dimanche, octobre 11, 2015

Être et devenir

Le dimanche matin, au Studio Saint-André des Arts (mais aussi dans de nombreuses villes françaises), vous pouvez assister à la projection d'un film intitulé Être et devenir, consacré à ces familles qui choisissent d'élever elles-mêmes leurs enfants dans le respects de leurs rythmes, de leurs passions et de leurs propres talents.

C'est un film à voir et à partager. Plus précis, plus profond et plus nuancé, d'ailleurs, que ne le montre la bande-annonce.

La première fois que j'ai entendu parler de "homeschooling", c'était par un inspecteur de l'Education nationale qui me parlait de communautés dans des vallées pyrénéennes. Je pensait que le phénomène ne concernait que quelques communautés de soixante-huitards et quelques autres groupes de réactionnaires forcenés et un poil sectaires.

Il y a peut-être des asociaux qui choisissent cette voie, c'est probable. Mais ce ne sont pas ceux-là qu'a rencontrés Clara Bellar. Son film, au contraire, nous entraîne dans un monde d'adultes responsables, qui s'interrogent, s"inquiètent, échangent, expérimentent, dialoguent, apprennent et qui, finalement, osent inventer quelque chose d'essentiel.

Ce n'est pas à proprement parler une méthode que nous découvrons, mais plutôt une attitude, un parti pris. Les enfants aiment apprendre, ils savent apprendre, à bien y regarder ils apprennent tout le temps. Puis ils arrivent à l'école où l'on commence à les contraindre à apprendre, et où, bien trop souvent, cette disposition spontanée devient une contrainte. Mais que se passe-t-il si on prend cette capacité d'apprendre au sérieux et si on décide de pousser ces enfants dans leur propre logique, leur propre dynamique ? Si on les pousse à ressentir leur propre logique, à la prendre au sérieux et à la pousser au bout ?

 



On retrouve dans ces expériences des idées qui sont chères aux tenants des méthodes actives, de Freinet aux écoles Montessori, des idées qu'on entendait dans le mouvement La Main à la pâte. On retrouve des convictions qui, apparemment, ne seraient pas démenties par Sugata Mitra qui nous affirmait il y a cinq ans "la première chose que vous enseigne l'école, c'est de croire que vous avez besoin d'un professeur pour apprendre". Bref, des choses qui sont déjà familières aux lecteurs de ce blog. Des choses qu'un intervenant au débat suivant le film a résumées en disant : "au lieu de s'acharner à changer l'enfant, pourquoi ne pas se concentrer sur l'environnement à quoi on l'expose et le laisser prendre ce qui est bon pour lui."

Pour ceux qui n'ont pas vu le film, je précise tout de suite que les exemples présentés ne sont pas réservés à des parents milliardaires et oisifs,  que cette éducation n'est pas limitée au cercle familial, que les enfants interrogés ne sont pas des asociaux, qu'ils réussissent même très bien à l'Université (pour les Grandes écoles à la française, on verra, car ce mouvement est moins ancré et plus récent en France que dans le monde anglo-saxon).

Bien sûr, on peut se poser d'innombrables questions sur les options éducatives présentées dans ce film. En particulier sur l'environnement culturel et social nécessaire pour que les enfants trouvent tout ce dont ils ont besoin.

Mais la question de recourir ou non au Homeschooling ne m'a pas semblée le point essentiel de ce que montre cet important reportage. L'essentiel, me semble-t-il, c'est d'observer de près la dynamique qui se noue dans ces échanges pédagogiques. Il ne s'agit pas ici d'une nouvelle "méthode", qui pourrait être déployée par quelqu'un qui aurait bien lu le "manuel". Il ne s'agit pas d'une confiance passive envers je ne sais quelle qualité spontanée qu'auraient les enfants. On découvre, au contraire, une posture extrêmement active des adultes. Donner confiance, encourager, donner confiance d'une manière engage, d'une manière qui oblige, au sens propre. Faire confiance d'une manière qui engage la responsabilité de l'enfant et qui le conduise presque obligatoirement à donner le meilleur de lui-même. Faire confiance d'une manière qui autorise les chemins de traverse, les détours, les passions en apparence inutiles mais qui finalement permette de revenir à un apprentissage adulte. Ce n'est pas facile, ce n'est pas spontané, c'est un engagement important des adultes qui choisissent ce chemin. Il y faut des compétences, du talent, une éthique et une maîtrise de soi.

