaces de distribution... Toutes ces questions sont essentielles à l'impact économique d'une stratégie d'open data.
Il y a un abîme entre la simple libération de données - déjà utile - et la construction méthodique d'une infrastructure capable d'apporter le maximum de valeur ajoutée à notre économie.
8. Progresser vers l'OpenGouvernment
Enfin, je ne peux que renvoyer au travail essentiel de Tim O'Reilly sur le "Government as a platform", ou Open Government. Et je crois qu'il est essentiel de prendre le temps de consulter, voire d'enrichir, le livre qu'il a consacré à ces questions.
Government as a platform, c'est le déplacement d'une ancienne vision des open data, qui consisterait à penser que, dans une sorte de générosité, les "sachants" condescendraient à partager une partie de leur savoir. C'est ce dire qu'il appartient aux gouvernements de se penser comme une plate-forme pour la création de richesse. D'organiser efficacement la meilleure diffusion de ces données mais surtout le moyen pour les utilisateurs de s'en emparer. C'est construire des boucles de rétroaction pour que le système d'information permette vraiment aux citoyens, aux associations, aux entreprises de participer à un processus de décision et de création.
C'est pourquoi je termine en partageant avec vous cette excellent infographie proposée par Delib, une "digital democracy company" anglaise.
Retrouver toutes les interventions du colloque consacré aux "Nouveaux usages d’Internet, nouvelle gouvernance" pour l’Etat organisé le 7 novembre 2011 dernier par le Centre d’analyse stratégique sur http://www.strategie.gouv.fr/content/rediffusion-en-direct-video-du-colloque-nouveaux-usages-d%E2%80%99internet-nouvelle-gouvernance-pour
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