***
Sans doute obnubilé par le long travail que nous avons consacré l'année dernière à la question du "gouvernement ouvert", et qui a abouti à l'adhésion de la France à l'Open Government Partnership et à la publication de son premier Plan national d'action pour un gouvernement ouvert, je n'ai pu m'empêcher de voir un parallèle entre les deux démarches. Car derrière les concepts anglo-saxons d'open government, d'empowerment, d'engagement des citoyens, il y a au fond l'exigence et la recherche de la même attitude. Un respect de l'intelligence des autres, une attention à leurs projets, une confiance envers leur capacité à savoir ce qui est bon pour eux, le désir de les doter de la capacité d'agir pour qu'ils développent la plus grande autonomie possible. La confiance et, j'ajouterais, la bienveillance.

Tous les théoriciens de l'open government n'accepteraient peut-être pas ce parallèle. Certains préfèreront fonder leur action sur les Droits de l'homme, ou se limiter à réclamer la transparence, ou à mesurer la participation. Et c'est important, les Droits de l'homme, la transparence et la participation citoyenne. Nous sommes fiers par exemple du débat public sur le projet de loi numérique qui vient d'être lancé et qui réalise ainsi l'une des promesses du plan national pour un gouvernement ouvert.
Et pourtant, cela ne me semble pas suffisant pour tenir la promesse d'une action publique réellement ouverte. Il faut aussi que la Puissance publique, comme les parents de ce film, trouve sa distance, sa confiance et sa bienveillance pour laisser la société trouver le chemin de son autonomie.
Les citoyens ne sont pas des enfants. L'autorité de l'Etat n'est pas celle des parents. L'autorité de l'Etat lui est déléguée par des citoyens adultes qui savent ce qu'ils veulent. aujourd'hui, ces citoyens découvrent de plus en plus, en particulier grâce à Internet, qu'ils peuvent s'organiser, qu'ils peuvent apprendre, qu'ils peuvent régler des problèmes et qu'ils aiment cela. Sans la bienveillance, sans le respect, sans la loyauté, l'Etat deviendra un carcan rigide. Il risquerait d'être rejeté. et il risquerait surtout de manquer sa mission principale, celle que connaissaient les fondateurs de notre République : rendre possible, et garantir la plus large autonomie des Citoyens.

6 commentaires:

  1. Bonjour,

    En tant que militante du logiciel libre et accessible à tous, dirigeante d'une Scop et maman d'une jeune enfant, je souscris à cette approche. À la condition de donner les moyens aux gens de cette autonomie. Car la liberté est exigeante. Elle ne se décrète pas, elle se construit. Et il est de la responsabilité de l'État quand il demande la participation des citoyennes et citoyens d'accompagner ce modèle en faisant preuve de pédagogie et en mettant à disposition des outils accessibles à tous.

    La plate-forme sur la loi numérique est un exemple de tentative non-accessible qui finalement exclut le commentaire de certains citoyens souhaitant participer mais ne le pouvant pas en raison d'outils handicapants.

    J'espère qu'au-delà des discours, l'inclusion des citoyennes et citoyens se fera sur une base non-discriminatoire à l'avenir.

    Une liberté qui n'est pas accessible à tous n'est pas une liberté mais un privilège. Et je suis sûre que ce n'est pas votre intention.

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    1. Encore la pédagogie... or, pour les citoyens, il s'agit d'adultes libres et responsables. Il ne peut donc s'agir de pédagogie. Des moyens et des outils, d'accord. De la formation éventuellement, mais, de grâce, arrêtons avec la pédagogie du "sachant" qui en fait rêve de décider pour les autres...

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  2. Merci ! Petite question : recommandes-tu d'aller voir ce film avec ses enfants de 8-10 ans ?

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  3. Oui, c'est ce que j'ai fait. Elles ont un peu râlé sur la première partie en Anglais sous-titré, mais après ça fait des discussions intéressantes à la maison.

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  4. On a tendance à aller chercher chez les anglosaxons ce qui existait chez nous (exemple de la main à la pâte). Allez voir sur ce site : http://education3.canalblog.com . Ce que démontre "être et devenir" existait dans les années 70-90 dans quelques classes uniques publiques que l'auteur Bernard Collot a appelé "école du 3ème type" en référence à "rencontre du 3ème type" de Spielberg. Et il y a même la démocratie !

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  5. Merci pour ce bel article. Pour ceux qui ne nous connaissent pas encore : l'Ecole Dynamique a ouvert ses portes cette année. Elle pratique cette approche des "apprentissages autonomes" à Paris dans le 13ème. C'est une association démocratiques d'enfants et ados de tous les âges, libérée des programmes, classes d'âges et emplois du temps. Pour en savoir plus : www.ecole-dynamique.org. Henri : au plaisir d'en rediscuter à l'occasion...

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